J’ai choisi d’inaugurer cette nouvelle rubrique par ce qui m’a paru le meilleur exemple du fossé entre l’apprentissage de la médecine générale à la fac et la pratique « de ville » de notre métier : les médicaments et conseils dits « de confort ».
Le temps de consultation dédié aux viroses est assez limité après quelques années d’installation. Cependant, une certaine demande demeure, notamment en période hivernale : soulager les symptômes tels que la rhinite, la congestion, la sensation de fièvre, et surtout la TOUX !
Quand on commence à exercer et que l’on a été bercé par les recommandations officielles et la médecine fondée sur les preuves, c’est très simple : paracétamol, lavages de nez, et rien d’autre.
Or pour tenter de répondre à la demande des patients, ce serait plutôt : sacro-saint pschitt pour le nez, pastilles à sucer, sirop pour la toux bien sûr, anti-inflammatoires ou corticoïdes, antibiotiques « car, sinon, ça me tombe sur les bronches, docteur »… (merci tout de même aux jeunes générations adeptes du « bio » qui ne veulent plus entendre parler d’antibiotiques !). Et parfois une semaine d’arrêt de travail (avec un net ratio en faveur de la gent masculine, parfois paralysée par son mal de gorge – niveau de preuve de grade indéterminé !).
Être médecin généraliste, c’est tout d’abord écouter son patient et essayer de lui apporter des réponses. Il est donc nécessaire de trouver un compromis entre ne pas trop déroger à son intime conviction sur les traitements nécessaires (évalués selon la balance bénéfice-risque, dont on ne se lasse jamais) et ne pas passer complètement à côté de la demande du patient.
Pendant nos études, ces prescriptions d’appoint ne sont clairement pas abordées. Ainsi, lors de mon stage chez le praticien, je me rappelle avoir noté dans un petit répertoire (nostalgie des poches de blouse remplies de petits carnets, de nos jours remplacés par la mémoire du smartphone) tous les traitements que je découvrais avec effarement en 7e année et dont je n’avais JAMAIS entendu parler ! Pivalone ou Derinox, Lysopaïne ou Strepsils, Hélicidine (ce dernier, car – je cite mon praticien – « c’est le seul non contre-indiqué en cas d’asthme »).
Les études de médecine générale ne devraient-elles pas aborder le sujet de ces traitements tant plébiscités par les patients et largement consommés (en automédication ou sur ordonnance) ? Puisque nous finirons presque tous, à un moment donné, poussés dans nos retranchements, par prescrire autre chose que ce qui est recommandé, il serait sans doute judicieux de ne pas les découvrir sur le terrain et de pouvoir en connaître les effets indésirables, les risques potentiels, les réelles contre-indications absolues…
Les stages de ville (1er niveau et stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée [SASPAS]) ont bien sûr considérablement amélioré la formation des médecins généralistes avant l’exercice en cabinet. Toutefois, cette formation reste partielle, puisque dépendante de la pratique de quelques médecins, quoiqu’en général ouverts à la formation continue et au partage des connaissances. Après des générations où l’industrie pharmaceutique a joué ce rôle, ne serait-il pas bénéfique que les facultés s’emparent du sujet ?
ANSM. Vous avez un rhume : que faire ? Janvier 2020. Disponible sur https://bit.ly/3rGkq4N
Cordel H, Némorin M, Bouchaud O. Quand (et pourquoi) ne pas prescrire une antibiothérapie ? Rev Prat 2019;69(5):475-80.