L’un des sujets les plus tabous dans notre exercice reste probablement la santé de ceux qui soignent les autres. Certes, on en parle de plus en plus (et malheureusement pas de façon positive...) mais cela ne reste que des chiffres généraux, surtout utilisés pour traduire un mal-être sociétal ou un manque de valorisation.

Or, quand le médecin devient patient, rien n’est simple.

D’abord, il faut que le médecin accepte de reconnaître que quelque chose ne va pas, que ce soit au niveau somatique ou psychologique. À force de passer ses journées à rassurer l’immense majorité de ses patients, de dire « ça va passer », de recueillir les souffrances, les petits bobos, les traumatismes, les histoires de famille... comment garder quelques neurones disponibles pour ses propres maux ?

Le médecin étant un être humain comme les autres – me semble-t-il –, il peut souffrir d’autant de pathologies que ses patients. Sauf que son premier réflexe quand cela arrive est tout, sauf de consulter !

En général, il commence par attendre. Puis, attendre encore un peu... (levez la main ceux qui sont passés à côté de la pneumopathie ou de la pyélonéphrite de leur enfant car « c’est viral »...).

Quand vraiment il n’a plus le choix, il s’autodiagnostique, évidemment, pour s’autoprescrire, au mieux, des examens complémentaires, au pire, des traitements médicamenteux. L’auto-interrogatoire et l’auto-examen clinique ne font certainement pas partie des étapes pour poser un diagnostic.

Ensuite, quand ça ne va pas mieux, ou quand il essaie de ne pas s’autosoigner, son réflexe est, bien entendu, d’appeler un confrère ! Or l’avis dudit confrère est doublement biaisé : son raisonnement de base est perturbé, car le patient est médecin comme lui et les informations médicales ont déjà été passées à la moulinette de l’auto-examen. Difficile de poser un diagnostic objectif dans ces circonstances !

Or, même lorsque le médecin fait l’effort de se faire suivre régulièrement (les femmes sont d’ailleurs un peu plus préservées de ce no man’s land médical, grâce au suivi gynécologique), le docteur n’est décidément pas un patient comme les autres. Le confrère qui le reçoit ne peut pas ignorer le fait que son patient est lui-même médecin (sauf s’il n’est pas au courant, mais cela fausserait davantage la relation), et son approche est, de fait, pénalisée. Pour les praticiens salariés, la médecine du travail pourrait jouer un rôle extrêmement utile dans ce contexte, mais elle est, hélas !  inexistante...

Heureusement, une prise de conscience émerge, et certaines initiatives commencent à voir le jour. Par exemple, l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) du département des Hauts-de-Seine, après avoir créé une plateforme dédiée aux soignants en souffrance, va plus loin  : création d’une filière « médecins de médecins » et formation des médecins à soigner des patients-médecins. Cependant, cela n’empêche pas le retard diagnostique et de prise en charge, notamment dans les situations de souffrance psychologique.

Dernier élément rendant la prise en charge difficile : la couverture sociale. Les choses ont beaucoup évolué, mais on partait de tellement loin que cela reste assez fragile. Pour les plus jeunes qui n’ont pas connu « un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître », le congé maternité des femmes médecins n’a été indemnisé qu’à partir de 2006 – comme si les femmes avaient commencé à devenir médecins en 2005 ! Lors d’un arrêt de travail, jusqu’en 2021, le médecin ne percevait des indemnités journalières qu’à partir du 90e jour ! Les médecins souscrivent en général une assurance complémentaire pour être indemnisés, mais, contrairement aux cotisations retraite, ce n’est ni obligatoire ni même encouragé.

En conclusion, je vous laisse, chères consœurs, chers confrères, vous poser ces questions : à quand remonte votre dernière consultation pour vous-même ? quel est le temps que vous dégagez dans votre emploi du temps pour prendre soin de votre santé ?