Pourquoi s’emparer des questions environnementales en tant que médecin ?
Nous oublions trop souvent, à cause de nos modes de vie actuels, les liens qui nous unissent à notre environnement. Or, comme l’énonçait déjà il y a 2 500 ans le philosophe Héraclite, « lasanté de l’homme est le reflet de la santé de la terre » : le changement climatique, la diminution de la biodiversité, la pollution de l’air, de l’eau, des sols, l’urbanisation ou encore la déforestation ont des répercussions sur notre santé.
Les maladies respiratoires, cardiovasculaires et métaboliques sont fortement liées non seulement à nos modes de vie, mais aussi aux perturbations environnementales. L’exposition à la pollution atmosphérique est un facteur de risque reconnu de survenue de maladies respiratoires (BPCO, cancer du poumon) et cardiovasculaires (syndrome coronaire aigu, AVC, athérosclérose, insuffisance cardiaque...).
Ces liens sont encore insuffisamment soulignés car la causalité est difficile à déterminer : pour un patient donné, il n’est pas aisé de savoir quelle est la part de la pollution atmosphérique par rapport aux autres facteurs dans sa maladie ; au niveau épidémiologique, il est également difficile d’étudier l’effet précis de différentes substances suspectées cancérigènes présentes dans notre alimentation et notre quotidien – même si ce lien est aujourd’hui bien établi pour certaines.
Par ailleurs, les médecins sont témoins – et de façon croissante ces dernières années – du retentissement sanitaire de certains événements climatiques extrêmes : canicules, incendies... Sans parler de l’exposition à des maladies infectieuses émergentes, en lien avec le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité – nous en avons fait l’expérience avec le Covid.
Les médecins sont donc entourés de « malades de l’environnement » : voilà pourquoi c’est un sujet fondamental ! Et nous avons un rôle à jouer, non seulement pour faire de la prévention auprès de nos patients, mais aussi pour porter ces sujets à l’échelle de la société tout entière.
C’est l’objectif de la « santé planétaire »…
Oui, ce domaine médical fondé sur les preuves, bien qu’encore méconnu en France, existe déjà depuis quelques années, comme en témoigne la création de la revue The Lancet Planetary Health en 2017.
La santé planétaire étudie les liens entre les dégradations de l’environnement causées par l’homme et leurs répercussions sur la santé humaine, et permet d’apporter des solutions pour améliorer à la fois la santé de la planète et celle du vivant et des humains. Des solutions dont nous, médecins, sommes partie prenante : c’est ce que soulignent l’Organisation mondiale des médecins généralistes (Wonca) et l’Alliance santé planétaire dans une déclaration courte et avec des conseils pratiques destinés aux médecins généralistes, parue en 2018 et traduite en français en 2019.1
En pratique, comment œuvrer pour la santé planétaire au cabinet ?
En France, le secteur de la santé est responsable de 8 % des émissions des gaz à effet de serre (GES), selon un rapport de 2021 du « Shift Project » (think tank œuvrant pour une économie décarbonée)2… D’où l’importance d’agir dès maintenant !
La première piste d’amélioration qui découle de ce rapport repose sur une prescription écoresponsable (v. ci-dessous), les médicaments et dispositifs médicaux représentant une grande part des émissions de GES. L’impact carbone de la médecine de ville n’est pas négligeable, bien que moins bien défini que celui du secteur hospitalier. De plus, l’impact environnemental concerne aussi d’autres pollutions. Dès lors, tout geste compte pour permettre de le réduire !
Les actions ne passent pas forcément par de grands plans onéreux : nul besoin de construire des cabinets bioclimatiques très modernes ; on peut commencer par des petits gestes au cabinet, tels que trier les déchets, choisir un papier recyclé, être attentif à la démarche écologique de son fournisseur d’électricité, acheter de seconde main quand c’est possible.
Toutes ces actions comptent, non seulement par leur retentissement propre, mais aussi parce qu’elles montrent l’exemple. Concrètement : si, au cabinet, il y a des poubelles de tri, des affiches de prévention en santé planétaire, une gestion des draps d’examen économe et écologique, des endroits pour garer les vélos, etc., et qu’on en parle avec les patients, l’effet sera démultiplié – on contribue à faire évoluer les pratiques.
En outre, il est possible de mettre en place ces gestes sans être pour autant ostentatoire ou culpabilisant, et bien sûr sans que cela pénalise le patient. Par exemple : on peut proposer aux patients, par un message en salle d’attente ou lors de la prise de rendez-vous, d’amener leur serviette s’ils sont d’accord, tout en précisant qu’il y aura toujours des draps d’examen si besoin. La gestion écologique passe aussi par l’utilisation parcimonieuse des ressources (il n’y a peut-être pas besoin de drap d’examen pour tout examen clinique, tant que l’hygiène est respectée !).
Enfin, c’est une démarche progressive : on n’essaie pas de construire quelque chose de parfait et 100 % écologique du jour au lendemain !
Et en ce qui concerne les médicaments ?
La prescription raisonnée est une démarche fondamentale du point de vue de l’écoresponsabilité. Elle doit être justifiée, régulièrement surveillée et réévaluée (terme que je préfère à celui de « renouvelée »). Penser à la « déprescription » dans les situations où c’est envisageable et sans perte de chance pour le patient, bien entendu.
Une ordonnance limitée à ce qui est juste et nécessaire, élaborée avec le patient en la lui expliquant, favorise également l’observance.
Pensons aux inhibiteurs de la pompe à protons, prescrits trop souvent et trop longtemps, parfois dans des indications injustifiées. La pénurie actuelle d’amoxicilline souligne, quant à elle, la nécessité de mieux prescrire les antibiotiques... Il existe des outils pratiques, dont certains élaborés par la HAS, pour aider les praticiens dans ces démarches de prescription raisonnée, voire de « déprescription », mais aussi un site de l’Association médicale canadienne (https://choisiravecsoin.org/).
Les alternatives non médicamenteuses, lorsqu’elles sont indiquées et validées par des preuves, doivent être au premier plan. Il faut toujours promouvoir (et prescrire !) l’activité physique, si possible en relation avec la nature, qui améliore la santé physique et psychique (voir aussi le site canadien https://www.prescri-nature.ca/). C’est utile de penser en termes de co-bénéfices santé-environnement et de cercle vertueux : les pratiques qui sont bonnes pour la santé le sont aussi pour l’environnement et vice-versa (par exemple, manger moins de viande rouge). On le voit : la santé planétaire aboutit à une médecine plus préventive…
D’autres gestes, si petits semblent-ils, sont utiles : travailler conjointement avec les pharmaciens pour développer les prescriptions à l’unité, inciter les patients à ne prendre à la pharmacie que les médicaments dont ils ont besoin, mettre un tampon sur l’ordonnance pour rappeler aux patients de retourner les médicaments non utilisés…
Le choix des molécules selon leur impact environnemental pourrait aussi être une piste, mais il n’y a actuellement aucun outil validé qui aide à choisir des spécialités plus « écoresponsables ». Néanmoins, les connaissances avancent : par exemple, une étude suédoise publiée en 2015 a examiné l’indice PBT (persistance dans le milieu aquatique, bioaccumulation et toxicité) de divers médicaments.3 Peut-être un jour aurons-nous des recommandations à ce sujet…
Enfin, un travail politique doit être fait à plus grande échelle. Depuis 2006, les dossiers d’AMM européennes des nouveaux médicaments sont soumis à l’obligation de détailler leur impact environnemental. Malheureusement, les anciennes spécialités, qui sont souvent les plus prescrites, ne sont pas concernées. De plus, les prescripteurs n’ont pas accès à ces informations, ce qui en limite la portée...
Intégrer une démarche durable au cabinet n’est-il pas une charge mentale et financière supplémentaire ?
Pas forcément ! J’en reviens à l’idée du co-bénéfice : ce qui est écologique et souvent aussi économique (faire preuve de sobriété énergétique, œuvrer contre le gaspillage, etc.). De plus, lorsqu’il s’agit de « grands gestes », comme d’intervenir directement dans la construction des bâtiments, on peut bénéficier de crédits d’impôt énergie (rénovation pour double vitrage, systèmes de chauffage écologique, etc.). Par ailleurs, des aides de l’État spécifiquement dédiées aux médecins verront peut-être le jour, pour encourager les praticiens à adopter des démarches écoresponsables : des discussions sont en cours avec l’Assurance maladie et des syndicats ; les ARS s’y intéressent de plus en plus (projets de maisons de santé pluriprofessionnelles).
En ce qui concerne le temps, l’exercice coordonné est un instrument fondamental pour œuvrer pour la santé planétaire tout en palliant le manque de temps médical : par exemple, le travail avec les infirmières spécialisées dans la période de la périnatalité, durant laquelle les parents sont demandeurs d’informations sur ces thématiques (expositions environnementales, pollution, alimentation...). Tout est possible lorsqu’on travaille ensemble !
2. The Shift Project. Décarboner la santé pour soigner durablement. Rapport final. Novembre 2021.
3. Stockholm County Council. Environmentally classified pharmaceuticals. 2014-2015.