L’analyse sémiologique des mains n’est pas évidente : elles peuvent être le siège de pathologies rhumatologiques, neurologiques, dermatologiques, mais aussi d’atteintes générales (désordres métaboliques, maladies de système, néoplasies) ; s’y ajoutent les modifications apportées par le quotidien (profession, manipulations, habitus). La richesse des signes cliniques fait donc tout l’intérêt de leur examen. Cette première partie est consacrée à la globalité de la main et à la paume ; la seconde explorera doigts et ongles.

En général, on ne prête attention aux mains des patients que lorsqu’ils s’en plaignent, ou que des signes évidents (et peut-être déjà évolués) y sont décelés. Il peut aussi arriver que l’on remarque un signe, un détail, en serrant la main d’un patient ou en y jetant un regard. Pour ne pas méconnaître une pathologie sous-jacente, la sémiologie de la main et les pathologies fréquentes ou typiques qui y sont liées méritent d’être abordées.
Si l’interrogatoire précède habituellement, en partie, l’examen physique, il semble trop artificiel de séparer les signes fonctionnels et physiques dans des chapitres distincts. La description est ici faite selon le fil de l’examen, en partant du signe clinique (et non de la pathologie) pour une meilleure aide au diagnostic.

La main dans sa globalité

Avant même de scruter les détails, il est nécessaire de regarder les mains à bonne distance afin de dépister des déformations.

Enraidissement articulaire

La fixation articulaire dans des positions non anatomiques est habituellement tardive, que ce soit au cours de pathologies neurologiques ou rhumatologiques. Généralement, des signes fonctionnels précèdent cet état : arthralgies, impotence fonctionnelle, signes cutanés, etc.
Une proposition de démarche diagnostique devant un enraidissement articulaire est résumée dans la figure 2.
Les pathologies fréquentes sont facilement reconnues : arthrose (fig. 3D et 3E) et maladie de Dupuytren (fig. 3F). Concernant les rhumatismes inflammatoires, la polyarthrite rhumatoïde est, elle aussi, facilement diagnostiquée, du moins lorsqu’elle est d’expression classique (fig. 3I à 3K). L’enjeu, au cours des rhumatismes inflammatoires, est de les repérer avant le stade de destruction articulaire.
Chez les patients atteints de psoriasis, le rhumatisme psoriasique mérite d’être dépisté par des questions simples, communes aux rhumatismes inflammatoires : description des arthralgies (périphériques et axiales), douleur nocturne, douleur améliorée par l’activité et réapparaissant après un repos, dérouillage matinal significatif.
Le phénomène de Raynaud est quasi-constant dans la sclérodermie systémique, nécessitant une recherche à l’interrogatoire orienté (fig. 3H) [existence d'une phase syncopale ?] et en s’aidant d’éventuelles photographies.
Enfin, la chéiroarthropathie diabétique est un diag­nostic différentiel relativement fréquent des états sclérodermiques car la peau des mains devient infiltrée et scléreuse et les doigts difficiles à tendre (signe de la prière [fig. 3G]) ; dans ce cas, le phénomène de Raynaud est inhabituel.

Aigu ou chronique, l’œdème oriente vers des diagnostics différents

L’œdème s’observe facilement dès lors que les mains sont visibles. On distingue alors l’œdème localisé de l’œdème généralisé associé à une prise de poids (anasarque principalement, hypothyroïdie, etc.) [fig. 4].

Œdème aigu de la main

Un œdème récent unilatéral doit toujours faire évoquer une thrombose veineuse profonde. S’il est inflam­matoire, il faut aussi éliminer une dermo­hypodermite bactérienne ou une arthrite (poignet et articulations métacarpo-phalangiennes) ; l’arthrite septique est une urgence vitale mais aussi fonctionnelle. L’arthrite micro­cristalline est plus fréquente (fig. 5A).
L’algoneurodystrophie et le syndrome RS3PE (polyarthrite œdémateuse ou remitting symmetrical seronegative synovitis with pitting edema) sont des affections particulièrement génératrices d’œdème au niveau des mains. Autrefois défini comme une pathologie à part entière, le RS3PE est aujourd’hui considéré comme un syndrome secondaire à une patho­logie (pseudopolyarthrite rhizomélique [PPR], rhumatismes inflammatoires auto-immuns, arthropathies microcristallines, cancers, etc.) [voir aussi p. 202].

Œdème chronique de la main

Si l’œdème est chronique, ferme et élastique, il s’agit d’un lymphœdème. Il se différencie de l’œdème veineux par l’atteinte des doigts. Les causes principales sont les pathologies et interventions sur les ganglions axillaires.
Si l’œdème est unilatéral, les strictions volontaires par garrot sont à rechercher (limite nette).
Les injections distales de drogues intraveineuses sont responsables du puffy hand syndrome (fig. 5B).
Enfin, l’œdème évoluant par poussées, avec intervalles libres de symptômes, est un angioœdème histaminique (allergique ou non) ou bradykinique (œdème angioneurotique). Ce dernier est associé à des douleurs abdominales (ascite). Le lymphœdème peut évoluer par poussées, mais il y a un fond permanent.

Amyotrophie : signe d’une atteinte neurologique sous-jacente

La connaissance de l’anatomie neurologique permet d’orienter la réflexion diagnostique. L’amyotrophie est le signe d’une pathologie neurologique déjà évoluée. Celle-ci apparaît particulièrement précocement dans les atteintes de la corne antérieure (deuxième motoneurone).
L’orientation se fait selon la répartition de l’amyotrophie : sectorielle à une main, complète à une main, étendue aux deux mains (fig. 6).

Atteinte sectorielle et unilatérale

Elle est fréquemment liée à un syndrome canalaire (canal carpien et canal de Guyon). En revanche, si l’atteinte des troncs est située en amont du poignet, la sémiologie est plus complexe, du fait d’une atteinte des fléchisseurs (trois premiers doigts pour le médian et deux derniers pour l’ulnaire) [fig. 7B et 7C].

Split hand

La split hand (main fendue) [fig. 7D] est caractéristique de la sclérose latérale amyotrophique, correspondant à une amyotrophie de la partie externe de la main avec atteinte précoce de la pince pollici­digitale (dépassant le territoire du nerf médian). Des signes associés doivent être recherchés : syndrome pyramidal, fasciculations (de la langue notamment).

Amyotrophie complète d’une main

Les syndromes canalaires associés sont le plus souvent en cause. La main prend un aspect particulier, en « main d’Aran-Duchenne », associant les atteintes motrices des nerfs médian et ulnaire (fig. 7A). L’amyotrophie complète peut être également liée à une atteinte du plexus brachial, plus fréquemment à sa partie inféro-­médiale, les troncs primaire inférieur et secondaire médial (C8-T1) donnant naissance au nerf ulnaire et à la partie motrice du nerf médian (sa partie sensitive étant assurée majoritairement par les racines C6-C7). Dans ce cas s’ajoutent des signes sensitifs au-dessus du poignet.
Enfin, l’amyotrophie complète est possible au cours de la sclérose latérale amyotrophique. L’atteinte de la pince pollicidigitale est précoce car l’opposant du pouce (médian) et le premier interosseux (ulnaire) sont rapidement touchés.

Amyotrophie des deux mains

Elle trouve, quant à elle, son origine au niveau cervical : une myélopathie d’origine cervicarthrosique en est souvent responsable.

Couleur de la peau

La constatation d’une couleur anormale des mains peut être immédiate dès lors qu’elles sont découvertes.

Érythème palmaire : non spécifique

L’érythème palmaire est probablement le signe le plus souvent reconnu. Son manque de spécificité et sa grande fréquence dans la population générale (héréditaire, physiologique, lié à la grossesse ou au vieillissement) n’en font pas un signe clinique pertinent. Néanmoins, son apparition récente impose de questionner son origine.

Pigmentations à préférence acrale

Caroténodermie

Elle désigne une coloration jaune-orangé des paumes, des plantes et des plis nasogéniens, en rapport avec une hypercaroténémie. Les mécanismes d’accumulation rendent compte des pathologies les plus fréquemment responsables : régime riche en bêtacarotène (anorexie mentale), anomalies de la conversion hépatique en vitamine A (anorexie mentale, hépatopathies, déficit génétique enzymatique), ou encore hyperlipidémie (bêtalipoprotéinémie surtout) [syndrome néphrotique, diabète, hypothyroïdie].

Cyanose

Quand elle est liée à une hypoxémie (insuffisance respiratoire, insuffisance cardiaque terminale, etc.), elle ne pose pas de problème diagnostique. L’acrocyanose banale est fréquente, survenant souvent chez un sujet jeune. En revanche, son apparition tardive (après 30  ans), sa répartition asymétrique, une douleur, des troubles trophiques ou d’autres signes associés doivent faire évoquer une pathologie sous-jacente telle que connectivites, vascularites, syndrome d’hyperviscosité, etc.

Vitiligo

Il est responsable d’une dépigmentation prédominante aux zones de friction. La seule pathologie associée qui pourrait être systématiquement recherchée est l’hypothyroïdie. Une lésion dépigmentée n’est cependant pas synonyme de vitiligo. En effet, au niveau des mains, les leucodermies sont souvent secondaires à l’utilisation de produits mélanotoxiques (ménagers, cosmétiques, etc.).

Autres colorations possibles

La mélanodermie peut prédominer en zones découvertes. Par exemple, dans l’insuffisance surrénalienne, il y a une accentuation aux plis palmaires. Enfin, le livedo peut avoir une localisation acrale dans certaines pathologies (cryopathies, syndrome des anti­phospholipides, myxomes).

Paume et dos de la main

On y cherche des lésions cutanées localisées ou une hyperkératose, qui peut être paranéoplasique. Attention, toutefois, à bien connaître les habitus du patient et ses activités manuelles, qui pourraient suffire à provoquer une hyperkératose.

Hyperkératoses : penser aux syndromes paranéoplasiques

Trois syndromes particuliers ont été décrits et peuvent précéder de plusieurs mois le diagnostic d’un cancer.

Acrokératose de Bazex

Affection décrite comme étant la plus caricaturale, elle est psoriasiforme et commence en distalité. L’atteinte du nez et du pavillon de l’oreille la différencie du psoriasis. L’évolution est centripète, avec une atteinte des paumes, des plantes, des lèvres, puis du reste du corps. Le plus souvent, elle est observée chez un homme de plus de 60 ans atteint d’un cancer des voies aérodigestives supérieures.

Pachydermatoglyphie

Définie par un épaississement des dermatoglyphes, elle donne un aspect doux, velouté et de peau de chamois aux paumes (tripe palms). Associée à un acanthosis nigricans « classique », elle est plutôt en rapport avec un cancer de l’estomac. Sinon, il s’agit fréquemment d’un cancer du poumon.

Hyperkératose filiforme

Elle correspond à des papules acuminées « en vermicelles ». On peut l’observer au niveau du tronc ou de la face (fig. 8). Elle est moins souvent associée à un cancer ; pour certains, elle témoigne plutôt d’une prédisposition génétique à la survenue de cancers.

Hyperkératoses d’origines autres que paranéoplasiques

Elles peuvent être secondaires aux occupations (travail manuel), au psoriasis (fig. 9) ou à certaines infections (gale notamment).

Syndrome des anticorps antisynthétases

Il donne un aspect très particulier aux paumes : une kératose fissuraire prédomine aux bords latéraux des premiers doigts (« mains de mécanicien »). S’y associent souvent des arthralgies, un phénomène de Raynaud, des signes respiratoires et des signes généraux (fièvre et syndrome inflammatoire).

Syndrome de Cowden

Cette affection est rare, mais son aspect est pathognomonique : papules multiples kératosiques, millimétriques, translucides à jaunâtres, à centre déprimé. Il s’agit d’un syndrome génétique de prédisposition cancéreuse (sein et thyroïde surtout).

Zoom sur des lésions localisées aux faces dorsale et palmaire

L’inspection se poursuit par les détails. On observe attentivement le dos et la paume des mains, à la recherche de lésions cutanées qui seraient passées inaperçues au premier coup d’œil (télangiectasies, purpura, papules, vésicules, pustules, ulcérations, corne, etc.). Les lésions et causes associées sont trop nombreuses pour être ici exhaustif. Seules les plus typiques sont décrites.

Purpura

Les causes les plus fréquentes sont la fragilité cutanée (vieillissement, hypercorticisme, maladie du tissu élastique, etc.), et les traumatismes pour le dos de la main.
Le purpura palmaire peut être un indice précieux dans le cadre d’une suspicion d’endocardite infectieuse. Les classiques faux panaris d’Osler et le signe de Janeway sont liés à des micro-emboles septiques (fig. 10A et 10B).

Télangiectasies

Trois pathologies systémiques peuvent être diagnostiquées à partir de télangiectasies aux mains, les signes associés étant facilement reconnaissables.

Sclérodermie systémique

La sclérodermie systémique (fig. 11A) associe des télangiectasies rectangulaires aux mains et au visage, un phénomène de Raynaud et une scléro­dactylie (ou des doigts boudinés).

Maladie de Rendu-Osler

Il s’agit d’une maladie génétique de transmission auto­somique dominante (fig. 11B). Les télangiectasies apparaissent papuleuses et surviennent, en général, après 30 ans. Elles sont localisées aux mains, au nez et à la bouche. Les épistaxis et gingivorragies sont d’apparition plus précoce. Les malformations artérioveineuses viscérales doivent être dépistées.

Maladie de Fabry

La maladie de Fabry est une maladie génétique de surcharge lysosomiale de transmission récessive liée à l’X (fig. 11C à 11E). Les télangiectasies sont palpables et finement kératosiques : ce sont des angiokératomes. Lorsqu’ils existent (70 % des cas), ils apparaissent à la racine des cuisses (« en caleçon ») pendant l’adolescence et peuvent s’observer au niveau des mains et des lèvres. Les autres atteintes sont notamment neurovasculaires. Les femmes peuvent être atteintes avec un phénotype atténué.

Vésicules et bulles

Dyshidrose

C’est le diagnostic le plus fréquent, avec les infections virales. La dyshidrose est une variété d’eczéma localisé aux paumes et aux plantes, responsable de vésicules profondément enchâssées se rompant difficilement. Des lésions pustuleuses signent une surinfection.

Syndrome pieds-mains-bouche

Infection virale, le syndrome pieds-mains-bouche donne, du fait des dermatoglyphes, des vésicules allongées « en grain de riz ».

Panaris herpétique

Il touche surtout le nourrisson ou les professionnels à risque (dentistes, infirmiers). Son évolution naturelle est classique : un bouquet vésiculaire fusionnant en une bulle et se troublant, associé à une adénopathie dans l’air de drainage (axillaire), sans signe général notable. Chez l’adulte, il faut examiner les organes génitaux externes. Un traitement est nécessaire pour limiter le risque de localisation secondaire, notamment oculaire.

Porphyrie cutanée

Cette pathologie rare donne des lésions caractéristiques du dos de la main : bulles des faces dorsales faisant suite à une exposition solaire et laissant des séquelles hypo- ou hyperpigmentées après la guérison. Elle s’associe à une hypertrichose, des grains de milium et une fragilité cutanée. L’urine peut se colorer après une exposition à la lumière.

Diabète et « bullose »

Une « bullose » peut compliquer un diabète, indépendamment de l’équilibre glycémique. Les bulles sont alors d’apparition brusque aux faces latérales des mains et des pieds, à contenu clair, sans base érythémateuse.

Pour en savoir plus :

Lescuyer S. Manuel de l’examen clinique de la main. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, 2021, 128 p.

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essentiel

L’examen clinique de la main commence par un regard posé sur son ensemble (« de loin ») ; enraidissement, œdème, amyotrophie, couleur de la peau sont les domaines à explorer.

L’œdème aigu unilatéral de la main doit faire évoquer une thrombose veineuse profonde, en gardant à l’esprit l’arthrite septique si le gonflement est articulaire.

Une connaissance de l’anatomie neurologique permet d’orienter le diagnostic en cas d’amyotrophie.

L’hyperkératose palmaire peut être d’origine paranéoplasique.

Les lésions localisées sur la main sont autant de signes (précoces, voire pathognomoniques) évocateurs de maladies sous-jacentes : purpura, télangiectasies ou présence de vésicules et bulles.