Les conséquences de l’exposition aux écrans des tout-petits sont peu étudiées. Dans un essai paru dans le JAMA, les auteurs ont suivi une cohorte d’enfants de la naissance à l’âge de 6 ans, afin d’évaluer les effets sur le développement cognitif, socio-émotionnel et sur le langage. Les résultats, saisissants, diffèrent selon l’âge d’exposition aux écrans, en rapport avec le stade de développement cérébral.
En France, une grande partie des enfants sont exposés dès leur plus jeune âge à divers types d’écrans : 83 % des enfants de 2 ans regardent la télévision, 27 % utilisent ordinateurs ou tablettes, 20 % des smartphones, selon le ministère de la Culture.
Les conséquences de cette exposition sont étudiées depuis quelques années. Quelques études suggèrent qu’une exposition précoce aux écrans, au moment de la formation des connexions synaptiques, pourrait altérer le développement cognitif, mais souvent les périodes d’observation sont courtes.
Une nouvelle étude, parue dans le JAMA Pediatrics, a permis d’évaluer sur les 6 premières années de vie, de façon prospective, les conséquences du temps d’exposition aux écrans, mais aussi de l’âge du début de l’exposition, sur le développement cognitif, socio-émotionnel et du langage. Les enfants ont été ainsi séparés en 3 groupes :
- temps d’exposition faible mais constant dès 6 mois, 68 minutes en moyenne/jour (groupe 1) ;
- augmentation précoce et importante : temps d’exposition abondant dès 6 mois, en moyenne 150 min/jour, stabilisé à partir de 3 ans (groupe 2) ;
- augmentation tardive mais plus importante à partir de 3 ans, 230 min/jour en moyenne (groupe 3).
L’étude, conduite à Shanghai, a recruté 262 femmes accouchant entre mai 2012 et juillet 2013 : leurs enfants ont été suivis à 6, 9, 12, 18, 24, 36, 48 et 72 mois (6 ans). Le développement cognitif était évalué à 6 ans grâce à l’échelle d’intelligence WISC-IV (Wechsler Intelligence Scale for Children) et le QI ; le développement socio-émotionnel était mesuré par le Strengths and Difficulties questionnaire complété par les mères. L’étude prenait aussi en compte les caractéristiques démographiques, la santé mentale de la mère, le tempérament de l’enfant à 6 mois et le développement à 12 mois.
À la fin, les données de 152 enfants (50,7 % de filles) ont été analysées, dont 110 (72,4 %) dans le groupe 1 ; 25 (16,4 %) dans le groupe 2 ; 11 (11,2 %) dans le groupe 3.
L’âge moyen des mères était de 29,7 ans (+/- 3,3) et 92,1 % avaient un niveau éducatif équivalant au bac ou supérieur.
Résultats : comparés aux enfants du groupe 1 (exposition continue mais faible), ceux des groupes 2 et 3 (exposition plus abondante, précoce ou plus tardive) avaient globalement des scores d’intelligence moins bons à 72 mois (en analyse univariée).
Après ajustements sur le sexe de l’enfant, le niveau sociodémographique (éducation des mères, revenus de la famille), la santé mentale de la mère et le niveau de développement de l’enfant à 6 et 12 mois, en comparaison au groupe 1 :
- les enfants du groupe 2 avaient des scores d’intelligence plus bas (- 6,68 ; p < 0,05) surtout au niveau du travail de mémoire (- 11,25 ; p < 0,05) et de la vitesse de raisonnement (- 8,00 ; p = 0,06) ;
- les enfants du groupe 3 avaient des scores d’intelligence plus bas, surtout en termes de compétences cognitives (- 7,02 ; p < 0,05), le raisonnement perceptif (- 6,65 ; p < 0,05) et le travail de mémoire (- 6,75 ; p < 0,05) ; de plus, à 6 ans, les scores d’hyperactivité/inattention étaient plus élevés (1,22 ; p < 0,05).
Ainsi, une exposition précoce aux écrans et un temps d’exposition abondant seraient associés globalement à un moins bon développement cognitif et socio-émotionnel des jeunes enfants, les troubles pouvant différer selon l’âge d’exposition (en rapport avec les stades du développement cérébral) : une exposition dès 6 mois et importante altérerait surtout la vitesse de raisonnement et les capacités mnésiques ultérieurement, tandis qu’une forte exposition dès 3 ans affecterait surtout la compréhension verbale et le raisonnement perceptif et pourrait favoriser les troubles de l’attention.
Ces résultats peuvent être utiles pour sensibiliser davantage les parents afin qu’ils soient vigilants sur l’âge du début et la durée de l’exposition aux écrans pour les enfants, concluent les auteurs.
Pour rappel, les recommandations officielles préconisent d’éviter toute exposition aux écrans pour les enfants de moins de 2 ans (OMS) voire 3 ans (Santé publique France), et de limiter ensuite le temps passé devant les écrans, avec des durées variables selon les instances : maximum 60 min/jour par jour à partir de 2 ans pour l’OMS ; 90 min/jour maximum entre 3 et 5 ans puis 120 min/jour maximum pour les plus de 6 ans, selon l’Association française de pédiatrie ambulatoire (Afpa).
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Ducanda AL. Troubles du comportement, retard de langage : et si c’était une surexposition aux écrans ? Rev Prat (en ligne) 5 novembre 2021.