Les résultats d’une étude de Santé publique France mesurant l’exposition de la population française aux pesticides viennent d’être publiés : 5 familles de pesticides ont notamment été scrutées, décrivant pour la première fois l’imprégnation chez les enfants, et caractérisant les sources d’exposition. Que faut-il en retenir ?

 

La France étant le premier pays agricole de l’Union européenne, il n’est pas surprenant qu’elle soit l’un des premiers utilisateurs mondiaux de pesticides. Les agriculteurs sont une des catégories socioprofessionnelles les plus exposées, en tant qu’applicateurs. Dans cette population, l’exposition cutanée est majoritaire. En population générale, la voie orale est la plus importante. Elle est due à l’ingestion d’aliments ou de boissons contenant des résidus de pesticides, ainsi qu’à l’ingestion non alimentaire (poussières), chez les enfants. La dernière expertise collective de l’Inserm confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et 6 pathologies :

— les lymphomes non hodgkiniens (LNH) ;

— le myélome multiple ;

— le cancer de la prostate ;

— la maladie de Parkinson : associations avec les insecticides organochlorés ;

 les troubles cognitifs : associations avec les organophosphorés ;

— la BPCO et la bronchite chronique.

Des résultats moins solides, mais nouveaux, sont caractérisés pour la maladie d’Alzheimer, les troubles anxiodépressifs, certains cancers (leucémie, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes), l’asthme et les sifflements respiratoires, l’endométriose et les pathologies thyroïdiennes.

Pour les expositions précoces chez l’enfant, des présomptions fortes vis-à-vis de troubles comportementaux et de 2 types de cancers (système nerveux et leucémies) sont identifiées ; certaines familles sont particulièrement impliquées, notamment les organophosphorés et les pyréthrinoïdes (pour ces derniers : troubles anxiodépressifs en lien avec l’usage domestique).

Concernant le glyphosate, l’augmentation du risque de LNH, avec une présomption de lien moyenne, cohérente avec des propriétés génotoxiques, a été identifiée.

 

L’enquête Esteban (Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition) décrit et suit les niveaux d’imprégnation de la population française à une centaine de substances, retenues en raison de leurs effets présumés ou observés sur la santé. Les travaux ont été menés sur des échantillons représentatifs (personnes âgées de 6 à 74 ans), avec des prélèvements biologiques (urines, sang, cheveux) et différents questionnaires sur les habitudes de vie, les consommations alimentaires, etc., dont l’analyse croisée a permis de déterminer les modes d’exposition et de quantifier la présence de ces substances. Des volets précédents de cette étude ont été publiés en septembre 2019 sur les substances issues des produits d’usage courant, en mars 2020 sur l’exposition au plomb, et en juillet 2021 sur l’imprégnation aux métaux.

Ce troisième volet mesure le niveau d’exposition en population générale, en France métropolitaine et sur la période 2014-2016, à 5 familles de pesticides (organochlorés, organophosphorés, carbamates, herbicides et pyréthrinoïdes), ainsi qu’à 3 polluants organiques persistants : les polychlorobiphényles (PCB, composés aromatiques chlorés, utilisés dans l’industrie par le passé), les dioxines et les furanes (hydrocarbures aromatiques polycycliques chlorés, produits lors de certains processus thermiques ou chimiques, comme l’incinération des déchets, le traitement de la pâte à papier ; impuretés dans certains herbicides et PCB…). Ces produits sont présents dans de nombreuses sources environnementales et alimentaires. Certains sont interdits ou d’usage restreint, comme les organochlorés, organophosphorés, carbamates, PCB, dioxines et furanes.

Pour la première fois, cette étude mesure l’exposition à ces 5 familles de pesticides chez les enfants, et décrit aussi chez les adultes l’exposition de nouvelles substances dont le glyphosate. Enfin, elle établit des valeurs de référence d’exposition et permet d’étudier l’impact de la réglementation pour ces substances.

Des niveaux d’imprégnation en baisse ?

Pour la plupart des substances mesurées, les niveaux d’imprégnation ont globalement diminué chez les adultes, par rapport à ceux mesurés en 2006-2007 par l’étude ENNS (Étude nationale nutrition santé). Une diminution qui reflète les effets de l’interdiction de la plupart des organochlorés (DDT, chlordécone, etc.) et des carbamates, datant de plus de 10 ans, et du retrait progressif du marché des organophosphorés. Toutefois, cette baisse ne concerne pas le métabolite de la deltaméthrine (Br2CA), un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes utilisé notamment en viticulture et en arboriculture.

Les niveaux mesurés en France sont similaires à ceux retrouvés dans la plupart des pays étrangers d’Europe et d’Amérique du Nord, à l’exception du β-HCH (organochloré isomère du lindane), du métabolite des organophosphorés (DMTP) et du Br2CA, dont les concentrations mesurées en France sont plus élevées.

Les niveaux d’exposition varient en fonction des substances : les adultes sont exposés surtout à certains organochlorés, au DMTP, aux pyréthrinoïdes, aux PCB, dioxines et furanes ; les enfants, au DMTP et aux pyréthrinoïdes.

Enfin, certaines expositions à des substances aujourd’hui interdites concernent encore une part non négligeable de la population : par exemple, le lindane est détecté chez presque 50 % de la population (adultes ou enfants.)

Quant au glyphosate, il est quantifié chez moins de 20 % de la population (adultes ou enfants).

Alimentation, tabac, insecticides : des facteurs d’exposition variés

L’étude suggère que la consommation d’œufs, matières grasses, viande bovine et produits animaux autoproduits augmente les imprégnations pour certaines substances : PCB, dioxines et furanes ; organochlorés pour les deux premiers et pyréthrinoïdes pour les deux derniers.

La consommation de produits issus de l’agriculture biologique pourrait, quant à elle, diminuer l’imprégnation aux organochlorés, DMTP et pyréthrinoïdes.

La consommation de tabac et l’utilisation d’insecticides domestiques (antiparasitaires sur les animaux domestiques, insecticides contre acariens et insectes volants) augmentent les imprégnations de pyréthrinoïdes.

Ainsi, ces résultats suggèrent qu’« adopter une consommation alimentaire variée intégrant des produits de l’agriculture biologique, […] respecter les conditions d’utilisation des insecticides au domicile et aérer régulièrement son intérieur » pourraient diminuer certaines concentrations de pesticides et autres substances, explique Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance des expositions à Santé publique France.

Finalement, la répétition de ces études est nécessaire pour suivre dans le temps les évolutions des expositions de la population et estimer les effets des politiques publiques qui visent à les réduire, d’autant plus que cette enquête a permis de préciser certaines valeurs de référence d’exposition, pour les organochlorés, les métabolites des organophosphorés, le glyphosate et son métabolite l’AMPA, l’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4-D), les pyréthrinoïdes et les PCB/dioxines/furanes. Pour rappel, ces valeurs de référence visent à indiquer de façon synthétique le niveau de bruit de fond d’imprégnation de la population, ou de sous-groupes de populations, à une substance donnée et à un moment donné. Elles permettent de comparer les niveaux d’imprégnation à l’échelle locale ou internationale, et de déterminer si une population spécifique est plus exposée que l’ensemble de la population à une substance donnée et à un moment donné, mais elles ne caractérisent pas directement le risque sanitaire lié à un niveau d’exposition donné.

LMA, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Santé publique France. Exposition aux pesticides de la population française : résultats de l’étude ESTEBAN. 16 décembre 2021.

À lire aussi :

Brial X, Coumoul X. Pesticides : ce qui est connu ou suspecté de leur action délétère sur la santé. Rev Prat 2021;71(7):747-51.

Dans : Dossier – Perturbateurs endocriniens (élaboré selon les conseils du Pr Robert Barouki). Rev Prat 2021;71(7);721-52.