Au moment même où l’on commémore les 60 ans de la mort d’Albert Camus, comment ne pas penser à La Peste (1947) face à la décision des autorités chinoises de mettre en quarantaine, pour juguler l’épidémie de coronavirus, une ville de plusieurs millions d’habitants (et depuis plusieurs autres) ?
À l’Oran pestiférée de Camus, on peut opposer la cité coréenne de Busan dans Dernier train pour Busan, un film de Sang-Ho Yeon (2016). Un virus qui transforme les humains en zombies a contaminé cette fois toute la Corée du Sud, à l’exception de la grande cité portuaire qui s’est barricadée et dont les défenseurs abattent tous ceux qui s’en approchent (une référence à la guerre de Corée qui avait vu cette seule ville échapper à l’invasion communiste). Mais cette opposition entre territoires sains et contaminés, barricadés volontairement ou de force, qui symbolise toute l’histoire des grandes épidémies qui ont frappé l’humanité menace de voler en éclats avec cette nouvelle infection, même si ses conséquences seront peut-être moins graves que celles de la grippe saisonnière. Ce que le virus Ebola ou l’agent du SRAS avaient été finalement empêchés de faire, le coronavirus pourrait potentiellement le réaliser en frappant partout et vite, profitant du mouvement brownien mondialisé qui connecte désormais tous les humains entre eux, à moins que ne soit désactivée pour échapper à sa diffusion, dans une folle course de vitesse, une partie des échanges mondiaux, ce qui est train de se faire avec l’isolement progressif de la Chine. Mais avant que Wuhan, épicentre de l’épidémie, ne soit coupée du monde, 5 millions de ses habitants l’avaient déjà quittée pour aller fêter en famille la nouvelle année du rat. Le virus a un temps d’avance et ainsi, alors même que le pays œuvre pour son gigantesque projet des nouvelles routes de la soie, il voit certaines frontières se fermer à ses ressortissants et son économie mise à mal. C’est toute l’économie mondiale qui souffre avec le ralentissement du moteur chinois : ses millions de touristes font défaut tandis que le prix du baril de pétrole s’effondre. Le talon d’Achille de la mondialisation est un banal virus qui semble s’être échappé du royaume des chauves-souris…
La pandémie liée au VIH avait déjà sinistrement inauguré cette capacité d’un virus à infecter des millions de personnes partout dans le monde par un cheminement lié à bien des bouleversements sociétaux ou géopolitiques. Mais les voies de transmission particulières du virus ont permis des parades qui ont empêché que l’épidémie ne désorganise le fonctionnement global de la société, sauf malheureusement en Afrique subsaharienne où les dégâts sont et continuent d’être considérables. Le risque épidémique a toujours été une obsession de nos sociétés. Nous gardons en mémoire la peste de 1720 qui fut la dernière qui frappa la France. La maladie était à bord d’un bateau chargé de marchandises qui venait du Levant et dont des étoffes contaminées, malgré la quarantaine qui lui fut imposée à Marseille, furent sorties en fraude (un scénario remis en cause récemment). L’épidémie fut terrible, tuant la moitié de la population de la ville et plus du quart des Provençaux. Pour contenir d’autres menaces (la fièvre jaune, le choléra et le typhus) Marseille se dota de plusieurs lazarets, et c’est de nouveau à sa proximité qu’une autre quarantaine se poursuit, celle des premiers Français évacués par avion de Wuhan… L’histoire des maladies infectieuses est riche de ces imprévisibles retournements, mais quel virus plus redoutable succèdera au coronavirus ? 

Une question, un commentaire ?