En quoi consiste la mission que vous a confiée la ministre ?
Je la partage avec Sophie Augros, médecin généraliste et encore récemment présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), et Élisabeth Doineau, sénatrice et vice-présidente de la commission des affaires sociales du Sénat. Nous bénéficions également d’un appui de l’IGAS. Je vous rappelle que le plan accès aux soins comporte quatre axes : augmentation du temps médical et soignant, mise en œuvre de la télémédecine, amélioration de l’organisation des professionnels de santé, prise en compte des expériences de terrain réussies.
Notre mission est triple : suivre l’application de ce plan dans les territoires, c’est-à-dire identifier ce qui fonctionne bien et ce qui marche moins bien, en tentant d’en tirer les leçons (lever un frein, suivre une piste de changement ou au contraire l’abandonner) ; rencontrer les acteurs et prendre connaissance des initiatives réussies, pour essayer d’en faire profiter l’ensemble des professionnels et des usagers ; soumettre des propositions au comité ministériel de pilotage du plan, présidé par Agnès Buzyn, pour éventuellement l’adapter aux réalités locales. Nous remettrons un rapport fin décembre à la ministre.
Pour cela, nous allons organiser une série d’auditions auprès des institutions de santé (Cnam, DGOS, etc.), des syndicats de professionnels, médecins et non médecins, des associations d’usagers et de personnalités ayant une compétence sur le sujet. Nous allons également aller au moins une fois par mois à la rencontre des acteurs de santé dans les départements. Notre premier déplacement est prévu à la fin du mois de janvier, dans le Doubs.
Comment choisissez-vous les personnes que vous allez rencontrer ?
Le ministère a demandé aux ARS de nous informer sur les projets innovants dans leurs territoires. Par ailleurs, j’ai contacté un grand nombre de mes collègues députés pour qu’ils en fassent autant quant aux initiatives existant dans leurs circonscriptions. Nous sélectionnerons ensuite ceux qui nous paraissent les plus intéressants.
Quel est votre constat de départ ?
Il existe de nombreuses zones géographiques avec des difficultés d’accès aux soins, leur nombre ayant été augmenté mécaniquement par la révision des critères de sous-dotation. La démographie médicale est en baisse et cela va continuer jusqu’en 2025, l’effet de la hausse du numerus clausus ne se faisant sentir qu’à partir de 2026-2027. Je n’aime pas le terme de « désert médical », qui est excessif : bien souvent, le problème n’est pas l’absence de médecin, mais le fait que celui présent soit sur-sollicité. Mais il est vrai qu’avec les prochains départs à la retraite, certaines communes n’auront plus de praticiens d’ici quelques années. Cela étant, il n’y a pas de zones « sur-dotées » où il faudrait limiter l’installation, comme le proposent certains. Je n’ai jamais entendu quelqu’un se plaindre d’un excès de professionnels de santé ! Quant à l’obligation, j’y suis évidemment opposé.
Il est nécessaire d’augmenter le temps proprement médical. Pour cela, il faut favoriser les remplacements pour que les étudiants puissent commencer à exercer un peu plus tôt en ville, permettre aux praticiens hospitaliers de travailler ponctuellement en dehors de leur établissement, encourager les retraités à poursuivre une activité partielle, discuter avec les autres professionnels de santé (infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes, optométristes, etc.) pour la coordination des soins et le partage des tâches. Je pense en particulier au développement actuel des infirmières de pratiques avancées, aux expérimentations de vaccination par les pharmaciens dans leurs officines ou aux mesures ophtalmologiques faites par les optométristes. De nouveaux métiers sont en train de s’inventer. La transformation de notre système de soins ne se fera certainement pas sans les médecins, mais pas sans les soignants non plus.
Pour un jeune médecin, l’installation en zone sous-dotée pose aussi une problématique de qualité de vie
J’y vois plusieurs aspects. En premier lieu, il est certain que les jeunes générations ne veulent pas travailler 12 à 14 heures par jour au détriment de leur vie familiale. Cela est d’autant plus vrai que la majorité des médecins sont et seront des femmes, qui veulent avoir le temps de s’occuper de leurs enfants et de leur foyer, même si le partage des tâches entre parents augmente fortement. Il y a aussi la question de l’emploi du conjoint. Les jeunes sont sans doute bien plus mobiles que leurs aînés : si les femmes acceptent souvent de suivre leur mari là où il travaille, l’inverse est aussi de plus en plus vrai, l’homme s’adaptant à la carrière de sa compagne.Ceci dit, l’attractivité d’un territoire dépend des mêmes facteurs pour un médecin que pour n’importe qui d’autre : possibilité de scolariser les enfants, existence de commerces (épicerie, boulangerie…), d’infrastructures (bureaux de poste), d’équipements de loisirs, etc. C’est aussi cet état de fait qui nous oblige à réfléchir à des solutions nouvelles. Encore une fois, la télémédecine est un levier essentiel pour cela
Nous nous engageons à doubler le nombre des maisons de santé pluriprofessionnelles et de centres de santé d’ici 5 ans et à ce que toutes bénéficient des nouvelles rémunérations par équipe. Je tiens par ailleurs à rappeler qu’une maison de santé doit être portée par un projet professionnel, et non être à la seule initiative d’une collectivité locale : ça ne fonctionne jamais.
Je crois à la très grande importance de la télémédecine, qui existe depuis longtemps, mais n’avait jamais été reconnue dans le droit commun. Les négociations conventionnelles vont bientôt débuter sur le sujet. Il s’agit d’une vraie solution pour des problèmes d’accès aux soins, dans de nombreuses disciplines, par exemple en dermatologie (envoi d’un cliché pris par le généraliste à un spécialiste pour avis) ou même en psychiatrie, pour laquelle plusieurs territoires manquent de praticiens, ou en EHPAD, dont certains ont commencé à installer des cabines de télémédecine pour leurs patients qui ont des difficultés pour se déplacer.
Oui, ça n’est pas la première fois qu’un plan est lancé, mais celui-ci bénéficie d’une évaluation dès le début. J’ajoute qu’il n’est pas isolé avec, par exemple, les réflexions lancées sur la simplification administrative pour les médecins et la gestion des soins non programmés à laquelle je participe.
Pour les populations défavorisées, l’accessibilité aux soins n’est pas seulement territoriale
Environ 5 % des Français n’ont pas de mutuelle. Certains par choix, beaucoup pour des raisons économiques. Avec l’ensemble des mesures prises depuis de nombreuses années (concernant les personnes en ALD, celles bénéficiant de la CMU, les femmes enceintes, etc.), la problématique des barrières financières aux soins est véritablement prise en compte. Beaucoup de médecins acceptent le tiers payant. Mais il est vrai que c’est un sujet sur lequel nous devons réfléchir, comme la question des dépassements d’honoraires en secteur 2.
Vous êtes très optimiste !
Mais il faut l’être ! On entend ou lit souvent que les professionnels de santé, et les médecins en particulier, résistent aux changements, qui deviennent dès lors impossibles. Mais si nous allons les rencontrer dans les territoires, ce n’est pas pour leur apporter la bonne parole gouvernementale, c’est justement parce qu’ils innovent et que nous voulons bénéficier de leurs expériences. Il est certain qu’il faut rétablir une confiance sérieusement entamée dans les années précédentes. Les Français ont clairement exprimé leur volonté de changement lors des dernières élections. Ils savent que nous n’avons plus le choix de l’attentisme. Nous procédons à des réformes concrètes dans de nombreux domaines. Dans celui de la santé, nous nous appuierons sur l’ensemble des professionnels pour inventer les modes d’exercice de demain.