L’infection par Helicobacter pylori, qui concerne près de la moitié de la population mondiale (15 à 30 % en France, mais 50 % après l’âge de 50-60 ans), est responsable d’une gastrite pouvant entraîner des complications. Cette bactérie est ainsi impliquée dans le développement de la majorité des ulcères gastroduodénaux (UGD) : 95 % des ulcères duodénaux et 70 % des ulcères gastriques y seraient associés.
La recherche et l’éradication d’H. pylori est actuellement indiquée avant la prise d’AINS ou d’aspirine à faible dose en cas d’antécédent d’ulcère gastrique ou duodénal. Des méta-analyses ont en effet montré que les UGD et les hémorragies digestives chez les patients recevant de l’aspirine à faible dose sont fortement associés à la présence de cette bactérie (l’aspirine favoriserait les saignements des ulcères causés par H. pylori) ; des études suggèrent que son éradication aide à prévenir les UGD et les hémorragies digestives dans ce contexte. Toutefois, les essais randomisés contrôlés existants sont limités à la prévention secondaire des récidives d’hémorragie digestive.
L’essai HEAT (Helicobacter Eradication Aspirin Trial), dont les résultats viennent d’être publiés dans le Lancet, a évalué l’effet de l’éradication d’H. pylori en prévention primaire de l’hémorragie digestive liée à un UGD au cours d’un traitement par aspirine. Cette étude est aussi la première de ce genre à être menée en soins primaires.
Un effet protecteur mais temporaire
Cette étude randomisée, contrôlée par placebo en double aveugle, a été réalisée dans plus de 1 200 centres de soins primaires au Royaume-Uni, entre septembre 2012 et novembre 2017. Les patients éligibles étaient âgés de 60 ans et plus (âge moyen à l’inclusion : 73,6 ans ; 72,8 % d’hommes), recevaient de l’aspirine à faible dose (325 mg/j ou moins) au long cours, avec au moins quatre prescriptions de 28 jours au cours de l’année précédente, et avaient un test respiratoire à l’urée marquée au C13 positif pour H. pylori lors du dépistage initial. Les patients prenant des médicaments ulcérogènes ou gastroprotecteurs ont été exclus. Les 5 352 patients inclus ont été aléatoirement répartis dans deux groupes (1:1) : d’une part, éradication active de la bactérie, par une trithérapie per os combinant clarithromycine 500 mg, métronidazole 400 mg et lansoprazole 30 mg, 2 fois par jour pendant 1 semaine ; d’autre part, des placebos oraux. Les deux groupes étaient comparables en termes démographiques et de facteurs de risque d’UGD.
Le critère de jugement principal était le délai d’hospitalisation ou de décès en raison d’une hémorragie certaine ou probable secondaire à un UGD. La durée médiane du suivi a été de 5 ans. Durant la première moitié de cette période (2,5 ans), une réduction significative de l’incidence du critère principal a été observée dans le groupe traité, en comparaison au groupe contrôle : 6 hémorragies digestives secondaires à un UGD avérées ou probables sont survenues dans le groupe traité (0,92 pour 1 000 personnes-années), contre 17 dans le groupe contrôle (2,61 pour 1 000 personnes-années). Cela représentait une réduction de 65 % des hospitalisations dues à une hémorragie secondaire à un UGD dans le groupe ayant bénéficié d’une éradication d’H. pylori. Aucune différence significative n’a été constatée dans l’incidence d’ulcères non compliqués ni d’événements thrombotiques cardiovasculaires. La perturbation du goût était l’événement indésirable le plus fréquent.
Toutefois, l’effet protecteur semblait disparaître avec le temps, car dans le reste de la période de suivi (> 2,5 ans), aucune différence significative n’a été constatée entre les deux groupes. D’après les auteurs, cela pourrait s’expliquer par l’augmentation de la sécrétion acides gastriques ou la réduction de la sécrétion de prostaglandines protectrices malgré l’éradication d’H. pylori.
Qu’en retenir ?
Cette étude confirme que l’aspirine à visée antiagrégante en prévention secondaire expose à un risque hémorragique faible. L’éradication d’Helicobacter pylori prévient les hémorragies de l’ulcère gastroduodénal dans les toutes premières années suivant le traitement (2,5 ans), mais cet effet gastro-protecteur semble d’estomper dans le temps.
Selon les auteurs, ces résultats ne justifient donc pas pour le moment une modification des recommandations afin d’élargir les indications de l’éradication d’H. pylori au-delà des patients à haut risque d’hémorragie digestive par UGD.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Infection par Helicobacter pylori : nouvelles recos. Rev Prat (en ligne) 4 novembre 2022.
Bourée P, Slama D, Salmon D. Infection à Helicobacter pylori. Rev Prat Med Gen 2021;35(1057);239-41.