L’initiation d’un traitement par statines en prévention primaire chez les sujets très âgés (> 75 ans) reste controversée. En effet, si la relation entre la mortalité cardiovasculaire et le taux de cholestérol se maintient dans cette population, ce dernier pèse de moins en moins dans le risque cardiovasculaire – d’autres facteurs, notamment l’âge, prenant le dessus. Ainsi, le traitement n’est pas indiqué systématiquement et la décision se fait au cas par cas, en tenant compte notamment de l’espérance de vie et de certaines comorbidités.
Les résultats des essais randomisés ne sont pas concluants sur ce point. De plus, beaucoup d’études excluent des participants très âgés et polypathologiques, en particulier ceux souffrant de démence. Or, malgré l’absence de données robustes, les statines sont souvent prescrites aux patients très âgés, y compris ceux résidant en Ehpad.
Une étude de cohorte rétrospective a menée en Allemagne et récemment parue dans Neurology est l’une des premières à évaluer les bénéfices d’un traitement par statines chez les personnes âgées résidant en maison de retraite, notamment en présence de démence. Elle avait pour objectif d’évaluer l’effet d’un traitement par statines sur la mortalité toutes causes dans cette population.
Des données sur près de 300 000 personnes résidant en Ehpad ont été recueillies pour la période entre janvier 2015 et décembre 2019 ; 96 162 personnes ont été inclues dans l’analyse. L’âge moyen des participants était 82,91 ans ; un peu plus d’un tiers avaient entre 60 et 79 ans, environ 20 % avaient entre 80 et 84 ans, environ un quart avaient entre 85 et 89 ans, et 20 % avaient plus de 90 ans. Il s’agissait en majorité de femmes (68,9 %). Enfin, 64,9 % avaient une démence, 69,4 % une hyperlipidémie, 46,2 % une maladie cardiovasculaire et 57,7 % une maladie cérébrovasculaire.
La cohorte a été divisée en 4 groupes : patients avec démence ne prenant pas de statines (groupe de référence), patients avec démence prenant des statines, patients sans démence ne prenant pas de statines et patients sans démence prenant des statines.
La prise de statines, définie comme la prescription consécutive de statines pendant au moins 6 mois au cours de la première année de l’étude (1er janvier au 31 décembre 2015), concernait 17,1 % des participants. Les molécules prises incluaient : atorvastatine, fluvastatine, lovastatine, pravastatine, rosuvastatine et simvastatine.
Réduction de 20 % de la mortalité toutes causes
Sur une période moyenne d’observation de 2,25 années, 54 269 décès sont survenus. D’après l’analyse statistique ajustée pour des facteurs comme âge, sexe, maladies cardio- et cérébrovasculaires, diabète, insuffisance cardiaque, hyperlipidémie ou HTA, la prise de statines était associée à une réduction de la mortalité toutes causes, de 20 % chez les patients avec démence et de 27 % chez les patients sans démence, par rapport à leurs homologues ne prenant pas de statines (respectivement : HR = 0,80 [IC95 % : 0,78 - 0,82] et HR = 0,73 [IC95 % : 0,71 - 0,76], p < 0,001).
Les résultats étaient similaires après exclusion des participants ayant un antécédent de maladie cardiovasculaire athéroscléreuse, ainsi que dans l’analyse par sous-groupes selon les différents types de démence et niveaux de dépendance.
Par ailleurs, les analyses stratifiées par âge et par sexe ont aussi donné des résultats similaires, que ce soit dans les groupes de 60 - 79 ans, 80 - 84 ans, 85 - 89 ans ou plus de 90 ans. Globalement, les personnes sans démence et prenant des statines avaient le plus bas risque de mortalité.
Enfin, quant à l’intensité du traitement, un risque significativement accru de mortalité toutes causes a été décelé chez les patients prenant des statines à basse intensité par rapport à ceux les prenant à intensité modérée (HR = 1,27 [IC95 % : 1,18 - 1,36], p < 0,001). Aucune différence n’a été décelée entre le traitement par statines à haute intensité comparée à l’intensité modérée.
Les auteurs en concluent que ces données issues de l’utilisation en vie réelle des statines chez les sujets âgés ayant plusieurs comorbidités, dont la démence, confirment les bénéfices de la prise de ces médicaments, à intensité modérée à haute, sur la réduction de la mortalité toutes causes. Ces résultats convergent avec ceux d’études précédentes. Dans une étude de cohorte rétrospective conduite aux États-Unis chez plus de 300 000 participants âgés de 75 ans et plus, le traitement par statines en prévention primaire était associé à une réduction de la mortalité toute causes et cardiovasculaire (respectivement de 25 % et 20 %). Selon une étude française avec une cohorte basée sur toute la population nationale (plus de 120 000 sujets suivis sur 2,4 ans en moyenne), l’arrêt du traitement par statines en prévention primaire après le 75e anniversaire était associé à une augmentation de 33 % du risque d’événement cardiovasculaire.
Néanmoins, plusieurs limites, notamment le manque d’informations sur la prise des statines avant la période étudiée et sur les autres facteurs de risque cardiovasculaires, comme le style de vie et le tabagisme, incitent à la prudence. En particulier, le manque d’informations sur les causes de mortalité empêche de conclure sur le bénéfice du traitement spécifiquement sur la mortalité cardiovasculaire. Les auteurs soulignent ainsi que la réalisation d’essais randomisés contrôlés est nécessaire.