En France, une visite de non-contre-indication à la pratique sportive est légalement recommandée pour les adultes licenciés et les compétiteurs non licenciés. Mais quel bilan et quelle efficacité en prévention de la mort subite du sportif ? Et qu’en est-il pour le « sportif du dimanche » ?
La partie 1 (Screening cardiaque du sportif : pour !), écrite par François Carré, est à lire à la p. 647 de ce même numéro.
Plus de morts subites dans les gradins que sur le terrain
Pour faire l’objet d’un programme de dépistage, une maladie doit constituer une menace grave de santé publique. Ce critère indispensable est le premier des dix édictés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour juger de l’intérêt d’un dépistage organisé.1 La mort subite du sportif peut-elle réellement entrer dans cette catégorie ?
Elle concerne 800 à 1 000 cas par an en France, dont 30 à 50 jeunes athlètes de compétition.2 La femme a un risque jusqu’à 35 fois plus faible que l’homme (on estime à 30-40 le nombre de cas survenant chez la femme chaque année sur le territoire).3 Ces chiffres sont insignifiants au regard de ceux des autres pathologies qui bénéficient actuellement de programmes de dépistage organisé (un exemple parmi d’autres, 54 000 nouveaux cas par an de cancers du sein, chiffre de l’Institut national du cancer).
De plus, son pronostic est relativement bon puisque dans certaines régions françaises le taux de survie à la sortie de l’hôpital frôle les 50 % (comparé aux 7 à 10 % après un arrêt cardiaque en dehors de toute activité sportive) avec un statut neurologique fonctionnel souvent satisfaisant (plus de 80 % de score de performance cérébrale [CPC] à 1-2).4 Au cours des 20 derniers mois sur Paris et sa petite couronne, le taux de survie après un arrêt cardiaque pendant une activité sportive a même atteint 66 % (données non encore publiées), un chiffre relativement similaire à ceux rapportés sur les grands campus américains.5
Cela signifie donc qu’en termes de véritables morts subites (individus décédés subitement malgré une tentative de réanimation, en considérant un taux de ressuscitation de 50 %), il y a environ 400 à 500 cas chaque année, dont 15 à 25 jeunes athlètes de compétition et 15 à 20 femmes…
Sous cet angle, il paraît difficile de considérer la mort subite du sportif comme un problème de santé publique éligible à la mise en place d’un programme de dépistage systématique.
Le don de voyance et ses conséquences …
L’OMS stipule également qu’un examen de dépistage efficace, fiable et reproductible est nécessaire.1
L’électrocardiogramme (ECG) permet le dépistage des sujets ayant une cardiopathie (potentiellement à risque de mort subite) avec un meilleur rendement que l’interrogatoire et l’examen clinique seuls. Cependant, son interprétation reste délicate, et la standardisation de sa lecture difficile.6, 7 On considère qu’il existe 20 à 30 % de résultats faussement positifs à ce test, avec pour conséquences une suspension de la pratique sportive pouvant être prolongée, la réalisation d’examens complémentaires potentiellement invasifs (et coûteux) chez des patients asymptomatiques, et la génération d’inquiétude et d’anxiété chez le patient. De plus on ignore encore aujourd’hui le taux de faux négatifs de cet examen.8 La principale cause de la mort subite du sportif est la maladie coronarienne.2 Or, l’ECG n’est pas indiqué pour son dépistage, et sa recherche dans une population non sélectionnée (i.e. asymptomatique, sans facteurs de risque cardiovasculaire) n’est pas recommandée.9 La réalisation d’un ECG qui permettrait de diminuer le nombre de morts subites liées au sport reste donc un vœu pieu (sic).10, 11
L’éventualité d’un autre outil de dépistage est rendue caduque par le fait que nous ne disposons pas actuellement de marqueur suffisamment fiable pour identifier les sujets à haut risque de mort subite.
Par ailleurs, une fois le risque de mort subite du sportif supposément dépisté, encore faut-il pouvoir en éviter la survenue. Contre-indiquer formellement toute activité sportive (y compris de loisir) permettrait certainement d’éviter toute mort subite liée au sport… Mais les bénéfices d’une activité physique régulière sont bien démontrés et recommandés par les sociétés savantes, et sa pratique permet même à moyen et long terme une réduction très significative du risque de mort subite.12, 13 C’est le fameux « paradox of exercise » de Barry Maron.14 Le fait d’avoir une cardiopathie sous-jacente augmente (transitoirement) le risque d’arrêt cardiaque pendant une activité sportive, mais, même dans ce contexte, les dernières recommandations transatlantiques sont de plus en plus permissives…15-18
En bref, nous ne disposons pas actuellement d’un outil permettant de prédire la mort subite du sportif pour en éviter la survenue.
L’arbre qui cache la forêt
Le mirage d’un programme de dépistage ne doit pas nous détourner des mesures que nous savons être réellement efficaces pour réduire la mort subite, valables chez le sportif mais également en population générale (non liée à une activité sportive).
L’éducation des patients est primordiale. En effet, 50 % des victimes ont des symptômes (principalement de l’angor) dans les jours précédant l’arrêt cardiaque.19 Il faut donc communiquer la nécessité de rapporter la survenue de toute symptomatologie nouvelle. Par ailleurs, l’optimisation du traitement des patients suivis en cardiologie et de la prise en charge de leurs facteurs de risque cardiovasculaire permettrait probablement d’éviter bon nombre de morts subites ; 50 % des patients qui font un arrêt cardiaque ont déjà une cardiopathie connue ou des facteurs de risque cardiovasculaire.20 Et la maladie coronarienne restant la principale cause de mort subite, y compris chez le sportif,2 l’éducation de la population au respect des règles hygiénodiététiques, alliée au dépistage systématique et à la lutte contre les facteurs de risque cardiovasculaire, pourrait finalement être le meilleur outil de prévention.
Les dix règles d’or du club des cardiologues du sport sont particulièrement intéressantes dans ce cadre et probablement très efficaces dans la lutte contre la mort subite du sportif (
L’autre levier primordial à activer est l’amélioration de la chaîne de survie. Les disparités régionales des chiffres de survie montrent bien que l’éducation de la population aux gestes qui sauvent et à l’utilisation des défibrillateurs automatiques externes pourrait transformer la mort subite en événement quasiment bénin. 21, 22 Les Japonais ont même récemment réussi à hausser le taux de survie au-delà de 90 % pour les arrêts cardiaques survenant lors de courses sportives !14
Contre !
L’éducation des patients et l’amélioration de la chaîne de survie sont deux éléments qui, combinés, sont particulièrement efficaces pour lutter contre la mort subite du sportif et ont l’avantage d’également agir contre la mort subite en population générale, qui fait quelque 40 000 à 50 000 victimes par an en France.
Soyons ambitieux ! Ne nous trompons pas de cible ! Screening cardiaque du sportif : beaucoup d’émotion et peu de rationnel scientifique…
1. Wilson JMG, Jungner G, Organization WH. Principes et pratique du dépistage des maladies. Genève : Organisation mondiale de la Santé, 1970.
2. Marijon E, Tafflet M, Celermajer DS, et al. Sports-related sudden death in the general population. Circulation 2011;124:672-81.
3. Marijon E, Bougouin W, Périer MC, Celermajer DS, Jouven X. Incidence of sports-related sudden death in France by specific sports and sex. JAMA 2013;310:642-43.
4. Berdowski J, de Beus MF, Blom M, et al. Exercise-related out-of-hospital cardiac arrest in the general population: incidence and prognosis. Eur Heart J 2013;34:3616-23.
5. Drezner JA, Toresdahl BG, Rao AL, Huszti E, Harmon KG. Outcomes from sudden cardiac arrest in US high schools: a 2-year prospective study from the National Registry for AED Use in Sports. Br J Sports Med 2013;47:1179-83.
6. Harmon KG, Zigman M, Drezner JA. The effectiveness of screening history, physical exam, and ECG to detect potentially lethal cardiac disorders in athletes: a systematic review/meta-analysis. J Electrocardiol 2015;48:329-38.
7. Drezner JA, Ackerman MJ, Anderson J, et al. Electrocardiographic interpretation in athletes: the “Seattle criteria”. Br J Sports Med 2013;47:122-4.
8. Berge HM, Andersen TE, Bahr R. Cardiovascular incidents in male professional football players with negative preparticipation cardiac screening results: an 8-year follow-up. Br J Sports Med 2019;53:1279-84.
9. Knuuti J, Wijns W, Saraste A, et al. ESC scientific document group. 2019 ESC Guidelines for the diagnosis and management of chronic coronary syndromes. Eur Heart J 2020;41:407-77.
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11. Steinvil A, Chundadze T, Zeltser D, et al. Mandatory electrocardiographic screening of athletes to reduce their risk for sudden death proven fact or wishful thinking? J Am Coll Cardiol 2011;57:1291-6.
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13. Pelliccia A, Sharma S, Gati S, et al. ESC scientific document group. 2020 ESC guidelines on sports cardiology and exercise in patients with cardiovascular disease: The Task Force on sports cardiology and exercise in patients with cardiovascular disease of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J 2021;42:17-96.
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19. Marijon E, Uy-Evanado A, Dumas F, et al. Warning symptoms are associated with survival from sudden cardiac arrest. Ann Intern Med 2016;164:23-9.
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21. Marijon E, Bougouin W, Celermajer DS, et al. Major regional disparities in outcomes after sudden cardiac arrest during sports. Eur Heart J 2013;34:3632-40.
22. Karam N, Narayanan K, Bougouin W, et al. Major regional differences in automated external defibrillator placement and basic life support training in France: further needs for coordinated implementation. Resuscitation 2017;118:49-54.
23. Kinoshi T, Tanaka S, Sagisaka R, et al. Mobile automated external defibrillator response system during road races. N Engl J Med 2018;379:488-9.