La reconnaître rapidement pour éviter le nomadisme médical qui aggrave les symptômes.
Par Patrice Bourée*/**, Francine Bisaro*, Aliréza Ensaf*
Motif de plus en plus fréquent de consultation, cette affection a fait l’objet de vives controverses. Longtemps considérée comme une variété d’hystérie féminine,1 elle n’a été reconnue par l’OMS qu’en 1992.
La prévalence est de 1-2 % de la population, avec des différences selon les pays (tableau) et les régions (de 0,7 à 11,4 % en zone urbaine et de 0,1 à 5,2 % en milieu rural).2
Les femmes entre 20 et 50 ans sont particulièrement concernées (80 % des cas). Aux états-Unis, elle est impliquée dans 1 cas d’invalidité sur 10 et en Israël elle motive 20 % des consultations en rhumatologie. En France, elle est responsable d’arrêts de travail (44 % des patients), de perte d’emploi (47 %) et de retraite anticipée, avec un impact économique considérable. Cependant, selon l’Académie nationale de médecine en 2007, elle ne justifie ni une mise en invalidité ni une prise en charge en affection de longue durée.3

Grand polymorphisme clinique

La fibromyalgie s’exprime par des douleurs diffuses à prédominance axiale, relativement symétriques, de tonalité variable (pression, brûlure), permanentes mais aggravées par l’effort et influencées par de nombreux facteurs (encadré 1). Sont associés une fatigue chronique, en particulier matinale, et des troubles du sommeil.
D’autres symptômes : sensibilité cutanée exacerbée, paresthésies, enraidissement, sensations de gonflement des extrémités, douleurs abdominales et troubles du transit (syndrome de l’intestin irritable), céphalées de tension, vessie irritable, troubles de concentration, symptômes anxieux et dépressifs, sensations vertigineuses, et parfois syndrome de Raynaud. Les bilans biologiques et radiologiques sont normaux.
En 1990, l’American College of Rheuma-tology (ACR)a établi des critères diagnostiques relativement précis : algies diffuses de la région axiale résistant aux antalgiques habituels et persistant depuis plus de 3 mois, et douleurs à la palpation d’au moins 11 points sur 18 sites identifiés (figure). Ces critères, discutables car ils ne prennent en compte que la douleur, ont été revus et précisés en 2010 (encadré 2).4
Les examens éliminent les nombreux diagnostics différentiels : rhumatismes diffus, polyarthrite rhumatoïde, sclérose en plaques, syndrome post-traumatique, fatigue chronique, maladie de Lyme, hypothyroïdie, Gougerot-Sjögren, dépression, pseudopolyarthrite rhizomélique.

étiologies : multiples

Les mécanismes physiopathologiques ne sont pas complètement élucidés. Plusieurs facteurs seraient impliqués : troubles hormonaux, perturbations du système nerveux, stress familial ou professionnel, prédisposition génétique, facteurs environnementaux, antécédents de traumatisme. S’y ajoute un sentiment d’injustice face à l’incompréhension du milieu médical.
Récemment, des anomalies métaboliques (non spécifiques) ont été objectivées (dans le liquide céphalorachidien des patients) : augmentation du taux de neurotransmetteurs (substance P), d’endorphine, d’enképhaline et de facteur de croissance nerveuse (NGF), baisse des concentrations de sérotonine et de dopamine. Toutes ces substances ont un rôle dans la perception de la douleur. Par ailleurs, des études en imagerie fonctionnelle cérébrale auraient retrouvé une modification de la circulation sanguine au niveau du thalamus et dans différentes zones du cortex, ainsi qu’une hyperactivité dans l’aire corticale de la douleur. Ainsi, un dysfonctionnement des mécanismes centraux du contrôle de la douleur, entraînant une hypersensibilité, serait en cause.

Quelles thérapeutiques ?

L’évolution est bénigne mais souvent chronique. Les stratégies (médicamenteuses ou non) étant modérément efficaces, la prise en charge est en grande partie empirique. Elle nécessite une approche multidisciplinaire et personnalisée en fonction de la clinique et des besoins de chaque patient.
L’éducation est essentielle : il faut expliquer les symptômes, les traitements, renforcer la motivation, planifier l’activité physique, accroître l’autonomie.
Selon les nouvelles recommandations de l’EULAR (2016),5 les approches non médicamenteuses doivent être proposées en première intention.
Seul l’exercice physique a montré une efficacité significative, notamment contre la douleur et le handicap fonctionnel. Les pratiques de type méditation en mouvement (yoga, tai chi, qi gong…) auraient un intérêt modéré sur le sommeil, la fatigue et la qualité de vie. La relaxation purement méditative a un faible effet sur la qualité de vie et la douleur, de même que l’acupuncture (qui semble améliorer douleur et fatigue) et les cures thermales (douleur et qualité de vie). Certaines approches alternatives n’ont pas de preuve d’efficacité : hypnothérapie, massages, homéopathie, visualisation guidée. La chiropraxie est fortement déconseillée pour des raisons de sécurité (effets indésirables légers à modérés après les manipulations vertébrales).
Les psychothérapies peuvent être préconisées après échec de ces stratégies, chez les patients ayant des troubles de l’humeur ou qui peinent à accepter la maladie. En particulier, les thérapies comportementales et cognitives auraient une capacité faible mais significative à réduire de manière durable les symptômes douloureux et le handicap, et à soulager les troubles de l’humeur.
Les traitements médicamenteux, souvent prescrits en pratique (encadré 2), ne sont à envisager qu’en seconde intention : antalgiques (paracétamol, tramadol) chez les personnes ayant des symptômes douloureux prédominants, amitriptyline à faible dose, cyclobenzaprine (pas en France) ou prégabaline en cas de troubles du sommeil sévères. AINS, IMAO et inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine sont à éviter (manque d’efficacité). Hormone de croissance humaine, oxybate de sodium, opiacés de niveau 3 et cortico-stéroïdes sont fortement déconseillés.
Aggravation : asthénie, tristesse, désespoir, dépression, cafard, pessimisme, soucis, nervosité, colère, peur, désœuvrement, isolement, insomnie, allergies, mauvaise condition physique.
Diminution : repos, gaité, espoir, plaisir, bon moral, joie, optimisme, relaxation, vie calme, bon caractère, activité, sécurité, bonne condition physique.
Trois conditions doivent être réunies :
1. Widespread Pain Index (WPI)* ≥ 7 et Symptom Severity (SS)** scale score ≥ 5 ou bien WPI entre 3 et 6 et SS scale score ≥ 9
2. Chronicité des symptômes de même intensité depuis au moins 3 mois
3. Absence d’une autre maladie qui pourrait expliquer la douleur
C’est une affection polymorphe, d’étiologie probablement multifactorielle.
Un syndrome dépressif et un sentiment d’injustice sont souvent associés.
La guérison est longue et nécessite que le patient accepte sa pathologie et les traitements proposés.
L’exercice physique est fortement recommandé.
Plus de 4 500 patients fibromyalgiques ont répondu à un questionnaire établi par 2 experts rhumatologues et 1 spécialiste de la douleur.6 Les résultats confirment que cette pathologie concerne essentiellement les femmes (93 %), âgées en moyenne de 48 ans, mariées (69 %) et avec des enfants (80 %). Ces patientes souffrent depuis 5 ans en moyenne et ont déjà eu au moins un arrêt de travail pour ce motif dans l’année.
Principaux symptômes : douleurs diffuses (99 %), fatigue chronique (98 %), asthénie (90 %), insomnie (90 %), dysesthésies (73 %), anxiété (52 %), syndrome dépressif (50 %). Une arthrose est retrouvée chez 49 % des participants.
La majorité (73 %) pensent avoir identifié l’élément déclenchant, d’ordre psychologique (76 %) ou physique (50 %) et des facteurs d’aggravation comme les traumatismes physiques (94 %), les déplacements (84 %), le travail (80 %) ou les situations de conflit (90 %), aggravés par un syndrome dépressif et un sentiment d’injustice (70 %) devant la fréquente absence de reconnaissance de leur pathologie.
Enfin, 77 % des patients ont été traités par des médicaments (antalgiques 94 %), antidépresseurs (82 %), antiépileptiques (55 %), anti-inflammatoires (54 %) ou diverses combinaisons, mais aussi par l’ostéopathie (41 %), l’acupuncture (21 %) ou encore l’homéopathie (19 %).
* Mesure quantitative de la douleur : de 0 à 19 ; ** score de sévérité : de 0 à 12.
Encadre

1. Facteurs influençant les symptômes

Aggravation : asthénie, tristesse, désespoir, dépression, cafard, pessimisme, soucis, nervosité, colère, peur, désœuvrement, isolement, insomnie, allergies, mauvaise condition physique.

Diminution : repos, gaité, espoir, plaisir, bon moral, joie, optimisme, relaxation, vie calme, bon caractère, activité, sécurité, bonne condition physique.

Encadre

2. Critères diagnostiques ACR 2010

Trois conditions doivent être réunies :

1. Widespread Pain Index (WPI)* ≥ 7 et Symptom Severity (SS)** scale score ≥ 5 ou bien WPI entre 3 et 6 et SS scale score ≥ 9

2. Chronicité des symptômes de même intensité depuis au moins 3 mois

3. Absence d’une autre maladie qui pourrait expliquer la douleur

* Mesure quantitative de la douleur : de 0 à 19 ; ** score de sévérité : de 0 à 12.
Encadre

Résultats d’une enquête nationale

Plus de 4 500 patients fibromyalgiques ont répondu à un questionnaire établi par 2 experts rhumatologues et 1 spécialiste de la douleur.6 Les résultats confirment que cette pathologie concerne essentiellement les femmes (93 %), âgées en moyenne de 48 ans, mariées (69 %) et avec des enfants (80 %). Ces patientes souffrent depuis 5 ans en moyenne et ont déjà eu au moins un arrêt de travail pour ce motif dans l’année.

Principaux symptômes : douleurs diffuses (99 %), fatigue chronique (98 %), asthénie (90 %), insomnie (90 %), dysesthésies (73 %), anxiété (52 %), syndrome dépressif (50 %). Une arthrose est retrouvée chez 49 % des participants.

La majorité (73 %) pensent avoir identifié l’élément déclenchant, d’ordre psychologique (76 %) ou physique (50 %) et des facteurs d’aggravation comme les traumatismes physiques (94 %), les déplacements (84 %), le travail (80 %) ou les situations de conflit (90 %), aggravés par un syndrome dépressif et un sentiment d’injustice (70 %) devant la fréquente absence de reconnaissance de leur pathologie.

Enfin, 77 % des patients ont été traités par des médicaments (antalgiques 94 %), antidépresseurs (82 %), antiépileptiques (55 %), anti-inflammatoires (54 %) ou diverses combinaisons, mais aussi par l’ostéopathie (41 %), l’acupuncture (21 %) ou encore l’homéopathie (19 %).

références
1. Inancini F, Yunus MB. History of fibromyalgia: past to present. Curr Pain Headache Rep 2004;8: 369-78.

2. Marques AP, Santo ASDE, Berssaneti AA, Matsutani LA, Yuan SLK. Prevalence of fibromyalgia: literature review update. Rev Bras Reumatol Engl Ed 2017;57:356-63.

3. Menkes CJ, Godeau P. Fibromyalgie. Bull Acad Nat Med 2007;191:143-8.

4. Heymann RE, Paiva ES, Martinez JE, et al. New guidelines for the diagnosis of fibromyalgia. Rev Bras Reumatol Engl Ed 2017;57(Suppl 2):467-76.

5. Macfarlane GJ, Kronisch C, Dean LE, et al. EULAR revised recommendations for the management of fibromyalgia. Ann Rheum Dis 2016;76:318-28.

6. Laroche F, Guérin J, Azoulay D, Coste J, Perrot S. La fibromyalgie en France : vécu quotidien, fardeau professionnel et prise en charge. Enquête nationale auprès de 4 516 patients. Rev Rhum 2018 (sous presse). DOI: 10.1016/j.rhum.2018.01.002

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essentiel

C’est une affection polymorphe, d’étiologie probablement multifactorielle.

Un syndrome dépressif et un sentiment d’injustice sont souvent associés.

La guérison est longue et nécessite que le patient accepte sa pathologie et les traitements proposés.

L’exercice physique est fortement recommandé.