Le diagnostic de fibromyalgie est posé devant des douleurs corporelles diffuses constantes depuis plus de 3 mois. Ces symptômes sont fréquemment accompagnés d’anxiété, de dépression et de troubles de sommeil. Les médecins généralistes se trouvent souvent être le premier recours de ces sujets douloureux chroniques. Quelle prise en charge proposer au vu des nouvelles connaissances sur cette maladie ? Interview du Dr Marie-Anne Pidolle, médecin généraliste à Metz.
Quelles sont les causes de la fibromyalgie ?
C’est une maladie plurifactorielle. Bien qu’une méta-analyse ait trouvé une neuropathie des petites fibres dans 49 % des cas étudiés, les mécanismes sont surtout fonctionnels. Plusieurs études ont montré une corrélation probable entre fibromyalgie et traumatismes vécus dans l’enfance. Il s’agit surtout de traumatismes chroniques ou de négligences (impression de ne pas être aimé par exemple) ayant entraîné un trouble de stress post-traumatique non diagnostiqué. Le syndrome fibromyalgique se développe souvent chez l’adulte à la suite d’un événement qui réactive ce traumatisme infantile : agression, harcèlement, accident sur la voie publique…
Comment peut-on expliquer ce lien du point de vue biologique ?
On constate chez les fibromyalgiques une hypersensibilité à la douleur. Or on sait que le trouble de stress post-traumatique peut entraîner une baisse du seuil de la douleur, via des modifications au niveau de l’hippocampe et du cerveau préfrontal.
Quelles implications dans la prise en charge ?
Tout d’abord, il faut repérer les personnes victimes de stress post-traumatique et les prendre en charge tout de suite, de façon à prévenir l’installation de la douleur et sa chronicisation. Les thérapies cognitivo-comportementales, et en particulier la technique « eye movement desensitization and reprocessing » (EMDR ou désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) semble un traitement très prometteur.
Que proposer à ces patients ?
Beaucoup de ces patients (en règle générale des femmes) ne sont diagnostiqués qu’au bout de plusieurs années d’errance médicale, et ont rencontré des soignants leur disant que « la douleur, c’est dans leur tête ». Tout d’abord, il faut les écouter et reconnaître leur douleur, leur expliquer les mécanismes et l’évolution de cette maladie, leur recommander de faire de l’exercice physique – pour maintenir leur musculature en état et préserver leur autonomie – et d’avoir une bonne hygiène de vie (sommeil, alimentation équilibrée). La kinésithérapie est souvent bénéfique. Si nécessaire, on peut introduire un antidépresseur à type de milnacipran ou duloxétine, qui agit sur la douleur et les troubles anxiodépressifs associés. Si un stress post-traumatique est identifié, il faut les adresser à un psychiatre pour une prise en charge spécifique.
En l’absence de traitement miracle, il faut convaincre ces femmes de bien se prendre en charge, de travailler sur elles-mêmes sans se positionner en victimes. Il faut leur expliquer les mécanismes de la douleur et comment ces derniers sont augmentés par l’anxiété, le catastrophisme. Une fois qu’elles le comprennent, elles peuvent mieux gérer leurs symptômes…
Un dernier message pour les médecins généralistes ?
Prendre en charge ces patients est difficile et chronophage, parfois épuisant… Il ne faut pas hésiter à faire appel – selon le profil des patients – à des algologues, des rhumatologues, des psychiatres, ou des psychologues (parfois des neurologues) formés aux troubles somatoformes. On peut également adresser le patient à un centre de la douleur où il pourra bénéficier d’une prise en charge globale et multidisciplinaire.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
À lire aussi
Pidolle MA, El-Hage W. Fibromyalgie et stress post-traumatique : place des psychotropes et psychothérapies. Rev Prat 2020;70:1011-6.
Rezzoug D, Le Du C, Baubet T. EMDR, thérapies par les mouvements oculaires et hypnose dans la prise en charge du trouble de stress post-traumatique. Rev Prat 2018;68:102-4.
Photo : Dr Marie-Anne Pidolle