Quelques notions d’éco-épidémiologie
Identifié pour la première fois dans les années 1940-1950, simultanément en Crimée et au Congo (d’où son nom), le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) s’est finalement révélé endémique dans plusieurs pays à travers l’Afrique, l’Asie, le Moyen Orient et l’Europe de l’Est (Balkans surtout : une cinquantaine de cas par an en Roumanie et en Albanie).
La distribution de ce nairovirus se superpose à la localisation de différentes espèces de tiques dures de la famille des Ixodidae, notamment le genre Hyalomma, ses réservoirs naturels. Ces dernières sont son principal vecteur en Europe, bien que d’autres espèces de tiques puissent être infectées : Ixodes ricinus, Dermacentor marginatus, Dermacentor reticulatus…
Leurs larves infectent préférentiellement des petits mammifères (rongeurs et lagomorphes) ou des oiseaux, au sein desquels elles se transforment en nymphes. Ces dernières se détachent ensuite de leur hôte et muent en adultes qui rechercheront un nouvel hôte, un grand mammifère la plupart du temps.
La maladie est principalement transmise à l’homme par les morsures de tiques mais elle peut l’être également par contact avec le sang ou les fluides corporels de personnes ou d’animaux infectés (ruminants surtout, mais aussi un grand nombre d’animaux sauvages). Des transmissions nosocomiales ont été décrites, en milieu hospitalier, où les soignants ont été les premiers touchés, le contact percutané étant identifié comme la principale voie de transmission.
Quels risques en France ?
Bien qu’aucun cas autochtone n’ait été détecté jusqu’à présent en France, plusieurs raisons font craindre une extension des zones de répartition de cette maladie.
Selon l’Académie des sciences, l’incidence et l’extension géographique de la maladie sont en augmentation depuis 2000, probablement en lien avec l’expansion géographique de tiques vecteurs. Dans son expertise scientifique récente, l’Anses a confirmé le risque d’émergence de la FHCC en France et appelé à mettre en place une surveillance de ces tiques à l’échelle nationale.
En cause : le réchauffement climatique, l’introduction d’Hyalomma spp par les oiseaux migrateurs, le commerce international de bétail. Les tiques Hyalomma spp aiment les périodes chaudes et les biotopes arides ou semi-arides de basse et moyenne altitude ; c’est pourquoi on les retrouve surtout dans la garrigue ou le maquis du pourtour méditerranéen, contrairement aux autres tiques qui sont plutôt forestières. Elles sont maintenant présentes en Europe occidentale, y compris dans le sud de la France métropolitaine, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
En Espagne, 11 cas autochtones ont été confirmés entre 2016 et 2022, tous survenus entre les mois d’avril et août (10 par piqûres de tiques ; 1 transmission interhumaine ; 4 patients sont décédés), alors que les premières tiques infectées y ont été détectées en 2010 (un autre cas a été identifié rétrospectivement pour l’année 2013).
En France, trois espèces de tiques du genre Hyalomma sont présentes. Elles sont notamment implantées en Corse depuis des décennies, la séroprévalence de ce virus y est élevée dans le bétail, notamment chez les bovins (13 %), les ovins et caprins (2 à 3 %), témoignant d’une infection passée. Depuis 2015, elles sont implantées sur le littoral méditerranéen.
Ainsi, compte tenu de la large distribution de son vecteur, des nombreuses espèces animales qui peuvent servir d’hôtes amplificateurs et des conditions climatiques favorables dans plusieurs pays européens riverains de la Méditerranée, il est fortement possible que l’aire de répartition de ce virus se développe à l’avenir.
Si l’Anses estime encore que la probabilité d’une transmission vectorielle du virus de la FHCC reste faible en France, la vigilance est de mise, notamment parce que les zones au climat méditerranéen vont très probablement s’étendre dans les prochaines décennies en raison des changements climatiques en cours, augmentant ainsi l’aire de distribution de ces tiques.
Quelles sont les populations les plus exposées ?
Les populations à risque sont principalement celles qui ont des contacts fréquents avec le bétail ou les animaux sauvages (éleveurs, employés d’abattoirs, vétérinaires, etc.) et celles qui sont actives dans des zones où les tiques sont présentes (randonneurs, chasseurs, etc.).
Cette maladie est également à inclure dans le diagnostic différentiel de la fièvre au retour de voyage d’une zone d’endémie.
Quels symptômes ?
Le fait que les symptômes chez l’homme soient très peu spécifiques, allant d’un léger syndrome grippal à une fièvre hémorragique sévère, peut contribuer à retarder le diagnostic et entraîner un développement inefficace des plans d’urgence et de secours. La gravité dépend aussi de la souche du virus. Le taux de mortalité varie entre 5 et 40 %.
Quatre phases sont classiquement décrites :
- Incubation : 1 à 3 jours en cas de piqûre de tique (maximum 9 jours) ; 5 à 6 jours après contact avec du sang ou des tissus infectés (maximum 13 jours).
- Phase pré-hémorragique (1 à 7 jours) : syndrome grippal non spécifique avec fièvre, céphalées, myalgies, troubles digestifs, conjonctivite et hyperémie du visage, du cou et de la poitrine.
- Phase hémorragique (3 à 6 jours après le début de la maladie) : formation de pétéchies et d’ecchymoses, présence de sang dans les urines et les fèces, saignements externes (nez, gencives, peau, etc.). Dans les cas les plus graves, des hémorragies cérébrales et des nécroses massives du foie peuvent être observées (associées à des pronostics vitaux défavorables).
- Convalescence : 10 à 20 jours, mais la récupération complète peut nécessiter une année. Il n’y a pas de rechute connue.
Le diagnostic microbiologique peut être virologique (PCR en temps réel fiable et rapide) ou sérologique (des IgM sont détectables à partir du 6e jour environ et restent présentes jusqu’à 4 mois ; les IgG apparaissent rapidement et peuvent persister jusqu’à 5 ans). C’est une maladie à déclaration obligatoire.
Traitement et prévention
Aucun traitement antiviral ou prophylactique spécifique, ni de vaccin, n’existe aujourd’hui pour cette maladie. La prise en charge repose sur un traitement de support : administration de produits sanguins ; corticostéroïdes associés à du plasma et des immunoglobulines intraveineuses, jugés parfois efficaces ; la ribavirine, un antiviral qui a montré une activité in vitro, est utilisée, mais son efficacité reste débattue.
Les mesures barrières restent donc indispensables afin d’éviter les morsures de tiques et l’exposition aux animaux ou humains infectés : protection antivectorielle ; prévention pour les professionnels travaillant dans les abattoirs ; dans le secteur de la santé pour éviter les accidents d’exposition au sang, etc. morsures de tiques et l’exposition aux animaux ou humains infectés : protection antivectorielle ; prévention pour les professionnels travaillant dans les abattoirs ; dans le secteur de la santé pour éviter les accidents d’exposition au sang, etc.
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