L’ostéoporose a été définie comme priorité nationale dans le plan « Ma santé 2022 ». En dépit des connaissances sur cette maladie et d’un arsenal thérapeutique bien fourni et efficace, sa prise en charge est loin d’être suffisante. C’est pourquoi de nouvelles organisations, appelées filières fractures (Fracture Liaison Services pour les anglophones) se mettent en place.

Prévenir la cascade fracturaire

Cette maladie diffuse du squelette est caractérisée par une baisse de la densité minérale osseuse, à l’origine de fractures. Elles surviennent à la suite d’un traumatisme de faible énergie, équivalent au maximum à une chute de la hauteur du patient. De nombreuses études menées ces dernières années ont mis en évidence un défaut de prise en charge de l’ostéoporose fracturaire à l’échelle internationale : dépistage insuffisant, défaut de prescriptions médicamenteuses, déficit de suivi et de renouvellement des traitements.
Pourtant, après une première fracture ostéoporotique, les patients ont 2 fois plus de risque d’en faire une autre. La récidive est d’autant plus fréquente que le premier épisode est récent, on parle de « risque imminent » de refracture.
Certaines, dites sévères, sont associées à un excès de mortalité, notamment si elles concernent une vertèbre, l’extrémité supérieure du fémur ou de l’humérus. Les autres (os de l’avant-bras, par exemple), sans s’accompagner d’une surmortalité, peuvent avoir un impact important et engendrer de nouveaux épisodes, dont des fractures sévères.
L’arsenal thérapeutique s’est largement développé ces dernières années. On distingue 2 catégories de médicaments aux effets différents : les antirésorbeurs et les ostéoformateurs. Les indications du traitement anti-ostéoporotique sont régies par des recommandations, réactualisées récemment en France.1 Les fractures sévères doivent conduire à une prescription médicamenteuse, alors que pour les fractures non sévères, celle-ci dépend du résultat de l’ostéodensitométrie, du calcul individuel du risque de fracture sur 10 ans (FRAX) et d’une évaluation de la balance bénéfice/risque.
Les indications théoriques à dépister et traiter l’ostéoporose après la survenue d’une fracture de fragilité font face à des difficultés pratiques, liées entre autres au parcours des patients (passage par les urgences puis retour à domicile ou dans un service non spécialisé), méconnaissance de la maladie et de ses traitements, mauvaise image véhiculée par les médias qui ont mis en avant les effets secondaires plutôt que la gravité de cette affection et de ses conséquences.
Ainsi, un constat global de défaut de prise en charge a été fait au niveau national et international, conduisant à une réflexion visant à améliorer la qualité des soins.

Une solution : les filières fractures

Dans les années 2000, des organisations transversales dédiées à la gestion de l’ostéoporose fracturaire ont ainsi vu le jour. La dénomination internationale les désigne sous le nom de Fracture Liaison Services ;2 en France, on utilise plutôt le terme de « filières fractures ». Il s’agit de programmes de soins permettant, via une collaboration multidisciplinaire généralement coordonnée par un(e) infirmier(e), le recensement de patients avec fracture ostéoporotique, et leur prise en charge adéquate (dépistage et traitement si indiqué), même s’ils ne sont pas nécessairement passés par une hospitalisation en rhumatologie.

Difficultés pratiques

Méconnaissance des fractures ostéo- porotiques et recensement des patients. Aux urgences, le diagnostic est parfois établi par erreur (doute sur une radiographie, ostéopathie fragilisante – métabolique, maligne – prise à tort pour une ostéoporose). La fracture n’est parfois pas identifiée (difficultés à voir le trait de fracture, comorbidités la reléguant au 2nd plan). Par ailleurs, il faut trouver des moyens pour recenser quotidiennement ces événements ; par exemple via un bilan journalier au service des urgences pour directement recueillir les diagnostics des 24 heures ou alors plus facilement par le recensement automatisé des codages correspondant aux diagnostics de fractures.
Complexité du parcours de soins. Les patients ayant consulté aux urgences peuvent ensuite soit être hospitalisés dans une unité non spécifiquement dédiée à la rhumatologie, soit retourner à domicile ou en institution. Le problème est d’établir et de garder le contact avec ces malades diversement orientés et la potentielle difficulté à les joindre par téléphone ou par courrier.
Organisation du dépistage et de la prise en charge de l’ostéoporose. Une fois le diagnostic de fracture ostéoporotique confirmé et le contact avec le patient établi, il faut pouvoir organiser le bilan de la maladie (densitométrie osseuse, bilan phosphocalcique) et la mise en place d’un traitement, s’il est indiqué. Pour cela, le patient doit être sensibilisé aux bénéfices de ces pratiques, il faut lui organiser les rendez-vous et éventuellement une consultation médicale de rhumatologie pour prescription du traitement. Chez ces sujets, souvent âgés, les déplacements multiples sont parfois difficiles à accepter et les rendez-vous non honorés.
Poursuite du traitement instauré. L’âge des patients, leurs comorbidités et leurs polymédications, mais aussi la médiatisation négative de l’ostéoporose rendent difficile l’adhésion et l’observance au long cours.
Liaison hôpital-ville. Le compte rendu hospitalier portant le diagnostic de fracture ostéoporotique et les ordonnances initiées à l’hôpital ne sont pas toujours transmis au médecin de ville. D’autres comorbidités considérées comme plus graves peuvent placer la fragilité osseuse au second plan… Il existe donc un enjeu crucial de communication sur le diagnostic d’ostéoporose entre ville et hôpital.

Quelle efficacité ?

L’infirmière coordinatrice a un rôle majeur dans le fonctionnement de la filière. Elle doit veiller à la bonne prise en charge de l’ostéoporose, en recensant les sujets concernés, en organisant le dépistage de la maladie et si besoin une consultation spécifique de rhumatologie, en veillant au suivi et à la poursuite du traitement. Le cas échéant, il faut sensibiliser le patient pour qu’il consulte à nouveau ou convaincre le médecin de ville de poursuivre ou initier le traitement.
Les filières fractures ont prouvé leur efficacité dans de nombreuses études. Majumdar3 a montré que les patients avec fractures de hanche recevaient plus souvent un traitement anti-ostéoporotique s’ils étaient inclus dans une FLS (51 % vs 22 % pour les sujets hors FLS). D’autres auteurs ont pointé l’intérêt des FLS : réduction de risque de refracture, baisse de la mortalité ou encore bénéfice en termes de coût-efficacité.4
Différents modèles existent actuellement selon la complexité de l’organisation mise en place et le type de fracture : recensement des patients, prescription d’examens de dépistage (densitométrie), proposition de séances d’éducation thérapeutique dédiées, prévention secondaire des chutes, prescription du traitement… Ces FLS (16 en France) se sont organisées en « club » sous l’égide du GRIO. Ce club se réunit une fois par an pour aborder les aspects pratiques et mener à bien des projets communs.
à l’échelle mondiale, l’International Osteoporosis Foundation recense les filières répondant à certains critères de qualité : organisation des densitométries osseuses, prescription médicamenteuse, prévention des chutes. Elle les soutient via la campagne « Capture the Fracture » 
Encadre

Fonctionnement de la filière fracture du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph

Organisation gérée par une infirmière coordinatrice à temps plein

1. Recensement automatisé des patients ayant consulté aux urgences pour fracture ostéoporotique de tous types (900 à 1 000 malades/an)

2. Contact téléphonique avec le patient

3. Courrier de liaison envoyé au médecin traitant

4. Réalisation sur place d’une ostéodensitométrie/d’un bilan phosphocalcique, ou envoi d’une ordonnance au patient pour faire ces examens

5. Proposition de consultation en rhumatologie pour prescription du traitement et éducation sur l’ostéoporose. Possibilité d’intégrer un programme de prévention des chutes

6. À distance (1 an après) : contact avec le patient ; vérification de la prise du traitement/ de son renouvellement, recueil des événements (nouvelle fracture ou chute).

Pour en savoir plus
1. Briot K, Roux C, Thomas T, et al. 2018 update of French recommendations on the management of postmenopausal osteoporosis. Joint Bone Spine 2018;85:519 30.
2. McLellan AR, Gallacher SJ, Fraser M, McQuillian C. The fracture liaison service: success of a program for the evaluation and management of patients with osteoporotic fracture. Osteoporos Int 2003;14:1028-34.
3. Majumdar SR, Beaupre LA, Harley CH, et al. Use of a case manager to improve osteoporosis treatment after hip fracture: results of a randomized controlled trial. Arch Intern Med 2007;167:2110–5.
4. Portier A, Villoutreix C, Beaussier H, et al. Implementation of A Fracture Liaison Service: An Effective Initiative to Improve Healthcare after Osteoporotic Hip or Wrist Fracture. J Osteopor Bone Res 2019;2:103. DOI: 10.29011/JOBR-103.100103. Sous presse.
GRIO : http://www.grio.org
International Osteoporosis Foundation. https://www.iofbonehealth.org

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essentiel

Les filières fractures sont des organisations transversales permettant la détection et le traitement de patients ostéoporotiques fracturés.

But : leur faire bénéficier d’une densitométrie et d’un avis spécialisé pour une prise en charge adaptée.

Ces FLS sont la prévention secondaire la plus efficace chez les patients déjà fracturés (moins de 20 % sont traités).