La fréquente incompatibilité pratique entre la poursuite de la dialyse et l’admission en unité de soins palliatifs de personnes en fin de vie est un problème éthique, qui peut être douloureux tant pour les patients que pour les équipes soignantes. La possibilité de poursuivre la dialyse est un impératif et devrait faire l’objet d’une décision partagée.
Lorsque la fin de la vie approche, les impératifs personnels se conjuguent avec les enjeux médicaux, puis ils les surplombent. Les valeurs et préférences, les projets ultimes de vie ou de famille deviennent plus que jamais prioritaires. Les enjeux médicaux, eux, sont de deux ordres : poursuite des traitements de la maladie – chimiothérapie, traitements de réanimation – ou diminution, voire arrêt, de ces traitements au profit de la mise au premier plan des thérapies dites de confort, visant à réduire au minimum les symptômes mal supportés (soins palliatifs). Mais ces deux ordres d’objectifs de soins doivent bien se conjuguer tout au long du parcours, même si leurs parts varient : les traitements « curatifs » (ou plutôt étiologiques) doivent toujours être associés aux traitements « de support » (ou symptomatiques, le terme « palliatif » étant fortement connoté « fin de vie »). L’un sans l’autre n’est rien, et la rupture est trop forte en phase avancée s’ils n’ont pas été menés conjointement de façon précoce.
Ce moment de la fin de vie devrait être plus que jamais propice à une prise de décision partagée entre la personne (avec ses proches) et les professionnels de santé. De l’articulation entre la gestion des traitements « curatifs » et les souhaits de la personne naît la partition entre ce qui doit être maintenu et ce qui doit être stoppé, l’arbitrage se faisant par la question du sacrifice à consentir dans chacune des options.
La personne en fin de vie doit pouvoir exprimer librement ses désirs : la possibilité, par exemple, de faire un dernier voyage ou d’assister à un événement familial particulier qui lui tient à cœur, de rentrer à la maison avec une éventuelle hospitalisation à domicile, ou encore d’être transférée en unité de soins palliatifs (USP). Elle doit aussi pouvoir, si elle n’a pas vraiment intégré l’idée d’une fin très prochaine, évoquer sa peur et son angoisse devant l’arrêt éventuel des traitements et en refuser la décision.
Du côté des soignants, ces désirs ou choix doivent être mis en perspective, d’une part avec une certaine cohérence médicale et d’autre part avec les contraintes liées aux thérapeutiques en cours.

Quelle place pour la dialyse en unité de soins palliatifs ?

La poursuite d’un traitement lourd – comme la chimiothérapie, les transfusions ou le maintien en vie par une technique comme la dialyse – devenu inutile car inef­ficace, voire délétère à ce stade compte tenu des éventuels effets indésirables, ne semble pas compatible avec une fin de vie imminente ; elle pourrait être considérée comme relevant de l’acharnement thérapeutique, même si nombre d’oncologues et de néphrologues sont non ou mal préparés à ce type de décision.
La mise en œuvre de tels traitements très spécialisés est inhabituelle en USP et nécessite une organisation particulière, soit pour la planification des transferts itératifs en centre spécialisé (dans le cas de la dialyse, le coût financier étant, en outre, à la charge de l’USP), soit pour la réalisation technique sur place (méconnaissance, notamment, de la ponction d’une fistule artérioveineuse). Ainsi, même s’il n’y a pas de recommandation pour refuser toute dialyse pour un patient en USP, il est le plus souvent actuellement impossible de l’y faire accepter tant que la dialyse n’est pas arrêtée. Ce peut être aussi une demande de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital d’origine lui-même que d’arrêter la dialyse, parfois contre l’avis du néphrologue, avant toute proposition de transfert en USP (là encore, pour une raison de cohérence dans le niveau d’engagement thérapeutique).
Dans tous les cas, aucune décision ne devrait être prise sans l’avis de la personne malade et/ou de ses proches, ce qui ne semble pas toujours être le cas.
Eu égard à la question spécifique de la dialyse, trois grandes situations se dégagent :
– situation non immédiatement menaçante et transfert en USP de répit et, ensuite, en maison d’accompagnement, avant un retour dans le service d’origine, voire au domicile : la dialyse doit être disponible sans condition, soit par transferts itératifs de l’USP ou la maison d’accompagnement vers un centre spécialisé (ou, si elle existe, l’unité de néphrologie de l’hôpital), soit pour améliorer le confort du patient en ne lui infligeant pas ces déplacements, par la mise à disposition d’un générateur portable au lit du patient, par exemple du type de ceux habituellement destinés à la réalisation d’hémodialyse quotidienne (HDQ) à bas débit de dialysat, de grande facilité d’utilisation et ne nécessitant pas d’installation de traitement d’eau ;
– transfert en USP ou maison d’accompagnement avec pronostic vital engagé à quelques semaines : le maintien de la dialyse (notamment par générateur portable) doit être discuté et décidé de façon partagée avec le malade (comme l’est par exemple celui de la ventilation non invasive prescrite pour insuffisance respiratoire chronique). Le pronostic de la maladie parvenue en phase terminale reste ici meilleur que le pronostic à très court terme qui suivrait un arrêt de dialyse. La question ne doit donc en aucun cas se résumer au choix entre le maintien de la dialyse et le transfert en USP ;
– transfert en USP avec pronostic défavorable dans un délai de quelques jours : le maintien de la dialyse devient largement discutable et en incohérence avec un projet de soins palliatifs strict. La décision doit être prise de façon partagée avec le patient, qui doit être informé de manière adaptée.
La fréquente incompatibilité pratique entre poursuite de la dialyse et acceptation en USP de personnes en fin de vie est un problème éthique, qui peut être douloureux tant pour elles que pour les diverses équipes soignantes devant les prendre en charge.

Des propositions concrètes pour progresser

Ce sujet est peu abordé dans la littérature. Certaines notions pourraient servir de guide pour l’avenir :
– l’information des personnes malades (et de leur entourage), comme le prévoit la loi, sur leur état de santé réel et sur les délais prévisibles de l’échéance fatale, afin de leur permettre de participer à la décision médicale partagée en toute connaissance de cause et non de se trouver devant une décision considérée comme brutale et très angoissante ;
– la formation à l’abord de la fin de vie des néphrologues et des équipes de dialyse qui, suivant les personnes dialysées au long cours, peuvent avoir du mal à aborder le problème de la mort dans cette phase terminale et à prendre des décisions adaptées et partagées ;
– la formation des soignants des USP et des maisons d’accompagnement au contexte particulier de la dialyse ;
– la nécessité d’établir des conventions entre les USP, les maisons d’accompagnement et des unités de dialyse afin de pouvoir, si nécessaire et en accord avec la personne en fin de vie, la transférer pour quelques séances, ou permettre la réalisation de dialyses sur place, via le recours à un générateur portable et l’intervention d’une équipe mobile.

Possibilité de poursuivre la dialyse, un impératif éthique

Il existe une large place, pour l’heure souvent vacante, pour la prise de décision partagée en fin de vie, dans nombre de domaines décisionnels chers à la personne. C’est aussi le cas en situation de dialyse chronique. Or la poursuite de cette dialyse, dans certaines conditions pronostiques, peut permettre de respecter tant la volonté de la personne malade que sa qualité de fin de vie. Les objectifs de considération de l’autonomie et de refus de l’obstination déraisonnable sont ici simultanément respectés.
Un enjeu majeur est celui, tout au long du parcours de soins, de la communication soigné-soignant, de sa transparence et de son honnêteté dans l’abord, avec tact, d’une fin de vie qui approche. Communication, transparence et honnêteté constituent ainsi les moyens de prévenir tant les demandes de poursuite déraisonnable de traitement (de la part de la personne malade, de ses proches mais aussi du corps médical) que les décisions unilatérales d’arrêt de dialyse imposées à la personne malade, conditionnant son accès aux soins palliatifs, et qui provoqueront son décès anticipé. 
Pour en savoir plus
Blot F, Moumjid N, Carretier J, Marsico G. Démocratie en santé, éthique et fin de vie : quels enjeux pour la prise de décision partagée ? Med Pall 2023;22(6):295-303.
Axelson L, Benzein E, Lindberg J, Person C. End-of-life and palliative care of patients on maintenance hemodialysis treatment: A focus group. BMC palliative care 2019;18(1):89.
Chen JCY, Thorsteinsdottir B, Vaughan LE, Feely MA, Albright RC, Onuigbo M, et al. End of live, withdrawal, and palliative care utilization among patients receiving maintenance hemodialysis therapy. Clin J Soc Nephrol 2018;13(8):1172-9.
Shin SJ, Lee JH. Hemodialysis as a life-sustaining treatment at the end of life. Kidney Res Clin Pract 2018;37(2):112-8.
Wetmore JB, Yan H, Gilbertson DT, Liu J. Factors associated with elective withdrawal of maintenance hemodialysis: A case-control analysis. Am J Nephrol 2020;51(3):227-36.

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