Le projet de loi sur la fin de vie est discuté à l’Assemblée nationale à partir du 27 mai 2024, après avoir été adopté en Commission spéciale. Les membres de cette dernière ont apporté des modifications substantielles au texte initial, ce qui préoccupe les sociétés savantes. Explications…

Le projet de loi, déposé le 10 avril à l’Assemblée nationale, a été adopté dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 mai par la Commission spéciale chargée d’en examiner les 21 articles. Il est discuté en séance publique à l’Hémicycle à partir du 27 mai.

Des modifications substantielles ont été apportés au texte initial par les députés de cette commission spéciale, notamment :

  • le remplacement du critère de pronostic vital engagé à « court ou moyen terme » par celui d’une affection grave et incurable « en phase avancée ou terminale  », invoquant, d’une part, la « difficulté de définir précisément la notion de moyen terme » sur laquelle « la Haute Autorité de santé […] n’a toujours pas donné sa réponse pour l’examen du texte » (amendement n° CS1558) et, d’autre part, le fait que « le patient peut souhaiter, dès lors qu’il se trouve frappé d’une affection grave et incurable, ne pas connaître les affres de la maladie, même si son pronostic vital n’est pas directement engagé » (amendement n° CS659) ;
  • le fait que l’euthanasie devienne un choix et non une exception : indépendamment de la présence de paralysies empêchant l’auto-administration de la substance létale (qui était le critère précédemment prévu pour mettre en place cette exception), la personne aurait le choix de désigner « une personne qui a accepté cette responsabilité » pour la lui administrer sous le contrôle d’un professionnel de santé (amendement n° CS977) ;
  • l’adoption d’un « délit d’entrave à l’aide à mourir » sur le modèle du délit d’entrave à l’IVG, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (amendement n° CS1980).

D’autres changements concernent les modalités de la procédure, par exemple :

  • l’assouplissement possible du délai de réflexion : un délai incompressible de deux jours était prévu entre le moment où la personne est informée qu’elle peut avoir recours à l’aide à mourir et sa confirmation au médecin de sa volonté d’y accéder, mais l’amendement n° CS1278 introduit la possibilité d’abréger ce délai « à la demande de la personne si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de [cette dernière] telle que [celle-ci] la conçoit » ;
  • l’assouplissement du délai pour procéder à l’administration de la substance létale : le texte initial prévoyait que « si la date retenue est postérieure à un délai de trois mois à compter de la notification de la décision […], le médecin […] évalue à nouveau, à l’approche de cette date, le caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté de la personne » ; ce délai à été porté à 12 mois avec l’argument que cela peut « rassurer » la personne « sur la possibilité d’y avoir recours sans recommencer le processus au bout de 3 mois ou, pire, être tenté d’accélérer sa démarche de crainte de ne plus y être éligible au bout de 3 mois » (amendement n° CS1778).

Les sociétés savantes alertent sur l’ouverture d’une « boîte de Pandore »

Plusieurs sociétés savantes et syndicats de professionnels de santé, dont la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), la Société française de gériatrie et gérontologie ou l’Association nationale française des infirmier(es) en pratique avancée, ont émis un communiqué dénonçant ces modifications.

Ils soulignent que ces dernières élargissent davantage l’accès à la mort provoquée que les deux pays les plus permissifs sur ce sujet (la Belgique et le Canada) et que les députés ont outrepassé les recommandations du Comité consultatif national d’éthique (CCNE, 2022) et de la Convention citoyenne (2023), qui étaient plus modérées.

Outre l’introduction de l’euthanasie comme un choix et tous les éléments qui facilitent et assouplissent la procédure, ils s’inquiètent de l’extension du critère des patients pouvant demander l’aide à mourir indépendamment du pronostic vital : « Cette extension ouvre la mort provoquée à un nombre indéfinissable de situations dont on a encore peine à mesurer l’ampleur et la diversité (insuffisance rénale, cancers, cirrhoses, insuffisances cardiaques ou respiratoires…) ».

Ils dénoncent aussi l’abandon de la question du plein discernement de la personne : l’amendement n° CS1990 a remplacé l’expression « la situation ne permet pas une expression réitérée en pleine conscience » par « la personne perd conscience de manière irréversible » pour prendre en compte le cas d’un patient qui aurait exprimé son souhait d’accéder à l’aide à mourir avant de perdre conscience, en prévoyant d’inclure cette demande expresse dans ses directives anticipées (situation non couverte jusqu’alors par le texte). Les sociétés savantes alertent sur ses implications : « un choix fait des années avant d’être malade et jamais révisé s’appliquera irrémédiablement » puisque « aucune vérification des conditions dans lesquelles ces documents ont été rédigés ou qui les aura véritablement rédigés n’est prévue ». 

Par ailleurs, ils déplorent que ces modifications introduisent la possibilité que l’euthanasie devienne un soin à part entière, ce qui est contraire à la déontologie des soignants : intégration du « droit à l’aide à mourir » dans le « droit d’avoir une fin de vie digne » tel qu’il est défini à l’article L. 1110 - 5 du code de la santé publique (amendement n° CS647), création d’un délit d’entrave « qui risque de pénaliser toute remise en cause de ce dispositif et faire peser des menaces considérables sur la prise en soin des malades en fin de vie ou sur les politiques de prévention du suicide ».

Enfin,ils rappellent que plusieurs points de vigilance qu’ils soulèvent depuis des mois ont été ignorés. Ainsi :

  • l’administration de la substance létale pourrait être pratiquée par toute « personne volontaire » y compris au sein de la famille, et n’importe où, ce qu’aucune législation au monde ne permet ;
  • la formation et l’accompagnement des soignants et des proches ne sont pas prévus ;
  • tous les établissements de santé ou médico-sociaux seront tenus de permettre la pratique de l’acte létal dans leurs murs et les pharmaciens ne pourront opposer d’objection de conscience.

Ils concluent en appelant les députés qui se réuniront en séance publique à partir du 27 mai à comprendre « que les alertes [qu’ils émettaient] depuis 18 mois n’étaient pas inutilement alarmistes » et à revenir sur des dispositions « qui feraient porter de lourdes menaces sur les malades, les personnes en situation de handicap et les personnes âgées et constitueraient un bouleversement majeur de la société française ».

Le communiqué peut être lu dans son intégralité sur ce lien .

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