FOCUS
La fissure anale est la première cause de douleurs anales et la deuxième pathologie proctologique en fréquence, après la maladie hémorroïdaire.
C’est une perte de substance de la marge anale remontant dans le canal mais restant sous-pectinéale (tiers moyen du canal). Elle est typiquement commissurale postérieure, parfois antérieure chez la femme (plus rarement chez l’homme) [
C’est le premier diagnostic à évoquer si la douleur anale est déclenchée par la défécation et si des saignements rouge vif sont détectés sur le papier d’essuyage. À l’interrogatoire, la douleur est plus ou moins intense, à type de déchirure lors de la défécation, typiquement apparue après une selle difficile à exonérer ou une diarrhée. On la distingue ainsi des autres causes de douleurs fréquentes, liées aux thromboses hémorroïdaires externes (non rythmée par les selles avec tuméfaction anale) et aux abcès (douleur non rythmée par les selles, pulsatile et insomniante). Les hémorroïdes internes peuvent être responsables de prolapsus ou de saignement mais rarement de douleurs défécatoires (sauf dans les prolapsus internes thrombosés ou fissurés exceptionnels).
Le diagnostic est fait à l’inspection de la marge anale en déplissant les plis radiés de l’anus (
Formes cliniques
Fissuration anale ou état préfissuraire. Une ou plusieurs déchirures superficielles sont déclenchées par le passage des selles, provoquant des brûlures transitoires. Elle peut évoluer vers la fissure aiguë en se creusant.
La fissure aiguë a un début souvent brutal avec syndrome fissuraire typique. À l’inspection : perte de substance en forme de raquette, à bords nets, à peine surélevée, à fond rouge où l’on peut apercevoir les fibres blanches du sphincter interne, ce dernier étant souvent hypertonique. L’évolution spontanée peut se faire vers la guérison, mais parfois vers la chronicisation, plus ou moins entrecoupée de phases de rémission et de récidives.
Dans la fissure chronique, la douleur et la contracture sont moins importantes. L’aspect se modifie, les berges s’épaississant. Fréquemment, une marisque sentinelle d’aval apparaît au niveau de la marge anale. Une papille hypertrophique d’amont (dans le canal anal, au niveau de la ligne pectinée) n’est visible qu’en anu- scopie ou palpée lors du toucher.
La fissure infectée : un abcès sous-fissuraire peut être palpable entre l’index intra-anal et le pouce. L’abcès peut évoluer vers une fistule avec un orifice externe par lequel s’écoule du pus, souvent au pied de la marisque sentinelle.
Fissure hyperalgique. À ne pas confondre avec l’abcès intramural aussi appelé intersphinctérien (bombement douloureux dans le canal anal palpable au toucher rectal). L’examen, souvent difficile, peut être effectué après application de Xylocaïne visqueuse ou, rarement, sous anesthésie générale.
En cas de doute, le patient est revu quelques jours après traitement symptomatique.
Devant une fissure atypique, latérale, infiltrée, multiple ou particulièrement délabrante, certaines affections sont à évoquer (
La fissure du post-partum affecte 15 % des femmes ; 40 % ont une localisation antérieure, 48 % postérieure et 12 % bi- focale (antérieure et postérieure). Le plus souvent sans hypertonie associée, elle survient quelques semaines suivant l’accouchement, après un effort de constipation terminale.
Elle répond volontiers au traitement médical standard.
Traitement médical standard
Son niveau de preuve est faible. Inoffensif, il est recommandé en première ligne dans les guidelines américaines de 2017.2
La régularisation du transit vise à obtenir idéalement des selles de types 3-4 sur l’échelle de Bristol (moulées, molles et facile à évacuer) afin de stopper le traumatisme anal et prévenir la récidive.
Contre la constipation : augmenter progressivement les fibres alimentaires, prescrire laxatifs osmotiques ou mucilages (voir recommandations de la SNFCP sur la constipation).
Tous les topiques locaux (par exemple, suppositoires de Titanoreine [carragemhénates, dioxyde de titane,oxyde de zinc] avec Bepanthen crème [dexpanthénol] sur le suppositoire 1 à 2 fois par jour) peuvent être utilisés puisque l’objectif est essentiellement de lubrifier le canal anal et d’aider à la cicatrisation.
Si douleurs importantes : antalgiques de niveau 2 ; éventuellement AINS per os mais uniquement si on a éliminé un abcès.
On obtient au moins 50 % de bon résultats à 1 mois dans la fissure chronique3 et probablement plus dans la fissure aiguë avec 2 mois de traitement.
Traitement médical « moderne »
La sphinctérotomie chimique réversible a pour objectif de lever le spasme sphinctérien, permettant ainsi la cicatrisation de la fissure, de nouveau normalement vascularisée. Trois classes ont été testées : les dérivés nitrés, la toxine botulique et les inhibiteurs calciques, mais en 2018 seul un dérivé nitré (Rectogésic pommade) a l’AMM en France. Il n’est pas remboursé. Coût : environ 50 à 100 euros le tube selon les pharmacies pour 8 semaines de traitement.
Il est efficace sur la fissure aiguë dans 60 à 70 % des cas (50 à 70 % si chronique).3 Cependant, dans 30 % des cas, il provoque céphalées, hypotension artérielle et brûlures au site d’application.
Le taux de rechute est approximativement de 30-67 % à 6 mois. Les interactions médicamenteuses doivent être vérifiées afin de ne pas majorer l’hypotension.
Traitement chirurgical
Indications : fissure anale chronique (uniquement après échec du traitement médical), fissure infectée (abcès ou fistule) et parfois fissure hyperalgique ou atypique pour histologie. Deux modalités : sphinctérotomie latérale et fissurectomie.
La première, qui a la faveur des Anglo- Saxons, lève définitivement le spasme du sphincter anal en sectionnant ses fibres les plus distales. La fissure est laissée en place. Elle cicatrise ainsi dans 95 % des cas. Le risque est l’incontinence anale évalué entre 3,4 et 9,4 %.3, 4
La fissurectomie plus ou moins associée à une anoplastie est actuellement privilégiée par les Français.5 L’exérèse des berges de la fissure, et des éventuelles marisques ou papilles, transforme une plaie chronique en plaie aiguë qui cicatrise en 2 mois. On peut lui associer un abaissement de la muqueuse rectale recouvrant en partie la plaie de fissurectomie (anoplastie). Dans une étude française, elle a permis une cicatrisation dans 100 % des cas. Le risque d’incontinence anale est quasiment nul.5
Si la fissure est infectée, le seul traitement envisageable est la fissurectomie permettant son exérèse et celle de l’abcès fissuraire sous-jacent.
Physiopathologie : multifactorielle
Au commencement, un traumatisme de la muqueuse anale (le plus souvent selle difficile à exonérer, parfois diarrhée) crée une déchirure anale, préférentiellement au niveau de la commissure postérieure (moindre résistance mécanique et hypovascularisation physiologique). La douleur provoque une hypertonie du sphincter interne aggravant l’hypovascularisation physiologique de cette zone.1 Cette ischémie freine la réépidermisation, perpétuant la douleur. Ce cercle vicieux ne peut être rompu qu’en faisant disparaître la douleur (topiques locaux, antalgiques), le traumatisme anal (laxatif), la contracture (chimiquement ou chirurgicalement) ou les berges de la fissure (fissurectomie).
Par ailleurs, une fissure anale aiguë ou chronique s’accompagne de troubles de l’érection dans respectivement 100 % et 76 % des cas, la douleur irradiant dans le pénis, s’aggravant lors de l’érection. Ces troubles disparaissent totalement lors de la cicatrisation. En cause : l’intrication anatomique entre les sphincters de l’anus et les muscles érecteurs du pénis. Il faut donc examiner l’anus des patients ayant des troubles de l’érection.
Principaux diagnostics différentiels de la fissure anale
Carcinome épidermoïde à forme fissuraire (fig. 3). Commissural ou non, souvent induré (mais pas toujours). Impose de biopsier toutes fissures atypiques.
Maladie de Crohn anopérinéale à forme fissuraire (fig. 4). Sans localisation élective, à bords suintants, œdématiés. Le contexte est essentiel, même si les lésions anopérinéales sont inaugurales dans 15 % des cas.
Maladies sexuellement transmissibles (Chlamydiae, gonocoque, chancre syphilitique, herpès anal, CMV, VIH…) [fig. 4]. Fissure non commissurale, bords irréguliers, œdématiés…, contexte clinique. En recrudescence actuellement.
Tuberculose anale. Situation sanitaire précaire, adénopathie inguinale.
Hémopathies malignes (histiocytose X, leucémie, lymphome…).
Traumatisme anal.
1. Schouten WR, Briel JW, Auwerda JJ. Relationship between anal pressure and anodermal blood flow. The vascular pathogenesis of anal fissures. Dis Colon Rectum 1994;37:664-9.
2. Stewart DB Sr, Gaertner W, Glasgow S, et al. Clinical Practice Guideline for the Management of Anal Fissures. Dis Colon Rectum 2017;60:7-14.
3. Nelson RL, Manuel D, Gumienny C, et al. A systematic review and meta-analysis of the treatment of anal fissure. Tech Coloproctol 2017;21:605-25.
4. Ebinger SM, Hardt J, Warschkow R, et al. Operative and medical treatment of chronic anal fissures-a review and network meta-analysis of randomized controlled trials. J Gastroenterol 2017;52:663-76.
5. Abramowitz L, Bouchard D, Souffran M, et al. Sphincter-sparing anal-fissure surgery: a 1-year prospective, observational, multicentre study of fissurectomy with anoplasty. Colorectal Dis 2013;15:359-67.