C’est l’avis de la commission de la Transparence rendu en toute indépendance, sur l’amélioration du service rendu, qui permet ensuite à une Comité interministériel de fixer, avec d’autres critères, le prix d’un médicament. Mais le système « tout progrès justifie une augmentation de prix » entretient une inflation problématique.
En France, les prix des médicaments pris en charge par l’Assurance maladie obligatoire ne sont pas librement fixés par les compagnies pharmaceutiques. Faisant exception au principe de la liberté des prix, ils sont « administrés » à la suite d’une négociation directe avec les entreprises dans un cadre conventionnel liant l’État à l’industrie pharmaceutique.1, 2 L’instance chargée de ces négociations et in fine de la fixation des prix dans le cadre de la mise en œuvre des orientations politiques ministérielles est un comité interministériel, le Comité économique des produits de santé (CEPS). La fixation de ces prix, qui n’est pas censée dépendre des coûts de recherche et développement qu’ils ont pu générer pour les firmes (coûts qui sont quasiment impossibles à connaître),3 tient compte avant tout des performances des médicaments appré- ciées par une commission de la Haute Autorité de santé (HAS) et de leur utilisation prévisible.
Cette politique de fixation des prix des médicaments, rendue responsable d’un accroissement permanent des coûts que notre société ne pourra pas se permettre de soutenir encore longtemps, fait actuellement l’objet de nombreuses critiques et mises en cause.2 En effet, face à l’émergence et à l’utilisation de produits de plus en plus coûteux, la soutenabilité du système actuel par la solidarité nationale n’est pas assurée à moyen terme, sauf à faire des choix quantitatifs de ration-nement, ou qualitatifs, à savoir ne plus pouvoir offrir le meilleur à nos concitoyens. Les prix élevés, certains disent exorbitants, des récents traitements de l’hépatite chronique C, de nombreuses maladies rares, de même que ceux des immunothérapies des cancers, ont provoqué un certain nombre de réactions défavorables, voire hostiles, dans le monde des associations de patients et des communautés de scientifiques.4 Et ces réactions, qui ont contribué à l’émergence d’une prise de conscience de la faillibilité de la politique actuelle,5 a suscité une volonté quasi générale de limiter les exigences des firmes phar-maceutiques en matière de prix. Le texte qui suit n’aborde pas le système hospitalier, moins régulé et recourant aux appels d’offres.

Un préalable : l’avis de la commission de la Transparence

La commission de la Transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) est une commission consultative indépendante de professionnels de santé experts dans le domaine de l’évaluation des médicaments. Ses avis ne sont pas contraignants, mais la réglementation impose au CEPS d’en prendre connaissance avant de négocier les prix avec les industriels du médicament. L’une des missions principales de cette commission est, en effet, de dire si le nouveau médicament dont le remboursement est demandé par une firme pharmaceutique constitue ou non un progrès thérapeutique par rapport aux médicaments à même visée thérapeutique déjà disponibles ; et si oui, la commission doit « semi quantifier » l’importance de ce progrès par un critère dénommé amélioration du service médical rendu (ASMR) dont il existe cinq niveaux : niveau I (progrès majeur), niveau II (progrès important), niveau III (progrès modéré), niveau IV (progrès mineur) et niveau V (absence de progrès).
Or, si le code de Sécurité sociale stipule que tout nouveau médicament n’apportant pas de progrès par rapport à l’existant doit induire des économies pour l’Assurance maladie (il devrait être moins cher), à l’inverse tout nouveau médicament apportant un progrès est légitime pour obtenir du CEPS un prix supérieur à celui du ou de ses comparateurs pertinents. Tout progrès thérapeutique médicamenteux est donc susceptible d’induire un surcoût et l’importance de ce surcoût doit prendre en compte le niveau d’ASMR attribué,6 sans lui être toutefois strictement proportionnelle. Une autre répercussion concrète de l’ASMR sur la fixation du prix tient au fait que lorsque son niveau est de I à III, l’industriel exploitant peut prétendre à une garantie de prix européen. Enfin, le niveau d’ASMR détermine, s’il y a lieu, l’inscription ou non des nouveaux médicaments sur la liste dite « en sus » des prestations d’hospitalisation :6, 7 seuls peuvent y être inscrits les médicaments ayant obtenu une ASMR de I à III, éventuellement IV (exceptionnellement V si des produits de niveau équivalent sont déjà inscrits). L’inscription sur cette liste est en effet réservée aux produits onéreux qui paraissent innovants et sont alors remboursés par l’Assurance maladie aux établissements de soins indépendamment des prestations d’hospitalisation. Et on imagine aisément que tout médicament de prix élevé qui ne serait pas inscrit sur cette liste aurait très peu de chance d’être prescrit puisqu’il serait alors à la charge entière du groupe homogène de séjours (GHS) dont il grèverait le budget, voire le dépasserait à lui seul. Enfin, il est aussi demandé à la commission de la Transparence de déterminer la population cible de chaque médicament, dont dépendront le volume prévisible des ventes et donc le montant global du coût du produit. À noter que les membres de la commission n’ont pas à se préoccuper des conséquences financières ou économiques de leurs avis qui sont exclusivement du domaine médico-technique.
Le couple « progrès thérapeutique-obtention d’un prix plus élevé » constitue un système par essence inflationniste, particulièrement dans le cas des traitements des cancers et plus généralement des produits issus des biotechnologies, car le prix du comparateur auquel le nouveau produit est comparé dans les essais cliniques est lui-mêmesouvent déjà élevé.

Intervention du Comité économique des produits de santé : fixation du prix

Il revient au CEPS, attributaire des avis de la commission de la Transparence, de négocier et de fixer les prix des médicaments conformément à ses missions et tout d’abord les prix initiaux. À la différence de ce qui se passe par exemple au Royaume-Uni avec le National Institute for Heath and Care Excellence (NICE), il n’est pas d’usage en France de fixer une limite supérieure explicite de coût d’un traitement par an et par patient à ne pas dépasser. Et bien qu’il soit écrit dans le rapport d’activité du CEPS de 2015, à propos de coûts de l’ordre de 50 000 euros : « Le comité a souhaité donner un signal d’arrêt de la hausse ininterrompue des prix pour les médicaments les plus coûteux… à ces niveaux de prix, l’accès au marché français constitue un avantage suffisant pour les innovations, sans qu’il soit nécessaire ni justifié d’accepter en outre un nouveau surcoût pour l’Assurance maladie »,8 force est de constater que cette déclaration n’a pas été suivie d’effet.

Le niveau de l’ASMR

Lorsqu’un médicament relève d’une ASMR de niveau I à III, le CEPS est donc tenu de lui accorder une garantie de prix européen, c’est-à-dire un prix facial cohérent avec ceux pratiqués dans quatre pays de l’Union européenne considérés comme référents pour la France : Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie.6 S’y ajoute une garantie de stabilité des prix pour une durée de cinq ans : le prix ne sera pas inférieur au prix le plus bas pratiqué parmi les quatre pays cités. Lorsque l’ASMR est de niveau IV, le comité dispose alors de toute liberté pour négocier, la règle étant une absence de surcoût par rapport au coût net du comparateur le moins cher.9 Les négociations peuvent être longues comme, par exemple, pour le sofosbuvir dans l’hépatite chronique C et durer parfois plus d’un an comme pour Siklos dans la drépanocytose, mais il est exceptionnel qu’elles n’aboutissent pas. Dans le cas du sofosbuvir, il est notoire que la négociation du prix initial dans sa première indication remboursable a fait passer le montant de la cure de près de 60 000 euros demandés par l’industriel à 40 000 euros. À noter que la nature du comparateur choisi par l’industriel dans les essais cliniques peut poser problème quand il ne s’agit pas d’un médicament déterminé de prix connu, mais de ce que l’on appelle les soins de support ou le « standard of care », lesquels peuvent différer d’un pays à un autre ou même d’un établissement de soins à un autre.

D’autres facteurs pris en compte

Si le CEPS se doit de tenir le plus grand compte du niveau d’ASMR attribué par la commission de la Transparence, ce critère n’est pas le seul déterminant du prix. D’autres facteurs sont pris en compte face aux prix revendiqués par les firmes :6
– les prix des médicaments à même visée thérapeutique ;
– la taille de la population-cible du médicament qui représente le nombre pertinent et justifié de patients susceptibles de bénéficier du nouveau produit et permet par conséquent de déterminer le volume prévisible des ventes. Il existe à ce propos une relation inverse mais non strictement proportionnelle entre le prix accordé et la taille de la population cible dont le caractère restreint est un argument de l’industriel pour réclamer et obtenir un prix élevé à des fins de rentabilité. C’est ainsi que lorsqu’un médicament obtient une extension d’indication et donc un accroissement de sa population cible, son prix est censé baisser. Une durée de traitement prolongée est aussi prise en compte dans l’estimation des volumes prévisibles de vente, rendant dans ces cas la notion de coût de traitement journalier discutable. La longue survie sous traitement de certains patients atteints de cancers (devenus maladies chroniques), ce dont on ne peut que se réjouir, n’en constitue pas moins une rente pour l’industriel. Contre un même type de tumeur, ce sont actuellement des mois d’immunothérapie versus naguère quelques semaines de chimiothérapie ;
– éventuellement les investissements des firmes en recherche et dévelop-pement de leurs produits et leurs productions au sein de l’Union européenne. Les compagnies dont la présence en France pourrait se limiter à n’être qu’un comptoir de ventes ne bénéficient pas de ce type de bienveillance. À noter que dans un rapport de 2017, la Cour des comptes préconisait de fixer les prix au plus près de leur usage et de leur valeur thérapeutique ;10
– l’avis d’efficience émis par la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP) de la HAS sur le nouveau médicament,6, 11 par comparaison avec les produits de référence éventuellement disponibles lorsqu’il est susceptible d’avoir un impact significatif sur les dépenses de l’Assurance maladie, avec un chiffre d’affaires prévisionnel supérieur à 20 millions d’euros lors de la deuxième année de commercialisation.

Et les ATU ?

Un cas particulier est celui des produits faisant l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). En prévision ou en attente d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM), ils sont censés présenter, à un stade encore non abouti de leur évaluation, un intérêt suffisant pour des patients atteints de maladie grave ou rare en impasse thérapeutique ou en l’absence d’alter-native. Mis précocement à disposition dans un cadre réglementaire régi par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM),12 leur prix n’est pas fixé par le CEPS. Il est de la seule responsabilité des industriels et souvent très élevé. Toutefois, dès que ces médicaments ont obtenu leur AMM et un avis favorable de la commission de la Transparence à leur prise en charge, un nouveau prix leur est attribué selon la procédure habituelle et si ce prix négocié est inférieur à celui de l’ATU, l’industriel rembourse le trop-perçu. À noter que la loi impose désormais une limite supérieure de coût à ne pas dépasser de 10 000 euros par an et par patient si le chiffre d’affaires hors taxe annuel du produit est supérieur à 30 millions d’euros.6, 13

Un système qui n’est plus maîtrisable

Une pratique qui ne plaide pas en faveur de la transparence du système est la coexistence possible, par un accord confidentiel entre l’industriel et le CEPS, de deux prix différents pour un même médicament :6 un prix dit facial, affiché, et un prix réel. Pour des raisons de limitation du commerce parallèle mais aussi pour favoriser l’obtention de prix intéressants dans d’autres pays que la France, considérée comme une référence en matière d’évaluation, certains produits se voient attribuer, à la demande des industriels, des prix faciaux généralement élevés, à la condition qu’une remise dont le montant n’est pas rendu public soit rétrocédée sur chaque boîte vendue par la firme au profit de l’Assurance maladie. Il en résulte qu’il est impossible aux citoyens (c’est aussi vrai pour les médias) de connaître les prix des médicaments que financent leurs cotisations obligatoires à l’Assurance maladie. Cette opacité, qui ne va pas dans le sens de la démocratie sanitaire dont se réclament tant de politiques, se trouve être cause, à juste titre, d’une suspicion d’entente peu avouable entre les pouvoirs publics et les industriels du médicament.
Les prix initialement élevés des nouveaux médicaments peuvent faire, il est vrai, et font généralement l’objet de révisions à la baisse au bout de quelques années, en fonction de leur ancienneté mais aussi des baisses ou remises accordées dans d’autres pays européens, des évolutions des prix des médicaments à même visée thérapeutique ou encore des montants remboursés, prévus ou constatés par l’Assurance maladie obligatoire.6 Pour 2017, le CEPS signale un montant de 1,365 milliard de « remises produits» par l’industrie pharmaceutique.6 Dans le même ordre d’idées, il pourrait être rassurant d’imaginer que les décotes de 50 à 60 % des prix des génériques par rapport aux prix initiaux des princeps, et d’environ 20 % pour ce qui est des biosimilaires des produits issus des biotechnologies, induisent des économies susceptibles de permettre de financer les coûts liés aux médicaments innovants. Mais rien n’est moins sûr. Car encore faut-il que la décote portant sur les génériques concerne des produits assez coûteux et très lar-gement prescrits (ce qui, on peut l’accorder, est exact dans le cas des statines). Et pour ce qui est des biosimilaires, encore faudrait-il que les esprits des patients et des prescripteurs s’affranchissent définitivement des réserves initiales des autorités de santé sur la possibilité d’interchangeabilité, c’est-à-dire celle de substituer un biosimilaire à son princeps en cours de traitement. Car, pour des motifs qui tiennent, semble-t-il, davantage à la frilosité qu’à la science, il n’avait été initialement autorisé d’utiliser un biosimilaire que chez des patients jusque-là naïfs de biothérapie, posture qui ne favorisait guère la confiance dans les biosimilaires. Par ailleurs, une situation préoccupante dans ce domaine tient au fait que la plupart des prescriptions de médicaments biologiques sont instaurées à l’hôpital et suivies en ville. Or, les firmes proposant bien souvent leurs médicaments à des prix très bas aux hôpitaux pour s’implanter ensuite en ville, ces derniers n’ont aucune raison de prendre en compte leur tarif en ville.14 Une autre source d’économie invoquée pour compenser les surcoûts liés aux médicaments innovants aura été le dérembour-sement de plusieurs centaines de médicaments jugés d’intérêt thérapeutique insuffisant par la commission de la Transparence au début des années 2000. Mais une telle source d’économie, qui n’a jamais été formellement prouvée, fait l’objet d’un débat contradictoire dans la mesure où ces déremboursements ont pu induire une augmentation du recours à des produits remboursés plus chers et, parce que plus « actifs », cause de coûts indirects supplémentaires du fait de leurs effets indésirables.
Pour nombre d’économistes de la santé et de responsables politiques (mais sont-ils réellement indépendants du monde de la finance ?), la situation ne serait pour l’instant que préoccupante et le système actuel de fixation des prix ne saurait gravement défaillir à court terme. Il n’en demeure pas moins que ce système, mis en place à une époque où les progrès thérapeutiques dits de rupture étaient peu nombreux, paraît mal adapté à une époque où les biothérapies coûteuses et la thérapie génique ont fait irruption dans l’arsenal thérapeutique en remplacement de traitements chimiques plus anciens et beaucoup moins chers. D’autant que les demandes de prix des industriels se fondent désormais, semble-t-il, davantage sur la capacité présumée à payer des acheteurs publics que sur le légitime retour sur investis-sement. Quelques exemples illustrent ce propos : le traitement médicamenteux de l’hépatite chronique C par le sofosbuvir initialement à 40 000 euros par patient pour 12 semaines ; celui des rhumatismes inflammatoires chroniques qui est passé d’un coût annuel par patient d’environ 1 000 euros à plus de 12 000 en quelques années ;15 de même pour les cancers : un coût annuel par patient de 50 000 à 100 000 euros n’est pas rare ;16 l’injection unique de la thérapie CAR-T par Yescarta est affichée à 327 000 euros ;17 le prix d’ATU de Zolgensma, thérapie génique de l’amyotrophie spinale, est à 1,945 million d’euros13… même si nous ne savons pas ce que sera son prix définitif après AMM. La liste des affections dont le coût de la prise en charge s’est considérablement alourdi serait fastidieuse à lire, comme celle des classes pharmaco-thérapeutiques dont le prix s’est envolé. Quand s’arrêtera-t-on dans l’escalade des prix et des coûts ? Quousque tandem ?*
D’autant que si l’on doit, certes, se réjouir de l’arrivée d’innovations susceptibles d’améliorer, voire de transformer radicalement la prise en charge et le pronostic de patients naguère en impasse thérapeutique, encore constate-t-on dans bien des cas que les avantages offerts par ces innovations ont été plus modestes que ceux attendus. Il n’est, par exemple, que de consulter les avis de la commission de la Transparence sur ces innovations : rares sont les produits ayant bénéficié d’un niveau d’ASMR I ou II, lesquels sont réservés à la démonstration d’une avancée notable en termes de mortalité.18 De manière plus générale, un certain nombre de nouveaux médicaments obtiennent des prix hors de proportion avec leurs performances supposées lors de leur inscription sur la liste des médicaments remboursables. C’est le cas dans le domaine des traitements des cancers. Mais qui, dans le cadre d’une négociation et dans ce domaine si particulier, prendrait la responsabilité de récuser un nouveau traitement même s’il n’est que porteur d’espoir ?

UNE ÉVOLUTION NON SOUTENABLE LONGTEMPS

Le système actuel fondé sur le fait que tout progrès, même incrémental, justifie une augmentation des prix et des coûts (« toujours plus cher ») ne sera pas soutenable longtemps par la solidarité nationale, ce qu’a récemment formulé le Conseil économique, social et environnemental (CESE) :19« Les prix demandés par les industriels sur certains produits sont trop élevés et non soutenables, et le régulateur n’a pas les moyens juridiques de limiter les hausses de prix au regard de l’enveloppe budgétaire disponible. » Surévaluant souvent le progrès présumé, le système entretient par ailleurs une spirale inflationniste délétère. Une récompense à l’innovation et au progrès ne devrait-elle pas prioritairement passer par l’obtention de parts supplémentaires de marché ? Et que dire de ce que peut être l’état d’esprit du praticien, petit soldat de la santé, à qui l’on demande des efforts constants pour une maîtrise médicalisée des dépenses, face à l’attribution de prix affichés si provocateurs dont la justification scientifique et morale lui échappe le plus souvent ? 
* Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? Cicéron (Marcus Tullius), Première catilinaire, exorde.
Encadre

Un système très favorable aux innovations et aux patients

Admission au remboursement des nouveaux médicaments

L’admission des médicaments à leur prise en charge par l’Assurance maladie est prononcée par les ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale. Mais cette admission n’est décidée qu’après la prise en compte obligatoire de l’avis d’une commission indépendante appelée commission de la Transparence siégeant à la Haute Autorité de santé (HAS).

La garantie de l’indépendance de l’évaluation des nouveaux médicaments en France tient non seulement à l’indépendance de la HAS vis-à-vis du décideur, des organismes payeurs et des industriels du médicament, mais aussi au caractère spécifiquement médicotechnique des évaluations de la commission de la Transparence qui exclut toute considération financière.1

En effet, les membres à voix délibérative de cette commission sont des professionnels de santé et de terrain, proches des patients et de leurs préoccupations. Lorsqu’ils se prononcent sur l’intérêt thérapeutique d’un nouveau produit et déterminent la taille de la « population cible » des patients susceptibles d’en bénéficier, leur objectif est d’optimiser la prise en charge des patients et non pas de se préoccuper du coût que la mise à disposition de ce nouveau médicament est susceptible d’induire pour l’Assurance maladie. Par ailleurs, soucieuse de ne pas priver les malades de la possibilité de recourir à certaines alternatives médicamenteuses qui ne sont pourtant pas des progrès, il arrive que la commission de la Transparence fasse connaître au décideur que si tel nouveau médicament ne constitue pas en soi un progrès démontré par rapport à l’existant, son utilisation pourrait néanmoins être utile à certains patients non répondeurs ou intolérants aux produits déjà disponibles.

La commission de la Transparence n’est donc pas une commission du rationnement au service des pouvoirs publics ou des organismes payeurs. Lorsque, d’aventure, elle se prononce négativement sur le bien-fondé de la prise en charge de tel nouveau médicament par la solidarité nationale, elle le fait sur des arguments scientifiques qui tiennent à l’insuffisance de preuve objective de son efficacité ; à moins que ce ne soit pour des raisons d’insuffisance de données de sécurité d’emploi. Une telle attitude, conservatoire et salutaire pour les patients, n’est pas toujours de leur goût ni de celui de leurs associations. Il arrive souvent que la consultation d’Internet et des réseaux sociaux, par leurs informations prématurées et caricaturales, leurs fake news, leurs publicités déguisées ou non, suscite et entretienne chez eux de faux espoirs, leur donnant l’impression que les avis prudents de la commission de la Transparence sont en fait téléguidés par les organismes payeurs désireux de ne pas accroître la charge financière de l’Assurance maladie ou tout au moins d’en retarder le plus possible l’échéance. Les exemples de ce type de situations sont nombreux, mais les citer serait désobligeant. Le reproche est d’autant plus infondé que la commission de la Transparence prévoit, lorsqu’un médicament est présumé innovant (par exemple nouvelle modalité de prise en charge d’une maladie et espoir de progrès dans un domaine non couvert par la future indication), de lui appliquer une procédure d’instruction anticipée. Le problème posé par les délais de l’accès des patients aux innovations thérapeutiques est, de fait, bien plus général puisqu’il concerne aussi celui de l’obtention préalable des autorisations de mise sur le marché : y a-t-il lieu de prendre des décisions prématurées sur des données scientifiques non encore stabilisées, pour faire très vite profiter les patients de produits dont pourtant les effets indésirables sont encore mal connus et possiblement dévastateurs au regard d’une efficacité insuffisamment démontrée ? ou y a-t-il lieu, au contraire, de s’imposer (et de leur imposer) par précaution davantage de recul et d’informations avant de se prononcer ? Dans un certain nombre de maladies rares en impasse thérapeutique, beaucoup de patients accepteraient, voire souhaiteraient prendre des risques que les autorités de santé n’envisagent pourtant pas de leur faire courir. En 2018, la commission de la Transparence a donné un avis favorable au remboursement des nouveaux médicaments dans 86 % des cas.2 C’est dire que la très grande majorité des nouveaux médicaments a pu être mise à la disposition des patients. Les médicaments récusés ne représentaient aucun progrès et pouvaient même, pour certains d’entre eux, être considérés comme d’utilité discutable. Enfin, il n’est pas anodin de rappeler que tout médicament admis au remboursement et prescrit dans le cadre du traitement spécifique des affections dites de longue durée (ALD) est pris en charge à 100 %, ce qui a concerné 10,7 millions de personnes en 2017.3


Des prises en charge dérogatoires en faveur de l’accès à l’innovation

Parmi les procédures dérogatoires en faveur d’un accès plus rapide des patients aux médicaments dont ils ont besoin figurent les autorisations temporaires d’utilisation (ATU).

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est en effet habilitée à délivrer, à titre exceptionnel, des ATU en faveur de médicaments qui ne disposent pas d’AMM en France mais qui sont soit autorisés à l’étranger, soit en cours de développement. Ces ATU ne s’entendent que dans le cadre de la prévention ou du traitement de maladies graves et/ou rares contre lesquelles on ne dispose pas encore de traitement approprié. En l’état des connaissances scientifiques, l’efficacité et la sécurité d’emploi de ces produits ne sont donc que « présumées ». Ce dispositif original, qui concerne aussi désormais depuis 2018 des extensions d’indication thérapeutique de produits disposant déjà d’une AMM dans une autre indication (c’est par exemple dans le cas de certaines immunothérapies des cancers multicibles), autorise une mise à disposition anticipée et constitue une singularité française appréciée des professionnels de santé, des patients et de leurs associations. Il concerne et a concerné plusieurs centaines de spécialités pharmaceutiques et a permis notamment le traitement par de nouveaux médicaments de plusieurs dizaines de milliers de patients en situation d’échec thérapeutique, et ceci plusieurs mois avant leur AMM.4

Cette mise en perspective des différents dispositifs opérationnels pour la prise en charge des médicaments démontre que notre système de soins accueille et prend correctement en compte le progrès médicamenteux et que les patients dont l’état de santé le justifie bénéficient de l’introduction de ce progrès sans restriction ni rationnement. Le corollaire est que tous les progrès thérapeutiques médicamenteux issus de l’industrie pharmaceutique sont reconnus et pris en charge par la solidarité nationale et que, de ce point de vue, il serait difficile de soutenir sérieusement que le médicament est maltraité en France par les autorités de santé.


Une fixation des prix des médicaments qui ne bride nullement leur mise à disposition

Il revient au Comité économique des produits de santé (CEPS), comité interministériel attributaire des avis de la commission de la Transparence, de négocier et de fixer les prix des médicaments. À la différence de ce qui se passe par exemple au Royaume-Uni, il n’est pas d’usage en France de fixer une limite supérieure explicite de coût d’un traitement par an et par patient à ne pas dépasser. L’un des déterminants majeurs pour aider à la fixation des prix est l’avis de la commission de la Transparence portant sur le progrès thérapeutique apporté par le nouveau produit vis-à-vis des médicaments déjà disponibles. Car la réglementation française prévoit que tout nouveau médicament induisant un progrès peut revendiquer un prix supérieur à celui des produits existants et même un prix « européen » (dans la fourchette Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne) si le progrès qu’il induit est qualifié de majeur ou d’important ou même de modéré. Il en résulte une spirale inflationniste que confirme l’observation, pour ne donner que ces exemples, des prix des nouveaux médicaments issus des biotechnologies des rhumatismes inflammatoires chroniques et de ceux des cancers (de l’ordre d’au moins 5 000 euros par mois) et pose la question essentielle de la soutenabilité de ces dépenses et de la pérennisation du système. Encore faudrait-il que nos concitoyens comprennent tout l’intérêt d’une gestion dynamique du panier de biens et services remboursables par la HAS, c’est-à-dire de l’éventualité de certains déremboursements en vue de permettre d’affecter prioritairement les financements collectifs à la prise en charge des traitements les plus performants et les plus utiles, quitte à déclasser ceux dont l’efficacité et l’efficience sont les plus discutables. Et qu’ils comprennent aussi l’intérêt des génériques et des biosimilaires comme facteurs d’économie sans pour autant faire courir de risque à la qualité de leur prise en charge.

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7. Comité économique des produits de santé. Accord-cadre 2016-2018 sur le médicament entre le Comité économique des produits de santé et Les Entreprises du médicament http://solidaritessante.gouv.fr
8. Comité économique des produits de santé. Rapport d’activité, 2015. http://solidarites-sante.gouv.fr
9. Comité économique des produits de santé. Rapport d’activité, 2016 (décembre 2017) et Lettre de mission des ministres, 17 août 2016 http://solidarites-sante.gouv.fr
10. Cour des comptes. Rapport Sécurité sociale 2017, septembre 2017. La fixation des prix des médicaments www.ccomptes.fr
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