Il est important de connaître les spécificités cliniques et de prise en charge du paludisme de populations particulières. Par ailleurs, des formes cliniques moins courantes du paludisme existent et seront brièvement rappelées ci-dessous. Leur prise en charge a également fait l’objet d’une actualisation dans les dernières recommandations.1

Femmes enceintes ou allaitantes

Le paludisme à P. falciparum de la femme enceinte est plus à risque de complications pour la mère et le fœtus (mortalité périnatale, anémie, petit poids de naissance). Il justifie une hospitali- sation (en médecine ou en obstétrique en fin de grossesse) et peut être traité par la quinine orale ou par l’atovaquone- proguanil lors du 1er trimestre (les combinaisons contenant des dérivés de l’artémisinine [artemisinin-based combi- naison therapy, ou ACT] étant par principe contre-indiquées faute d’un recul suffisant de pharmacovigilance). À partir du 2e semestre, l’artéméther- luméfantrine doit être privilégiée (l’arténimol-pipéraquine n’étant pas encore recommandé chez la femme enceinte, faute de données suffisantes).
Chez les femmes allaitantes, en dehors des formes graves, les dérivés d’artémisime et l’atovaquone-proguanil sont déconseillés. Un traitement par quinine par voie orale est donc privilégié pour les formes simples.

Enfants

Chez l’enfant comme chez l’adulte, toute fièvre au retour doit faire évoquer un paludisme. Elle peut être isolée ou volontiers accompagnée de signes digestifs (nausées, vomissements, diarrhée), de céphalées et parfois de crises d’épilepsie (signe de gravité). L’évolution du paludisme simple de l’enfant peut être frustre et est encore plus imprévisible que chez l’adulte, ce qui justifie une hospitalisation pour surveillance rapprochée. Les critères de gravité de l’Organisation mondiale de la santé sont les mêmes chez l’enfant que chez l’adulte, hormis les troubles de la conscience, l’insuffisance rénale et le choc, définis selon l’âge de l’enfant. Chez l’enfant, les formes graves se manifestent fréquemment sous la forme d’une anémie grave, de troubles de la conscience, de convulsions ou d’une détresse respiratoire.
Les troubles digestifs sont fréquents et compliquent l’administration d’un traitement par voie orale. Le paludisme non compliqué à P. falciparum de l’enfant doit être traité en 1re intention par une combinaison à base de dérivés de l’artémisinine. Les comprimés d’arténimol-pipéraquine 320/40 mg peuvent être utilisée dès 7 kg en les coupant en deux (tableau 1). L’artéméther-luméfantrine peut être utilisée chez l’enfant dès 5 kg mais nécessite deux prises par jour. L’atovaquone-proguanil et la méfloquine sont des médicaments de 2e intention. En cas de vomissements à la suite d’une prise d’ACT, il est possible d’essayer l’atovaquone-proguanil, voire dans certains cas de poser une sonde nasogastrique. L’utilisation de la quinine par voie orale ou intraveineuse est envisagée en 3e intention dans le paludisme simple de l’enfant quand les tentatives de traitement per os ont échoué. Elle est, dans ce cas, utilisée sans dose de charge préalable et relayée par un traitement per os dès l’arrêt des vomissements. Pour les nourrissons de moins de 5 kg, un avis spécialisé est nécessaire, car aucun traitement n’a l’autori- sation de mise sur le marché, mais le plus souvent un ACT à la même dose que les nourrissons de 5 kg est préconisé.

Paludisme à Plasmodium non falciparum

Les cas de paludisme à P. non falciparum(P. vivax, P. ovale, P. malariae, P. know- lesi) sont le plus souvent des accès palustres simples, mais des formes graves ont été rapportées, plus rarement, avec P. vivax ou P. knowlesi,2 et exceptionnellement P. malariae et P. ovale. Ces formes peuvent être observées plusieurs mois ou années après le retour d’une zone à risque.3 Ainsi les reviviscences (réactivation à partir des hypnozoïtes hépatiques) à P. vivax ou P. ovale peuvent survenir 2 à 4 ans après l’infection initiale et beaucoup plus tardivement, bien que ce soit très rare, avec P. malariae.3, 4
Le traitement du paludisme non compliqué à P. non falciparum est maintenant le même que pour P. falciparum et repose donc sur un ACT, notamment en cas d’infection mixte ou de paludisme à P. vivax survenant au retour d’une zone de résistance à la chloroquine. La classique chloroquine reste indiquée et s’administre per os à la dose de 10 mg/kg à H0, 10 mg/kg à J2 et 5 mg/kg à J3 (soit 25 mg/kg en dose totale sur 3 jours). Une prise en charge ambulatoire est envisageable en l’absence de signes de gravité. La surveillance est la même que celle du paludisme à P. falciparum. Étant donné la gravité potentielle des accès à P. knowlesi, la prise en charge est la même que ceux liés à P. falciparum.

La prévention des accès de revi- viscence à P. vivax et P. ovale repose sur l’éradication des formes quiescentes hépatiques (hypnozoïtes) par la primaquine, disponible en autori- sation temporaire d’utilisation (ATU) à partir de l’âge de 6 mois et après élimination d’une contre-indication (déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase [G6PD], grossesse, allaitement) [tableau 2].

Tableaux cliniques particuliers

Reviviscence palustre

Les reviviscences palustres peuvent s’observer plusieurs mois ou années après un séjour tropical avec P. vivax, P. ovale et plus rarement P. malariae. Elles se manifestent par des accès de fièvre avec frissons et sueurs se répétant tous les 2 ou 3 jours (fièvre tierce ou quarte) et sont souvent accompagnées d’une splénomégalie.

Paludisme viscéral évolutif

Cette forme subaiguë et rare de paludisme s’observe chez des adultes ou des enfants en cours d’acquisition ou de perte de leur immunité palustre (prémunition), donc vivant ou ayant vécu en zone d’endémie et qui ont été exposés de manière répétée au parasite. Elle se manifeste par une splénomégalie par- fois douloureuse, souvent associée à une fièvre modérée et intermittente et à une altération de l’état général (amaigrissement, anorexie, asthénie). Une anémie est souvent notée. Le diagnostic repose sur le frottis qui est (faiblement) positif de manière intermittente et sur la sérologie palustre avec des taux élevés d’immunoglobulines de type G. Le traitement est le même pour l’accès palustre simple. Cette forme clinique est proche de la splénomégalie palustre hyperimmune qui se caractérise par une réponse au traitement beaucoup plus lente.

Fièvre bilieuse hémoglobinurique

Devenue très rare, la fièvre bilieuse hémoglobinurique se caractérise par une hémolyse, en règle générale sévère, déclenchée par une prise de quinine ou d’un antipaludique de la même famille après une sensibilisation liée à des prises répétées de ces antipaludiques. Elle se manifeste par une hémoglobinurie macroscopique pouvant se compliquer d’un collapsus et d’une insuffisance rénale aiguë. L’association à un accès palustre est habituelle mais ne semble pas obligatoire.

Autres formes particulières

D’autres formes particulières peuvent être décrites : soit en raison des modes de transmission, paludisme transfusionnel (très rare mais expliquant l’exclusion des voyageurs des dons du sang), paludisme secondaire à une greffe d’organe ou transmis accidentellement par piqûre (infirmière, toxicomane…), paludisme survenant chez une personne n’ayant pas voyagé (rare paludisme d’aéroport ou de port maritime, souvent repéré par l’examen sanguin direct au microscope par un biologiste alerté par une thrombopénie) ; soit du fait du terrain, popu- lations exposées (immigrés d’Afrique subsaharienne qui représentent de loin la première population touchée), sujets âgés à risque augmenté de mortalité en cas de forme grave, personnes en situation de précarité ou avec un niveau d’éducation bas moins à même d’effectuer le suivi recommandé, ou sujets avec comorbidités (insuffisance rénale sévère contre-indiquant la majorité des traitements oraux quand la clairance de la créatinine est inférieure à 30 mL/min, un traitement par quinine par voie intraveineuse devant alors être privilégié, infection par le virus de l’immunodéficience humaine qui semble augmenter l’incidence et surtout la gravité du paludisme,5 pathologies à risque de décompensation, etc.). V
Références
1. Société de pathologie infectieuse de langue française. Groupe recommandations de la SPILF. Prise en charge et prévention du paludisme d’importation. Mise à jour 2017 des RPC 2007. Paris: SPILF, 2017.
2. William T, Menon J, Rajahram G, et al. Severe Plasmodium knowlesi malaria in a tertiary care hospital, Sabah, Malaysia. Emerg Infect Dis 2011;17:1248-55.
3. Schwartz E, Parise M, Kozarsky P, Cetron M. Delayed onset of malaria--implications for chemoprophylaxis in travelers. N Engl J Med 2003;349:1510-6.
4. Durante Mangoni E, Severini C, Menegon M, Romi R, Ruggiero G, Majori G. Case report: An unusual late relapse of Plasmodium vivax malaria. Am J Trop Med Hyg 2003;68:159-60.
5. Hendriksen IC, Ferro J, Montoya P, et al. Diagnosis, clinical presentation, and in-hospital mortality of severe malaria in HIV-coinfected children and adults in Mozambique. Clin Infect Dis 2012;55:1144-53.

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