Diagnostiquer une fracture de l'extrémité inférieure du radius.
Introduction
L’ostéoporose est la principale comorbidité favorisant ces lésions fracturaires. Ces dernières inaugurent les complications liées à l’ostéoporose en précédant de 10 à 15 ans en moyenne la fracture de l’extrémité supérieure du fémur ou les fractures vertébrales.3 Ainsi, la femme âgée, dont les attentes fonctionnelles sont limitées, est la cible privilégiée de ces fractures, avec un sex-ratio de 3 femmes pour 1 homme.4 Historiquement considérées comme « relativement bénignes » et associées à peu ou pas de séquelles, ces fractures souffraient d’une certaine « négligence » thérapeutique.5 Ces principes de prise en charge ont été largement remis en cause au cours des trente dernières années.
En réalité, l’extrémité inférieure du radius possède une structure et un environnement anatomique complexe. Elle est indissociable du cadre antébrachial et, en particulier, de l’extrémité distale de l’ulna. Par ailleurs, contrairement à ce qui est couramment énoncé, ces lésions sont très fréquemment articulaires, avec une participation de l’articulation radio-carpienne et/ou radio-ulnaire distale par le biais de refends fracturaires dont le déplacement est souvent significatif.6, 7 De plus, les sujets jeunes ne sont pas épargnés par les traumatismes de l’extrémité inférieure du radius , souvent à haute énergie (accident sur la voie publique, accident de sport ou de travail) et dont les séquelles fonctionnelles peuvent être redoutables.
Enfin, les noms de fractures éponymes (Pouteau-Colles, Goyrand-Smith ou Gérard-Marchand) ne sont plus vraiment d’actualité car ils n’ont pas de correspondance internationale et biaisent, en la simplifiant, l’analyse correcte de ces fractures. Ces appellations sont ainsi à l’origine de limitations et de confusions sémantiques et nosologiques.
Rappel anatomique
Les corticales ventrale et médiale sont épaisses et résistantes, à la différence des corticales dorsale et latérale, plus fines (
La surface articulaire distale, encroûtée de cartilage, répond au carpe distalement et présente deux facettes, scaphoïdienne et lunarienne (
Enfin, le complexe ligament triangulaire prolonge la surface articulaire distale du radius sur son versant médial. Il s’agit d’une structure ligamentaire tendue du versant médial et distal de l’extrémité inférieure du radius, sur le pourtour de l’incisure ulnaire jusqu’à la base de l’apophyse styloïde de l’ulna (
Classifications
Au niveau métaphysaire le déplacement peut être postérieur ou antérieur (
L’analyse de l’épiphyse va permettre de déterminer si la fracture est articulaire ou extra-articulaire. Dans la très grande majorité des cas, la fracture est articulaire. Il existe très fréquemment un fragment postéromédial qu’il est important de rechercher car il faudra le stabiliser lors du traitement. Mais la fracture articulaire peut être plus complexe, en T ou en croix (
Enfin, il est important d’analyser le versant ulnaire pour savoir si la fracture de l’extrémité inférieure du radius est isolée ou bien associée à une fracture de l’extrémité distale de l’ulna ou encore à une fracture de la styloïde ulnaire. Cette fracture est l’équivalent d’un arrachement du ligament triangulaire du carpe et peut être source d’instabilité radio-ulnaire distale (
Ainsi, la fracture de Pouteau-Colles est une fracture métaphysaire à déplacement postérieur sans trait de refend articulaire. Elle est finalement relativement rare. La fracture de Goyrand-Smith est une fracture métaphysaire à déplacement antérieur. Enfin, la fracture de Gérard-Marchant associe une fracture de l’extrémité inférieure du radius (FEIR) à déplacement postérieur et une fracture de la styloïde ulnaire.
Diagnostic clinique et radiologique
Cette approche clinique est néanmoins cruciale et repose classiquement sur le triptyque « anamnèse-terrain-signes fonctionnels ». L’anamnèse correspond à l’histoire traumatique aiguë. Il est important de rechercher auprès du patient les circonstances de survenue et l’énergie du traumatisme. Celle-ci renseigne sur l’étendue des lésions, y compris ligamentaires, très souvent associées mais occultes. Le plus souvent, surtout chez la personne âgée, le mécanisme correspond à une simple chute dont la réception s’est faite sur la main avec le poignet en flexion ou, plus souvent, en extension. Plus rarement, le sujet est jeune, et l’énergie traumatique est plus importante, occasionnant alors des lésions complexes, comminutives, métaphyso-épiphysaires à grands déplacements, impliquant très fréquemment l’extrémité inférieure de l’ulna, voire des lésions étagées sur le membre supérieur, à rechercher systématiquement.
Le patient se plaindra classiquement de douleurs vives de la partie distale du membre supérieur associées à une impotence fonctionnelle totale. Il est également important de noter le côté dominant, d’éventuelles comorbidités ou un traitement spécifique (immunosuppresseurs, anticoagulants, difficultés à la marche avec nécessité de béquillage, niveau fonctionnel antérieur du membre fracturé…). Le clinicien recherchera des complications immédiates d’ordre cutané (fracture ouverte, le plus souvent punctiforme sur le versant antérolatéral), vasculaire (recherche des pouls) ou neurologique (signes déficitaires dans le territoire du nerf médian en cas de grand déplacement en particulier).
Au terme de ce bilan clinique, des radiographies standard du poignet avec 4 incidences sont incontournables : face et profil stricts et, trop souvent oubliés, de trois quarts latéral et médial. Ces dernières incidences sont en particulier utiles pour analyser l’étendue de la comminution métaphysaire dans le plan horizontal et pour dépister les refends articulaires.8
L’analyse précise et détaillée des clichés radiographiques renseigne sur les critères morphologiques importants détaillés plus haut : l’inclinaison frontale, l’inclinaison sagittale et l’index radio-ulnaire distal. Il faut également apprécier les caractéristiques métaphysaire et épiphysaire de la fracture et la présence de lésions associées : comminution, nombre et déplacement des fragments articulaires, fractures de l’extrémité inférieure de l’ulna, fractures des os du carpe, lésions ligamentaires intracarpiennes ou de l’articulation radio-ulnaire distale.
Prise en charge thérapeutique
Principes généraux
Les modalités techniques précises du traitement des fractures de l’extrémité inférieure du radius sont actuellement controversées. Cependant, malgré l’absence de consensus, le choix de la proposition thérapeutique repose sur plusieurs critères fondamentaux.
Le premier correspond aux critères morphologiques de la fracture, avec son caractère déplacé ou non, la direction du déplacement et son potentiel d’instabilité. Une fracture de l’extrémité inférieure du radius est considérée « déplacée » en cas de modification d’inclinaison de l’épiphyse radiale de plus de 5° dans le plan frontal ou sagittal et/ou un raccourcissement de 3 mm ou plus et/ou un déplacement articulaire supérieur ou égal à 2 mm. Par ailleurs, le déplacement initial important (> 20° de bascule, raccourcissement d’au moins 4 mm du radius), la comminution métaphysaire et une atteinte articulaire significative par sa comminution ou son déplacement sont les 3 principaux facteurs d’instabilité fracturaire orientant vers une fixation chirurgicale de la fracture après réduction.
Le deuxième critère à prendre en compte est le terrain, avec l’âge, qui renseigne sur la qualité du tissu osseux et le niveau de demande fonctionnelle, les comorbidités et le niveau d’observance du patient. Ainsi, le traitement sera logiquement plus agressif, avec des objectifs de restitution morphologique de l’extrémité inférieure du radius plus exigeants chez un sujet jeune à haute demande fonctionnelle et observant.
Enfin, le troisième critère à évaluer est la présence d’éventuelles lésions associées : lésions du carrefour ulnaire, lésions osseuses ou ligamentaires intracarpiennes, lésions étagées sur le membre supérieur homo- ou controlatéral.
Arsenal thérapeutique
Le traitement chirurgical, justifié en cas de déplacement non tolérable, repose sur 3 modalités pratiques distinctes : l’embrochage percutané, les plaques palmaires vissées, et le fixateur externe radiométacarpien, à ne jamais utiliser seul. Ces traitements remplissent le double rôle de réduction et de stabilisation de la fracture jusqu’à consolidation.
La mise en place des broches percutanées sont habituellement introduites dans le foyer de fracture, en arrière du radius, puis inclinées vers le bas pour réduire la bascule dorsale de la glène radiale et sont finalement fichées dans la corticale antérieure, épaisse, pour stabiliser la réduction obtenue. Il s’agit d’un embrochage « intrafocal » (dans le foyer de fracture). Une ou deux broches styloïdiennes dans le plan frontal complètent le montage. La bascule antérieure du fragment distal, la présence de refends articulaires, et la comminution métaphyso-épiphysaire sont indispensables à évaluer avant de proposer ce type de traitement et constituent des contre-indications relatives (
La mise en place de plaques palmaires nécessite un abord chirurgical antérieur et reste techniquement délicat, en particulier pour positionner la plaque en hauteur et pour la longueur des vis dont l’excès peut endommager les tendons extenseurs. L’indication phare reste les fractures métaphysaires à déplacement antérieur ou les comminutions métaphysaires étendues (
Enfin, le fixateur externe ne doit pas être utilisé seul car une traction excessive est un facteur de risque d’algoneurodystrophie. Il doit être ajouté comme moyen de protection d’une ostéosynthèse par broche ou plaque précaire. Son rôle est de neutraliser les contraintes en compression sur l’extrémité inférieure du radius en cours de consolidation (
Complications
Aiguës
Un syndrome des loges de l’avant-bras ou de la main est plus rare, mais son diagnostic est fondamental compte tenu des séquelles.
À distance
Conclusion
Les résultats à long terme sont également conditionnés par le traitement des lésions associées et d’éventuelles complications.
POINTS FORTS À RETENIR
L’ostéoporose est la principale comorbidité favorisant les fractures de l’extrémité inférieure du radius.
L’extrémité inférieure du radius est biarticulaire, expliquant qu’entre 50 et 80 % des fractures de l’extrémité inférieure du radius soient articulaires.
L’analyse radiographique des fractures de l’extrémité inférieure du radius est triple : zone métaphysaire, épiphysaire et versant ulnaire.
L’objectif du traitement des fractures de l’extrémité inférieure du radius est de réduire et de stabiliser la fracture pour obtenir une consolidation en position la plus proche possible de l’anatomie normale.
Une fracture de l’extrémité inférieure du radius doit toujours être immobilisée, même si elle est non déplacée, pour permettre la cicatrisation des lésions ligamentaires.
Fractures fréquentes de l’adulte et du sujet âgé
Dans le cadre d’un dossier ECN, cet item peut faire l’objet de questions essentiellement d’ordre diagnostique et de suivi clinique et/ou radiographique. Il semble peu probable qu’il puisse y avoir des questions précises sur les modalités thérapeutiques très spécialisées, qui ne font pas l’objet de consensus au sein même de la spécialité.
En pratique, il semble judicieux de s’attendre à un dossier mettant en jeu une patiente d’âge moyen, vraisemblablement ostéopénique ou ostéoporotique, victime d’une chute de sa hauteur à l’origine d’une fracture de l’extrémité inférieure du radius, plutôt en bascule postérieure.
Cette lésion peut également faire partie d’un tableau traumatique plus large avec des fractures étagées ou controlatérales multiples touchant le membre supérieur ou le membre inférieur dans le cadre d’un sujet polyfracturé, voire polytraumatisé. Il s’agira alors plus volontiers d’un patient plus jeune, de sexe masculin, victime d’un traumatisme à plus haute énergie et avec une fracture de l’extrémité inférieure du radius métaphyso-épiphysaire à grand déplacement et à complications aiguës plus prégnantes.
Dans l’éventualité de la femme ostéoporotique d’âge moyen, il faut éventuellement s’attendre aussi à un possible syndrome du canal carpien aigu ou à une ouverture cutanée, surtout antérieure, comme complications immédiates.
Une question incontournable sera probablement de préciser le bilan radiographique à prescrire et de donner l’orientation de la bascule de la glène radiale en cas de fracture déplacée. La participation du versant ulnaire avec une fracture de la styloïde ulnaire ne doit surtout pas être méconnue.
L’indication thérapeutique dépendra du caractère déplacé ou non de la fracture. Une fracture déplacée nécessitera une réduction puis une stabilisation, alors qu’une fracture non déplacée, peu probable en pratique, ne sera qu’à immobiliser mais avec une surveillance très régulière.
La progression du dossier s’orientera probablement vers les complications possibles du traitement. Deux sont fréquentes et assez spécifiques des fractures de l’extrémité inférieure du radius : les cals vicieux de l’extrémité inférieure du radius et la rupture du tendon de l’extensor pollicis longus. Deux autres complications très communes mais non spécifiques des fractures de l’extrémité inférieure du radius sont représentées par le syndrome algoneurodystrophique et les infections du site opératoire.
Le dossier pourrait alors évoluer vers d’autres lésions fracturaires corrélées à l’ostéoporose, comme les fractures de l’extrémité supérieure du fémur ou les fractures rachidiennes. Le versant rhumatologique du traitement de l’ostéoporose pourrait également faire partie d’une question subsidiaire.
2. Cronier P, François P, Laulan J, Le Bourg M, Mouilleron P, Raimbeau G, et al. Évaluation de l’embrochage des fractures de l’extrémité inférieure du radius. À propos de 285 cas. Ann Orthop Ouest 1996;28:125-70.
3. Endres HG, Dasch B, Lungenhausen M, Maier C, Smektala R, Trampisch HJ, Pientka L. Patients with femoral or distal forearm fracture in Germany: a prospective observational study on health care situation and outcome. BMC Public Health 2006 Apr 4;6:87. doi: 10.1186/1471-2458-6-87. PMID: 16594996; PMCID: PMC1526725.
4. Róbertsson GO, Jónsson GT, Sigurjónsson K. Epidemiology of distal radius fractures in Iceland in 1985. Acta Orthop Scand 1990 Oct;61(5):457-9. doi: 10.3109/17453679008993562. PMID: 2239173.
5. Colles A. On the Fracture of the Carpal Extremity of the Radius. Edinb Med Surg J 1814 Apr 1;10(38):182-6. PMID: 30329360; PMCID: PMC5743240.
6. Castaing J. Les fractures récentes de l’extrémité inférieure du radius chez l’adulte [Recent fractures of the lower extremity of the radius in adults]. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot 1964 Sep-Oct;50:581-696. French. PMID: 14198868.
7. Melone CP Jr. Articular fractures of the distal radius. Orthop Clin North Am 1984 Apr;15(2):217-36. PMID: 6728444.
8. Obert L, Laulan J. Fractures de l’extrémité distale des deux os de l’avant-bras chez l’adulte. Encyclopédie médico-chirurgicale, 2009. Doi: 10.1016/S0246-0521(09)48917-4.