L’épidémie de gastro-entérite aiguë persiste en France, notamment chez les moins de 5 ans. Devant un tableau de diarrhée aiguë et/ou vomissements chez le jeune enfant, quels sont les signes de gravité ? Les pièges diagnostiques ? Quelle prise en charge proposer ? Quel régime alimentaire ? Quelles alternatives dans un contexte de tension d’approvisionnement des solutés d’hydratation ? Une fiche pour la pratique.
La gastro-entérite aiguë est définie par une diarrhée (selles plus molles/liquides ou plus fréquentes [> 3 par 24 h], parfois accompagnées de fièvre ou vomissements), durant en général moins de 7 jours, jamais plus de 2 semaines.
Devant un tel tableau, il faut :
– analyser cette diarrhée : liquidienne ou glairo-sanglante (figure 1) ? quels symptômes associés ?
– rechercher les signes de déshydratation (ci-dessous) ;
– calculer la perte de poids.
Ce diagnostic ne doit pas être évoqué en 1re intention en cas de diarrhée chronique ou vomissements isolés, fébriles ou non.
Diarrhée liquidienne
En cause le plus souvent : le rotavirus (responsable de la plupart des hospitalisations). Le norovirus est un virus émergent, surtout dans les pays où la vaccination à rotavirus est importante.
La principale complication est la déshydratation +++, à évoquer devant :
– cernes, yeux creux, peau et muqueuses sèches, soif, pli cutané ;
– si hypovolémie : tachycardie, oligurie, hypotension artérielle (très tardive et signe de gravité +++).
Pas d’examen complémentaire (sauf parasitologie des selles si retour de pays tropical).
Attention aux pièges diagnostiques : appendicite (douleurs abdominales plutôt en fosse iliaque droite) ; allergie aux protéines de lait de vache (diarrhée sans fièvre avec ou sans vomissements), pyélonéphrite aiguë, éliminée par une bandelette urinaire ; penser à un accès palustre (même sans fièvre) si retour d’un pays tropical (frottis et goutte épaisse en urgence).
Prise en charge :
– la réhydratation orale par un soluté de réhydratation orale (SRO) acheté en pharmacie est le seul traitement indispensable ; à proposer à l’enfant à volonté (ce dernier adapte lui-même la quantité absorbée à sa soif), de façon fractionnée en cas de vomissements (donner 10 mL par 10 mL toutes les 10 minutes) ;
– aucun régime n’a fait la preuve d’une efficacité chez l’enfant. Une restriction fait courir le risque d’une alimentation carencée et de faible palatabilité (riz, carotte). Une alimentation normale doit être reprise, quel que soit l’âge, au bout de 4-6 heures, en évitant les aliments riches en fibres et les sodas ; les produits laitiers et l’allaitement ne sont pas contre-indiqués ;
– ne pas modifier le lait, sauf chez les nourrissons de moins de 4 mois avec forme sévère et déshydratation grave (proposer 1 mois d’hydrolysat de protéines de lait de vache) ;
– les probiotiques (Lactobacillus rhamnosus GG et Saccharomyces boulardii, Ultra-Baby), associés au SRO, réduiraient la durée et l’intensité des symptômes ;
– les autres médicaments n’ont pas de place, seul le racécadotril enfant (Tiorfan) diminuerait le débit fécal ; le lopéramide est contre-indiqué.
En cas de prise orale impossible (vomissements avec intolérance alimentaire totale) ou déshydratation sévère avec troubles ioniques : réhydratation entérale par sonde naso-gastrique ou soluté polyionique par intraveineuse (IV) à l’hôpital.
Diarrhée invasive glairo-sanglante
Son origine est surtout virale mais peut être bactérienne : Escherichia coli entéro-invasif, Campylobacter jejuni, salmonelles, shigelles, Yersinia enterocolitica.
Principale complication : dissémination septique surtout sur des terrains favorisants : immunodépression, drépanocytose, âge < 3 mois, pathologie digestive sous-jacente, mucoviscidose => il faut adresser ces enfants aux urgences pédiatriques pour surveillance et éventuellement antibiothérapie IV.
Penser au syndrome hémolytique et urémique en cas de diarrhée glairo-sanglante, d’altération de l’état général et/ou de prise de poids.
Prise en charge :
– réhydratation par SRO, à l’hôpital, pour surveillance si le terrain est fragile (surtout si fièvre associée) ou signes de gravité ;
– si suspicion de diarrhée invasive : azithromycine 12 mg/kg/j le 1er jour puis 6 mg/kg/j après coproculture pendant 3 jours.
Prévention de la gastro-entérite aiguë
Deux vaccins per os contre le rotavirus sont disponibles et recommandés : Rotarix (2 doses) et RotaTeq (3 doses) (à initier dès 6 semaines ; pas au-delà de 8 mois). La vaccination est efficace : elle diminue le nombre d’hospitalisations, de consultations, de gastro-entérites aiguës nosocomiales et l’incidence dans les tranches d’âge non ciblées par la vaccination. Effets indésirables : invagination intestinale aiguë possible dans les 7 jours suivant la vaccination (risque à expliquer aux parents) ; de rares malaises ont été décrits lors de l’administration orale (à donner collé contre la joue). Largement utilisés dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord, ils ne sont pas encore remboursés en France.
Vomissements isolés : un symptôme piège
Les vomissements sont très fréquents chez l’enfant. S’ils sont isolés : chercher de principe une cause extradigestive. Il faut se poser 2 questions : quel est l’âge de l’enfant ? Quelle est la couleur des vomissements (alimentaires, sanglants, bilieux) ? Et analyser le contexte : aigus ou chroniques, troubles du transit associés, régime alimentaire, heure de survenue (matin/soirée).
Chez le nouveau-né, évoquer :
– volvulus du grêle sur mésentère commun : vomissements bilieux (+++) ;
– sténose du pylore entre 3 semaines et 3 mois : vomissements de lait immédiatement après les tétées/biberons, bébé souvent affamé et parfois déshydraté.
Causes chez le nourrisson (hors période néonatale) :
– infectieuses : digestives (gastro-entérite), ORL, pulmonaires, pyélonéphrites aiguës et méningites ;
– neurologiques : vomissements matinaux en jet, parfois associés à des signes d’hypertension intracrânienne (hématome sous-dural, tumeurs cérébrales...) ;
– chirurgicales : hernie inguinale étranglée, appendicite ;
– allergie aux protéines de lait de vache : vomissements isolés et persistants avec une cassure de la courbe de poids ;
– métaboliques : persistants, généralement associés à une cassure de la courbe de poids et à une perturbation de l’ionogramme sanguin ;
– endocriniennes : cétose de jeûne le plus souvent, nécessitant un resucrage progressif ; éliminer un diabète insulinodépendant.
Traitements :
– resucrer et réhydrater avec du SRO ;
– en cas de virose responsable de vomissements persistants et incoercibles, après avoir éliminé les diagnostics différentiels : ondansétron (Zophren, 2 mg/12 h chez l’enfant de moins de 10 kg ; 4 mg/12 au-delà de 10 kg, à partir de 1 mois), hors AMM.
Que faire dans un contexte de pénurie de SRO ?
Depuis début 2022 en France, des tensions d’approvisionnement de préparations industrielles pour solution de réhydratation par voie orale ont été rapportées en ville et à l’hôpital, selon les régions. En cas de pénurie, la Société française de pédiatrie propose de prioriser les sachets de SRO disponibles en officines de ville pour les nourrissons d’âge < 1 an.
Chez les enfants de plus de 1 an, l’alternative la plus simple et ayant fait l’objet de publications est l’utilisation de jus de pomme dilué de moitié ou encore la boisson préférée de l’enfant. Des préparations magistrales sont proposées par des pharmacies d’officines, adaptées si elles suivent les recommandations de composition en vigueur.
D’après : Lacroix S, Henaff F, Gras-Le Guen C. Gastro-entérites et vomissements de l’enfant. Rev Prat 2015;65(5);645-8.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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Front infectieux : bronchiolite, gastro, grippe. Rev Prat (en ligne) dernière mise à jour : 4 mars 2022.