Génériques : le calme après les escarmouches
Le débat scientifique actuel : excipients et bioéquivalence…
Le générique d’un médicament original (princeps) a la même composition qualitative et quantitative en principe actif que lui. Il ne peut en différer que par son (ou ses) excipient(s), lesquels n’ont aucune activité pharmacologique recherchée et ne sont destinés qu’à contribuer à la qualité pharmaceutique du produit, en particulier à sa stabilité, et à éventuellement favoriser son absorption par l’organisme. Certains de ses excipients sont intéressants dès lors qu’ils permettent, par exemple, d’optimiser la taille ou le goût de l’unité de médicament. D’autres peuvent avoir un risque accru de mauvaise tolérance chez certains patients sensibles identifiables. Ce sont les excipients à effets notoires, dont la présence est repérable dans la notice et sur le conditionnement.
Dans la pratique, l’identité de composition et de dosage ne suffit pas au générique pour mériter sa définition et sa mise sur le marché. Tout candidat générique doit démontrer une efficacité équivalente à celle de son princeps par la mise en évidence de sa bioéquivalence de disponibilité, c’est-à-dire de la quantité de principe actif disponible dans le sang et de la vitesse à laquelle ce principe actif atteint la circulation sanguine. Cette bioéquivalence, admise si elle se situe dans les limites réglementaires imposées mais qui ne sauraient par définition correspondre à une stricte équivalence, est parfaitement acceptable dans la grande majorité des cas, permettant raisonnablement d’augurer une équivalence des effets cliniques du princeps et de son générique.
Mais le problème se pose pour les médicaments à marge thérapeutique étroite, c’est-à-dire ceux pour lesquels la différence entre la dose efficace et la dose toxique est faible. Dans ces conditions, toute variation même minime de leur concentration dans l’organisme peut entraîner des effets indésirables parfois sévères. Sans revenir sur les polémiques qui ont suivi la mise sur le marché d’une nouvelle présentation du Levothyrox (médicament à marge thérapeutique étroite) caractérisée par un changement d’excipients destiné à assurer une meilleure stabilité au principe actif, ni sur la nature ou les causes des effets indésirables notifiés qui en ont résulté, force est de constater que les critères réglementaires imposés par les autorités de santé pour la démonstration d’une bioéquivalence font actuellement à bon droit l’objet de débats. Car il est notoire qu’ils ne prennent pas suffisamment en compte les variabilités intra- et inter- individuelles : d’une part, les études imposées ne portent que sur des sujets sains, d’autre part, leur nombre, par le lissage des résultats qu’il entraîne, n’autorise de conclusions « qu’en moyenne » mais non pour un sujet particulier.
… Alors que, précédemment, les freins étaient plutôt comportementaux et sociologiques
Des médicaments au rabais ?
Risques de confusion
2021 : vers l’apaisement. Le générique en routine ?
C’est ainsi que depuis 2020,5 afin de tenir compte d’un certain nombre de cas particuliers (mais quel patient n’est pas susceptible d’être un cas particulier ?), et sans doute de ménager les derniers réfractaires, trois types de situations médicalement justifiées permettent d’échapper à une prescription générique possiblement délétère et de faire l’objet de la prescription d’un princeps avec la mention « non substituable » sur l’ordonnance : en cas de médicament à marge thérapeutique étroite, dont une liste a été établie (thyroxine, antiépileptiques…) ; chez l’enfant de moins de 6 ans si aucun générique n’a de forme adaptée ; chez les patients ayant une contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire, lorsque le princeps ne comporte pas cet excipient. L’identification des situations 2 et 3 demandera sans doute beaucoup de discernement de la part des prescripteurs, et seul le recul nécessaire nous permettra de savoir si le système est suffisamment opérationnel.
Hormis ces situations, le patient qui refuse le générique ne bénéficie pas du tiers payant et ne sera remboursé par l’Assurance maladie qu’à concurrence du prix du générique le plus cher, cela ne s’appliquant que deux ans après la publication du prix du premier générique du groupe, afin de ne pas défavoriser les génériques face aux princeps qui décideraient d’aligner leurs prix.5 C’est ce que l’on dénomme la politique du « tiers payant contre générique ».
Une telle évolution des comportements et de la réglementation a déjà permis au marché des seuls génériques de s’établir en 2019 à 3,5 milliards d’euros (5,1 milliards si l’on inclut les princeps concernés dont les prix ont conjointement baissé avec l’arrivée de leurs génériques), avec un taux de pénétration des génériques dans le répertoire de 80,8 % et un nombre de boîtes vendues de plus 1,1 milliard. Selon le Comité économique des produits de santé, en 2019, plus d’une boîte sur trois délivrée par les officines de ville est un générique.6 Mais les économies induites suffiront-elles pour autant à financer les innovations onéreuses ?
Biosimilaires : une excessive frilosité
Technologie non contestable mais une extrapolation d’indications qui questionne
Quoi qu’il en soit, les débats suscités par l’arrivée des biosimilaires n’ont jamais été du même ordre que ceux suscités par les génériques. D’abord, s’agissant de la fabrication de biomédicaments, domaine de haute technologie, et non d’une simple synthèse chimique comme dans le cas des génériques, les procès d’intention pour un éventuel manque de rigueur dans le domaine de la qualité pharmaceutique ne pouvaient guère avoir d’écho ni susciter de défiance ou de suspicion dans le grand public et les médias généralistes. Ensuite, il n’est pas avéré que tel procédé de fabrication d’un biosimilaire l’emporte sur tel autre, qu’il concerne un biosimilaire concurrent ou le princeps. Celui du princeps n’a guère en sa faveur que son antériorité. Enfin, le caractère limité et particulier de la population cible des patients atteints des maladies justiciables de ces traitements, de même que les rapports étroits, privilégiés et confiants qu’ils entretiennent avec leurs soignants ne laissent, en règle générale, guère de place au scepticisme ou au refus. D’autant que cette population de patients, largement sensibilisée aux coûts des traitements dont elle bénéficie, est mieux à même que l’ensemble des citoyens de comprendre et d’admettre l’intérêt économique de produits dont la décote initiale de prix est de l’ordre de 30 % à l’hôpital et de 40 % en ville, suivie d’un calendrier de décote dit « au fil de l’eau ».6 Elle voit aussi un autre avantage non négligeable au déploiement des biosimilaires : leur existence, en augmentant les sources de production, limite les risques de rupture d’approvisionnement de produits dont ils sont hautement tributaires.
L’interchangeabilité : un débat perturbant
Économies attendues : il y a encore de la marge
Possibilité pour le pharmacien de recourir à la mention « non substituable » pour les médicaments à marge thérapeutique étroite, en l’absence d’une mention « non substituable » par le prescripteur
Annexe : Règles de dispensation et de substitution des médicaments génériques
La dispensation et la substitution de médicaments génériques obéissent à des règles particulières.
Règles de substitution
Depuis 1999, les pharmaciens sont autorisés à substituer un médicament générique à celui prescrit, à condition que ce médicament soit dans le même groupe générique et que le médecin n’ait pas exclu cette possibilité par l’apposition de la mention « non substituable » sur l’ordonnance accompagnée du motif médical, sous forme d’acronyme, justifiant ce refus de substitution.
Pour limiter le risque de confusion par le patient, le pharmacien doit indiquer sur l’ordonnance le nom du médicament qu’il a délivré (voir l’article L5125-23 du code de la santé publique sur le site legifrance.gouv.fr).
Les pharmaciens sont encouragés à substituer les médicaments d’origine par des médicaments génériques, et des objectifs sont fixés depuis 2006, dans le cadre de la convention nationale entre l’Assurance maladie et les pharmaciens.
L’objectif de taux de substitution fixé par les pouvoirs publics est aujourd’hui de 90 %.
En 2018, le taux moyen de substitution était de 88,4 %.
Prise en compte des excipients à effet notoire
Lors de la substitution, le pharmacien doit prendre en compte la présence dans le médicament choisi (médicament d’origine ou générique) des excipients à effet notoire.
– Pour la substitution d’un médicament d’origine ne contenant pas d’excipient à effet notoire, il est recommandé de choisir un médicament générique dépourvu de tout excipient à effet notoire.
– Pour la substitution d’un médicament d’origine contenant un ou plusieurs excipients à effet notoire, il est recommandé de choisir un médicament générique contenant le ou les même(s) excipient(s) à effet notoire ou un médicament générique partiellement ou totalement dépourvu de ces excipients à effet notoire.
Cependant, si le patient ne présente pas de risque de survenue d’effets indésirables liés à ces excipients à effet notoire, la substitution par un médicament générique contenant un ou plusieurs excipients à effet notoire est possible.
Répertoire des médicaments génériques
Le répertoire des médicaments génériques est un outil mis à la disposition des professionnels de santé. Il a pour objet de faciliter la prescription par le médecin et la substitution par le pharmacien en identifiant dans un même groupe le médicament d’origine et l’ensemble des médicaments génériques correspondants.
L’inscription par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d’un médicament générique au sein du répertoire garantit le fait qu’il peut se substituer au médicament d’origine dans les mêmes conditions d’efficacité, de sécurité d’emploi et de qualité. Le répertoire contient tous les médicaments génériques autorisés par l’ANSM. Cependant, certains peuvent ne pas être commercialisés par les laboratoires détenteurs de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
Les accès possibles :
– pour consulter la liste complète des médicaments inscrits au répertoire des médicaments génériques (commercialisés ou non) : consultez la page Répertoire génériques sur le site ansm.sante.fr ;
– pour effectuer une recherche complète sur un médicament commercialisé (générique ou non) : consultez le site Base de données publiques des médicaments, avec deux entrées possibles (par nom de médicament et par nom de substance active). Dans la fiche info de chaque médicament faisant partie du répertoire, le paragraphe « Groupe(s) générique(s) » permet d’accéder à la liste des médicaments du groupe et à toutes les informations les concernant : résumé des caractéristiques du produit, notice d’information du patient, prix, service médical rendu…
Cas particuliers
Dans certaines situations, la substitution nécessite des précautions particulières, et parfois même le pharmacien peut être autorisé à recourir à la mention « non substituable » pour ne pas substituer.
Les médicaments dits « à marge thérapeutique étroite » sont ceux pour lesquels l’intervalle de confiance qui permet de juger de la bioéquivalence est resserré. Ces médicaments se caractérisent en effet par des concentrations toxiques ou inefficaces proches des concentrations efficaces. De ce fait, de faibles variations de dose ou de concentration peuvent entraîner une modification du rapport bénéfices-risques.
Dans cette logique, tout changement au cours du traitement doit être réalisé avec précaution, qu’il s’agisse du passage d’un médicament d’origine vers un autre, d’un médicament d’origine vers une spécialité générique ou d’une spécialité générique vers une autre. L’adaptation de la posologie est sensible aussi bien pour le médicament générique que pour le médicament d’origine.
Pour en savoir plus sur les précautions de substitution des médicaments à marge thérapeutique étroite :
– une mention d’information Pharmaciens : substitution des médicaments antiépileptiques dans l’épilepsie (PDF) disponible sur le site ansm.sante.fr ;
– la page Recommandations sur la substitution des spécialités à base de lévothyroxine sodique sur le site ansm.sante.fr.
Le pharmacien peut, depuis l’arrêté du 30 janvier 2020, ne pas proposer la substitution à un patient, même en l’absence d’une mention « non substituable » par le prescripteur, afin d’assurer la stabilité de la dispensa-tion pour les patients déjà traités et stabilisés par un médicament à marge thérapeutique étroite (MTE), à l’exclusion des phases d’adaptation du traitement, et uniquement pour les médicaments comportant les principes actifs autorisés avec le motif « non substituable (MTE) » (liste en annexe de l’arrêté du 12 novembre 2019).
Il s’agit des principes actifs suivants :
– lamotrigine, lévétiracétam, prégabaline, topiramate, valproate de sodium et zonisamide (des antiépileptiques) ;
– lévothyroxine (une hormone thyroïdienne) ;
– azathioprine, ciclosporine, évérolimus, mycophénolate mofétil et mycophénolate sodique (des immunosuppresseurs) ;
– buprénorphine (un traitement substitutif aux opiacés).
Le pharmacien doit alors indiquer la mention « non substituable (MTE-PH) » sur l’ordonnance, sous forme manuscrite, et en informer le prescripteur.
Conscients des risques potentiels de confusion pouvant être entraînés par un changement de conditionnement ou de forme galénique auprès des personnes âgées, les pharmaciens se sont engagés dans le cadre de la convention nationale avec l’Assurance maladie à assurer la stabilité de la dispensation auprès des personnes âgées de plus de 75 ans, sur un certain nombre de molécules utilisées dans le traitement des pathologies chroniques : diabète de type 2, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque chronique…
Les 14 molécules ou associations de molécules concernées à ce jour font partie des indicateurs de la Rosp pharmaciens : atorvastatine, clopidogrel, duloxétine, escitalopram, gliclazide, lercanidipine, metformine, montélukast, pravastatine, quétiapine, ramipril, répaglinide, rosuvastatine, simvastatine.
En 2018, 96 % des patients de plus de 75 ans ont reçu la même marque de médicament générique pour ces molécules.
Pour en savoir plus sur la stabilité de la dispensation, consultez la Convention nationale des pharmaciens titulaires d’officine (espace pharmaciens) qui organise les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie.
2. Allenet B, Golay A. What are patients’ attitude toward generic drug? The example of metformin. Rev Med Suisse 2013;9:1005-9.
3. Beauvais V, Marque A, Ferte G, et al Factors influencing the use of the “not for generic substitution” mention for prescriptions in primary care: a survey with general practitioners. BMC Health Serv Res 2018;18:850.
4. Paraponaris A, Verger P, Desquins B, et al.; Panel MG Paca. Delivering generics without regulatory incentives? Empirical evidence from French general practitioners about willingness to prescribe international non-proprietary names. Healthpol 2004;70:23-32.
5. Loi du 24 décembre 2019 de financement de la Sécurité sociale pour 2020. Journal officiel de la République française, 29 décembre 2019.
6. Comité économique des produits de santé. Rapport d’activité 2019, septembre 2020. solidarites-sante.gouv.fr
7. Haute Autorité de santé. Les médicaments biosimilaires. https:/:www.has-sante.fr
8. Lechat P. Médicaments biosimilaires : enjeux réglementaires et impacts médicoéconomiques. Bull Acad Natl Med 2020;204:877-83.
9. GEMME. Dossier de presse 28 janvier 2020.
10. Dahmouh A. Médicaments biosimilaires : l’hôpital, premier vecteur de leur diffusion. Études et Résultats. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) 2019:n° 1123.