Les travaux du Pr Alain-Charles Masquelet ont conduit à la technique dite de la membrane induite, utilisée pour les reconstructions osseuses, et viennent d'être récompensés par le prix Meyer 2024. Ce procédé, connu sous l’appellation de « technique de Masquelet » est à présent largement utilisé dans le monde entier, notamment dans les pays à faibles ressources, en raison de sa simplicité, de son efficacité et de sa reproductibilité. Les applications de cette bio-ingénierie in vivo peuvent être nombreuses et le champ d’investigations est étendu.
Les explications du lauréat lui-même, professeur des universités, ancien chirurgien des Hôpitaux de Paris, membre de l’Académie nationale de chirurgie et membre de l’Académie nationale de médecine.
« Mes travaux ont consacré l’unité de la chirurgie réparatrice, entendue comme la chirurgie de la perte de substance complexe des membres, par l’association de techniques de chirurgie orthopédique et de chirurgie plastique. Ils ont également nourri une réflexion orientée par le souci d’utiliser le potentiel biologique propre au patient pour réparer les lésions.
J’ai mis au point, il y a une trentaine d’années, la technique chirurgicale de la membrane induite pour les reconstructions osseuses, récompensée aujourd’hui par le prix Meyer (encadré). Le principe en est simple : la perte de substance osseuse est comblée dans un premier temps par du ciment chirurgical, qui induit la formation d’une membrane, par réaction à un corps étranger. Après un intervalle de quelques semaines, le ciment est retiré et la cavité, tapissée par la membrane, est comblée par une autogreffe d’os spongieux. La durée de consolidation des segments reconstruits est de l’ordre de six à huit mois au niveau du membre inférieur, et ce, quelle que soit l’étendue de la perte de substance initiale. Au terme de ce délai, une remise en appui total sans protection est possible (figure). Ces résultats clini­ques ont été confortés par des travaux fondamentaux ayant mis en évidence le rôle biologique de la membrane qui, outre la caractéristique d’être richement vascularisée, sécrète des facteurs de croissance et contient des cellules souches mésenchymateuses. L’association membrane induite-greffe osseuse déclenche un véritable processus de bio-ingénierie in vivo.
Pour aboutir à cette technique, trois étapes ont été décisives, chacune comportant un enseignement formulé a posteriori.
La première, située au mitan des années 1970, a été le constat de l’impuissance généralisée à traiter les fractures des membres largement ouvertes, dont l’évolution était marquée par l’infection osseuse et des excisions chirurgicales répétées, conduisant le plus souvent à l’amputation. À l’époque, la technique de Papineau, introduite en France par Raymond Roy-Camille, a constitué un progrès important et permis de préserver un certain nombre de membres, au prix toutefois de plusieurs mois d’immobilisation. La maîtrise des techniques microchirurgicales que j'avais acquise, notamment lors d’un séjour de huit mois à Shanghai en 1982, m’avait permis de transformer radicalement le pronostic des fractures ouvertes par une couverture des foyers exposés, en urgence ou en urgence différée, utilisant des transferts musculaires libres comme le grand dorsal.
Première leçon : quand on est jeune interne, ne pas craindre de clamer son indignation et de penser à contre-courant.
La deuxième étape a été la prise de conscience que les opérations comportant de la microchirurgie étaient incompatibles avec l’activité d’un service de chirurgie orthopédique générale, pour des raisons logistiques. Sous le signe de la nécessité, il m’a donc fallu me tourner vers la recherche d’autres solutions de réparation des parties molles. Un travail anatomique acharné à l’École de chirurgie de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a abouti à la description originale de plusieurs lambeaux vascularisés, pédiculés, utilisés in situ et obéissant au triple avantage « simplicité, fiabilité, rapidité » (SFR).
Deuxième leçon : on ne peut véritablement progresser que sous la contrainte de l’adversité.
La troisième étape fut centrée sur les infections osseuses, responsables de pertes de substance complexes et étendues. Débridement, parage des lésions et réparation des parties molles par lambeaux constituaient le premier temps opératoire en y associant la mise en place d’une entretoise en ciment acrylique qui remplissait temporairement la perte de substance osseuse afin de préserver l’espace de reconstruction pour une greffe osseuse secondaire. C’était du moins l’argument qui était avancé. Il fallait être certain d’avoir éradiqué l’infection avant de procéder à la greffe. Grande a été la surprise de constater, régulièrement, des consolidations rapides pour des pertes de substance initiales qui pouvaient excéder 20 cm. Le hasard, ou plutôt la sérendipité, a présidé à cette troisième étape. Plusieurs années après les premiers succès de cette technique en deux temps opératoires, une conversation de couloir, lors d’un congrès, a permis de formuler l’hypothèse du rôle essentiel que pouvait jouer la membrane induite par le ciment… qui n’était pas excisée lors du deuxième temps opératoire pour des raisons qui n’avaient rien de scientifique. Des travaux expérimentaux et des études fondamentales ont confirmé l’hypothèse : l’irritation tissulaire au contact d’un corps étranger est responsable de la formation d’une membrane bioactive qui sécrète des facteurs de croissance et mobilise des cellules souches mésenchymateuses, ce qui constitue, de fait, un environnement très favorable à la consolidation d’une autogreffe spongieuse prélevée sur le patient lui-même.
Troisième leçon : une découverte n’obéit pas à des règles scientifiques préétablies. L’innovation radicale s’appuie sur un cocktail de catégories comportementales associant l’attention, la capacité de s’étonner, la curiosité, l’émotion esthétique et un zeste de transgression. En revanche, l’évaluation de l’innovation est du ressort de la rigueur scientifique. » 
Encadre

Prix Meyer 2024

Le prix Meyer, soutenu par une fondation suisse, est décerné tous les trois ans par un jury international à un chirurgien orthopédiste dont les travaux ont permis des avancées significatives dans le domaine de la recherche fondamentale, de mettre au point des techniques innovantes, de modifier en profondeur des indications opératoires et, in fine, d’améliorer le sort des patients concernés. Assorti d’une dotation financière importante, ce prix est la plus haute distinction en chirurgie de l’appareil locomoteur.

En 2024, il a été attribué à Alain-Charles Masquelet, professeur émérite des universités et ancien chirurgien des Hôpitaux de Paris, qui est récompensé pour ses concepts pionniers et ses innovations dans le domaine de la reconstruction des tissus mous et des défauts osseux en utilisant le potentiel biologique des tissus du patient.