Le risque de cancer du sein double chez une femme si l’une de ses apparentées au premier degré (mère, sœur ou fille) est atteinte. Près de 15 % des femmes avec un cancer du sein ont un antécédent de cancer du sein parmi leurs proches. Cette accumulation familiale peut être purement fortuite, mais peut également refléter une prédisposition au cancer, donnant un risque aux apparentées qui justifierait des mesures de prévention spécifiques. L’identification d’une mutation constitutionnelle permet de déterminer le risque cumulé et l’âge auquel il augmente.

Quand penser à une prédisposition au cancer du sein ?

Compte tenu de la fréquence importante du cancer du sein en population générale, le seul antécédent d’un autre cancer du sein dans la famille n’est pas suffisant. Pour s’orienter, le score empirique d’Eisinger ou d’autres critères peuvent être utilisés (tableau 1). Ils ­s’appuient sur l’âge, le nombre et ­l’association éventuelle à d’autres ­cancers (tableau 2). Si ces critères sont remplis, une analyse constitutionnelle est proposée après consultation de génétique pour information préalable réglementaire.

Risques associés aux mutations constitutionnelles de BRCA1 ou BRCA2

Les mutations de BRCA1 et BRCA2 représentent à elles seules la moitié des mutations prédisposant au cancer du sein. Leur prévalence en population générale est de 1/300 environ. La probabilité d’identifier une mutation est de l’ordre de 10 % pour l’ensemble des familles testées en France, en se fondant sur les critères usuels cités plus haut. Par ailleurs, environ 15 % des cancers séreux de haut grade de l’ovaire surviennent en raison d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2.
Les dernières données disponibles rapportent que les femmes ­porteuses d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 ont un risque cumulé de 65 à 70 % à 80 ans de développer un cancer du sein,1 avec un âge moyen au diagnostic d’environ 40 ans pour BRCA1 et 43 ans pour BRCA2.2 Le nombre de cancers du sein dans la famille augmente le risque. Pour les femmes déjà prises en charge pour un cancer du sein, le risque de cancer du sein ultérieur est également accru : environ 50 % des femmes porteuses développeront un second cancer dans les 10 ans si leur premier diagnostic a été porté avant 50 ans. Concernant l’ovaire, le risque varie avec le gène : 40 % pour BRCA1, 15 % pour BRCA2. Les hommes porteurs de ­mutation de BRCA2 ont un risque de cancer du sein de 5 à 8 %. Le cancer du sein masculin est exceptionnel avec BRCA1.

D’autres gènes de prédisposition au cancer du sein

Les mutations constitutionnelles de nombreux autres gènes ont été associées à des risques de cancer du sein. Elles sont beaucoup moins fréquentes que les mutations BRCA et n’expli­quent individuellement qu’un petit pourcentage des histoires familiales. L’impact en termes de risque est très variable d’un gène à un autre et le faible nombre de familles identifiées jusqu’ici rend difficile l’évaluation des risques. En effet, au-delà de la validité biologique de la mutation, c’est-à-dire ­l’impact sur la fonction du gène, il est nécessaire de déterminer la validité clinique, à savoir si ce dysfonction­nement entraîne une augmentation du risque. S’en déduit l’utilité clinique : si l’augmentation de risque est trop faible pour modifier la prise en charge clinique, l’information n’est pas utile. Selon ce raisonnement, le Groupe génétique et cancer (GGC) Unicancer, qui anime le réseau français des consultations et des laboratoires d’oncogénétique, a retenu 4 gènes d’intérêt en plus de BRCA1 et BRCA2 : PALB2, TP53, CDH1 et PTEN.3 En cas de suspicion de prédisposition au cancer du sein, ce panel de 6 gènes est systématiquement analysé.
Une altération dans ce panel donne un « très haut risque » de cancer du sein. Les mutations de PALB2 sont 10 fois moins fréquentes que les mutations BRCA. Dans une publication récente, le risque cumulé à 80 ans de cancer du sein est estimé à 53 % et celui de cancer de l’ovaire à 5 %.4 La fréquence des mutations TP53 est extrêmement faible en dehors des ­situations évoquant un syndrome de Li-Fraumeni. Dans ce dernier contexte, les familles ont des tumeurs très ­variées, le plus souvent à des âges précoces (sarcomes, cancers du sein, corticosurrénalomes, tumeurs cérébrales, leucémies, poumon). Néanmoins, pour les cancers du sein isolés, lorsqu’il est diagnostiqué avant 30 ans, la probabilité d’identifier une mutation de TP53 est de 7 %, notamment en cas d’amplification tumorale du gêne c-erbB2. Une étude récente relate un risque cumulé de cancer du sein à 70 ans de 85 %,5 mais cette estimation de pénétrance, comme celles des autres études de la littérature, est entachée de biais. Dans des familles non sélectionnées, le risque relatif de cancer du sein est proche de 4, avec un âge très jeune au diagnostic.6 Les mutations constitutionnelles de CDH1, initialement associées au risque de cancer gastrique diffus, confèrent un risque cumulé de 40 % de cancer du sein, essentiellement lobulaire.7 Les mutations de PTEN sont exceptionnelles et s’inscrivent quasiment toujours dans un tableau phénotypique évocateur de maladie de Cowden. Elle associe un tableau malformatif (macrocéphalie), de multiples hamartomes cutanés, des muqueuses, des tumeurs thyroïdiennes et gynécologiques.
D’autres gènes n’ont, pour l’instant, qu’une utilité clinique limitée. Dans les familles où des variations de ces gènes auraient été identifiées, le statut de porteur ou de non-porteur ne permet pas de discriminer les femmes qui relèvent d’une surveillance accrue de celles qui n’en ont pas besoin. Il s’agit par exemple des gènes ATM et CHEK2. D’autres, comme STK11, n’ont pas fait l’objet d’études suffisamment fiables pour déterminer le risque de cancer de sein. L’utilisation de combinaisons de polymorphismes (SNP), dans l’hypothèse d’un déterminisme du risque polygénique, n’est pour le moment pas retenue.

Quelles conséquences de l’identification d’une prédisposition pour la prise en charge ?

Au total, dans 10 à 12 % des situations personnelles ou familiales évocatrices, une mutation est identifiée dans le ­panel. Un suivi personnalisé, fondé sur la surveillance et/ou la chirurgie préventive, est recommandé selon le gène impliqué (tableau 3). La surveillance mammaire repose essentiel­lement sur l’imagerie par résonance magnétique mammaire annuelle. La mastectomie prophylactique est ­optionnelle, décidée au terme d’une information objective et d’un accompagnement suffisamment long. Ce suivi est nécessairement pluridisci­plinaire (oncologues, radiologues, oncogénéticiens, gynécologues, psychologues…). L’identification de la mutation sert de base à des analyses ciblées chez tous les apparentés majeurs volontaires, testés de proche en proche. Les porteurs ne développeront pas automatiquement un cancer, mais auront la surveillance associée. Les non-porteurs n’en partageront pas le risque, et leur prise en charge rejoint celle de la population générale.

Conduite à tenir en l’absence d’identification de mutation

Dans l’immense majorité des familles évocatrices testées, aucune mutation n’est identifiée dans le panel. Cela n’exclut pas la prédisposition. La surveillance familiale repose alors sur une estimation statistique du risque, à l’aide de logiciels (Boadicea,8 Tyrer-Cuzick9…), sans pouvoir s’appuyer sur des tests génétiques chez les apparentés. Elle est encadrée par les recommandations de la Haute ­Autorité de santé,10 et déterminée au cas par cas par l’oncogénéticien.

Surveiller à bon escient

Dans les familles dans lesquelles une prédisposition au cancer du sein est suspectée, l’identification d’une mutation constitutionnelle facilite la prise en charge familiale, en surveillant à bon escient les apparentées réellement à risque. L’absence d’identification de mutation dans une famille ne permet pas d’exclure la prédisposition. La surveillance repose alors sur une estimation statistique du risque. L’évolution des connaissances sur d’autres facteurs génétiques est nécessaire pour optimiser la prévention dans les familles évocatrices sans mutation. 
Références
1. Kuchenbaecker KB, Hopper JL, Barnes D, et al. Risks of breast, ovarian, and contralateral breast cancer for BRCA1 and BRCA2 mutation carriers. JAMA 2017;317:2402-16.
2. Rebbeck TR, Mitra N, Wan F, et al. Association of type and location of BRCA1 and BRCA2 mutations with risk of breast and ovarian cancer. JAMA 2015;313:1347-61.
3. Moretta J, Berthet P, Bonadona V, et al. Recommandations françaises du Groupe génétique et cancer pour l’analyse en panel de gènes dans les prédispositions héréditaires au cancer du sein ou de l’ovaire. Bull Cancer 2018;105:907-17.
4. Yang X, Leslie G, Doroszuk A, et al. Cancer Risks Associated With Germline PALB2 Pathogenic Variants: An International Study of 524 Families. J Clin Oncol, 2020;38:674-685.
5. Mai PL, Best AF, Peters JU, et al. Risks of first and subsequent cancers among TP53 mutation carriers in the National Cancer Institute Li-Fraumeni syndrome cohort. Cancer 2016;122:3673-81.
6. Li J, Meeks H, Feng BJ, et al. Targeted massively parallel sequencing of a panel of putative breast cancer susceptibility genes in a large cohort of multiple-case breast and ovarian cancer families. J Med Genet 2016;53:34-42.
7. Hansford S, Kaurah P, Li-Chang H, et al. Hereditary diffuse gastric cancer syndrome: CDH1 mutations and beyond. JAMA Oncol 2015;1:23-32.
8. Lee A, Mavaddat N, Wilcox AN, et al. Boadicea: a comprehensive breast cancer risk prediction model incorporating genetic and nongenetic risk factors. Genet Med 2019;21:1708-18.
9. Tyrer J, Duffy SW, Cuzick J. A breast cancer prediction model incorporating familial and personal risk factors. Stat Med 2004;23:1111-30.
10. Haute Autorité de santé. Dépistage du cancer du sein chez les femmes à haut risque. Recommandations de santé publique, HAS 2014. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/3iPpjBK
11. Eisinger F, Bressac B, Castaigne D, et al. Identification et prise en charge des prédispositions héréditaires aux cancers du sein et de l’ovaire (mise à jour 2004). Bull Cancer 2004;91:219-37.

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