Les recours urgents ou non programmés constituent 12 % de l’activité totale des médecins généralistes libéraux. Aux Journées nationales de médecine générale, le 30 septembre 2021, le Dr Alexandre Bardis (urgentiste à l’hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Colombes) a abordé, de façon très pratique, les gestes d’urgence qu’il faut savoir faire au cabinet. Retour sur son intervention.
Comme tout citoyen, et d’autant plus du fait de sa profession, le médecin doit porter secours à toute personne en danger.*
Malaise : 2 paramètres vitaux pour orienter
Le malaise est un terme générique, regroupant des situations cliniques diverses : de la « sensation pénible et vague d’un trouble physiologique » du dictionnaire Le Petit Robert au « syndrome subjectif de gêne et de faiblesse, généralement transitoire, parfois répétitif, perçu par le malade et éventuellement l’entourage » du dictionnaire de l’Académie de médecine. Le malaise bénin doit toujours rester un diagnostic d’élimination après avoir considéré les autres causes.
Deux paramètres vitaux permettent d’orienter la prise en charge immédiate :
– Le patient est-il conscient ?
– Le patient respire-t-il ?
Trois cas de figure
1. Si le patient est inconscient mais respire, il doit immédiatement être mis en position latérale de sécurité (côté droit), en s’assurant de la liberté des voies aériennes supérieures (VAS).
L’anamnèse (antécédents du patient, circonstances du malaise) doit être reconstituée et l’examen clinique comporter : la mesure des fréquences cardiaque (FC) et respiratoire (FR), l’oxymétrie de pouls (SpO2), la température, la pression artérielle aux 2 bras, un électrocardiogramme 12 dérivations et, si le patient est diabétique, une glycémie capillaire.
Si une intoxication aux opiacés est probable (troubles de conscience, myosis, bradypnée et contexte en faveur), le traitement consiste à administrer de la naloxone par voie intraveineuse [IV] (immédiatement), intramusculaire [IM] ou sous-cutanée [SC] (délai : 3 minutes) ou par spray nasal.
En parallèle, appeler le 15 (sauf hypoglycémie résolutive au premier resucrage par glucagon IM, SC ou intranasal, ou G 30 % IV).
2. Si le patient est inconscient et ne respire pas, c’est l’arrêt cardiorespiratoire.
L’appel au 15 et à toute personne susceptible d’apporter un défibrillateur externe sur les lieux doit être immédiat, contemporain des premiers gestes de réanimation :
– s’assurer de la liberté des VAS puis poser une canule de Guédel pour éviter la ptose de langue en postérieur ;
– débuter le massage cardiaque externe avec une alternance de 30 compressions (à un rythme de 100 à 120/minute ; se caler sur le refrain de la chanson Staying Alive) pour 2 insufflations ;
– installer le défibrillateur semi-automatique ;
– si possible, ventiler au BAVU sous O2 15 L plutôt qu’à la bouche ;
– si possible, administrer de l’adrénaline 1 mg en IVD toutes les 4 min.
À noter qu’en l’absence de BAVU, la ventilation en bouche à bouche n’est pas obligatoire et la réanimation peut être débutée, jusqu’à l’arrivée des secours, uniquement par des compressions thoraciques au rythme de 100 à 120 par minute.
3. Si le patient est conscient mais ne respire pas, c’est la détresse respiratoire. L’appel au 15 doit être systématique.
Les critères de gravité à rechercher sont les suivants :
– FR > 30/min ;
– orthopnée, cyanose, sueurs ;
– signes de lutte (tirage, respiration abdominale…) ;
– agitation, somnolence, confusion ;
– SpO2 < 90 %.
Quelle que soit la cause, l’oxygène au masque à haute concentration est le traitement de première intention, s’il est disponible.
Dyspnée expiratoire (crise d’asthme ou exacerbation de BPCO)
Le traitement de référence est l’aérosol sous oxygène (6 à 9 L/min) de terbutaline 5 mg + bromure d’ipratropium 500 µg.
En cas d’indisponibilité, l’aérosol doseur habituel du patient peut être utilisé avec une chambre d’inhalation.
La corticothérapie, dont l’effet est différé, n’a pas de place en traitement d’urgence.
Dyspnée inspiratoire
Les causes possibles sont nombreuses :
Angiœdème histaminique : les critères diagnostiques sont définis dans le tableau ci-dessous. On note que l’œdème, même laryngé, compte comme une atteinte cutanéomuqueuse et non respiratoire.
Le traitement consiste en l’administration d’adrénaline en IM à la dose de 0,01 mg/kg (dose maximale de 0,5 mg).
Les corticoïdes n’ont pas de place dans le traitement d’urgence de l’anaphylaxie. Les antihistaminiques ne sont utiles que sur les symptômes cutanéomuqueux. On peut associer l’administration de β2-mimétiques d’action rapide en cas de bronchospasme.
Laryngite striduleuse : la corticothérapie est efficace en quelques minutes.
Épiglottite : syndrome fébrile intense, dysphagie, hypersialorrhée et dyspnée progressive.
Corps étranger laryngé : asphyxie aiguë, immédiate, foudroyante ; tirage très intense, aphonie et cyanose importante.
Si l’obstruction est totale (pas de voix, bouche ouverte, agitation, pas de respiration) : taper 5 fois dans le dos entre les 2 omoplates. En cas d’inefficacité, procéder à la manœuvre de Heimlich (figure ci-dessous, droite).
Si l’obstruction est partielle (le patient parle et tousse) : l’encourager à tousser et le placer en position demi-assise.
Brûlure : refroidir !
Qu’elle soit chimique, électrique ou par exposition à un corps brûlant, il faut immédiatement supprimer le contact avec l’agent en cause.
Le premier geste à avoir est de refroidir la plaie en rinçant au moins 15 minutes sous l’eau froide (mais non gelée : 15 °C), rapidement (dans les 15 premières minutes après l’exposition à la source en cause). Cela permet de limiter l’extension de la brûlure en surface et en profondeur par conduction de la chaleur.
Une analgésie peut être associée (2 cp de paracétamol 500 mg + codéine 30 mg en l’absence de geste chirurgical prévisible, ou morphine 0,05 mg/kg SC).
Ensuite, évaluer rapidement :
– la surface cutanée atteinte (tableau de Lund et Browler, règle des 9 de Wallace) ; pour plus de facilité, on considère que la surface d’une paume de main de patient vaut pour 1 % de surface cutanée ;
– le degré d’atteinte ;
– les localisations remarquables (visage, périnée, mains).
Parallèlement, la brûlure est nettoyée à l’eau et au savon doux.
En cas d’apparition de petites phlyctènes non ou peu douloureuses, il ne faut pas y toucher. Si les phlyctènes sont en revanche de grande taille ou douloureuses : les percer et débrider.
Quel pansement ?
– brûlure au 1er degré : pommade ou crème sans antibactérien ;
– brûlure au 2e degré superficiel propre : interface ou membrane sans antibactérien ;
– brûlure au 2e degré profonde ou superficielle à risque de contamination (mauvaise hygiène, zone algique, brûlure étendue) : pommade ou pansement avec antibactérien (et JAMAIS de pommade ou crème sans antibactérien) ;
– brûlure au 3e degré : avis spécialisé pour traitement chirurgical.
Plaie
La première mesure à prendre, outre l’hémostase par compression, est l’analgésie :
– antalgique per os [PO] (paracétamol ; paracétamol + codéine) en l’absence de geste chirurgical prévisible ;
– topique anesthésiant (lidocaïne + prilocaïne) ;
– anesthésie locale (lidocaïne non adrénalinée à 1 et 2 %) ;
– morphine 0,05 mg/kg SC.
Prendre en charge le risque infectieux par nettoyage/détersion à l’eau et au savon (pas de bénéfices des antiseptiques), explorer la plaie en excisant les tissus voués à la nécrose et en évacuant les corps étrangers. L’antibiothérapie probabiliste (amoxicilline + acide clavulanique 1 g/8 h pendant 5 jours) n’est pas systématique en dehors des morsures.
La prévention du risque tétanique doit rester un réflexe (uniquement pour les personnes dont la vaccination n’est pas à jour) :
– en cas de blessure mineure, propre : une dose immédiate de vaccin antitétanique IM ;
– si blessure majeure ou souillée par des germes d’origine tellurique : immunoglobulines antitétaniques 250 UI IM et une dose de vaccin antitétanique IM.
Il existe différentes techniques de suture, selon le type de plaie (tableau ci-dessous) :
La suture est laissée en place pendant une durée variable, selon la localisation de la plaie :
La trousse d’urgence
Il n’y a pas de consensus actuel ni de jurisprudence concernant le matériel et les médicaments devant constituer la trousse d’urgence du médecin généraliste. La seule obligation médico-légale est de pouvoir assurer l’administration immédiate de ceftriaxone injectable devant la constatation d’un purpura fulminans.
Il est donc recommandé d’adapter son matériel en fonction de son mode d’exercice, son environnement et ses compétences, puisqu’aucun texte officiel ne fait foi.
À titre indicatif, voici une proposition de matériel qui pourrait s’avérer utile :
– Produits d’hygiène : masques, soluté hydroalcoolique, lingettes, gants, container à aiguille.
– Matériel de diagnostic : tensiomètre, stéthoscope, otoscope, lecteur glycérique, électrocardiogramme, saturomètre, thermomètre.
– Matériel de perfusion : cathéters, aiguilles, seringues, tubulures, sérum physiologique, G 30 %.
– Kit de pansement, de suture, fils, agrafeuse, garrot.
– Matériel pour aérosols (chambre d’inhalation, nébuliseur avec masque, bouteille 02), canule de Guédel.
– Défibrillateur automatisé externe.
– Ceftriaxone IM, antalgiques (paracétamol PO, paracétamol + codéine PO, morphine PO et SC, lidocaïne + prilocaïne crème, lidocaïne adrénalinée SC), adrénaline IV, trinitrine sublinguale, β2-mimétiques (terbutaline) dosette ou doseur, bromure d’ipratropium dosette, antihistaminique PO, adrénaline stylo, glucagon spray nasal, benzodiazépine IM et PO, neuroleptique PO, anxiolytique PO, naloxone spray nasal.
*L’article 223-6 alinéa 2 du Code pénal stipule que « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »
L’article R.4127-9 du Code de la santé publique précise que « tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d’un blessé en péril, ou informé qu’un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ».
Kristell Delarue, La Revue du Praticien
Références :
Drees. Genèse des recours urgents ou non programmés à la médecine générale. Novembre 2007.
Gloaguen A, Cesareo E, Vaux J, et al. Prise en charge de l’anaphylaxie en médecine d’urgence. Recommandations de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) en partenariat avec la Société française d’allergologie (SFA) et le Groupe francophone de réanimation et d’urgences pédiatriques (GFRUP), et le soutien de la Société pédiatrique de pneumologie et d’allergologie (SP2 A).Ann. Fr. Med. Urgence 2016;6:342-64.
Société française de médecine d’urgence. Plaies aiguës en structure d’urgence. Référentiel de bonnes pratiques. 2017.
Ministère des solidarités et de la santé. Avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France, section maladies transmissibles, relatif à la conduite à tenir immédiate en cas de suspicion clinique de purpura fulminans. 22 septembre 2006.