La physiopathologie de l’hyperglycémie sous glucocorticoïdes (GC) est proche de celle du diabète de type 2, associant insulinorésistance et déficit d’insulinosécrétion.1 Si les glucocorticoïdes peuvent être à l’origine d’un diabète de novo dans certaines conditions, ils sont quasi systématiquement responsables d’une altération de l’équilibre glycémique chez un patient préalablement diabétique. Seule cette deuxième situation est traitée ici.

Toutes les galéniques ne se valent pas !

Le risque d’hyperglycémie sous GC n’est pas le même selon la galénique utilisée.

Glucocorticoïdes oraux : les plus dangereux

Les GC administrés par voie orale ou parentérale sont les plus à même de provoquer une hyperglycémie chez le patient diabétique. Ce risque dépend de trois paramètres : la molécule (tableau), la dose prescrite rapportée au poids et la durée d’exposition.
Les GC à cinétique intermédiaire (prednisone et prednisolone), classiquement prescrits en prise unique le matin, provoquent une augmentation glycémique diurne progressive avec un pic en début de soirée et un retour à la normoglycémie entre 20 h et 8 h le lendemain matin.2 Ce profil pharmacocinétique implique d’examiner les glycémies à jeun mais également post-prandiales et/ou vespérales pour apprécier l’effet hyperglycémiant – la glycémie au réveil étant la moins affectée.

Dermocorticoïdes : pas anodins !

Les dermocorticoïdes (DC) ont un poids moléculaire permettant le passage transcutané du principe actif, donc sa diffusion sanguine. L’odds ratio moyen de diabète incident sous DC se situe autour de 1,3. Le risque d’hyperglycémie sous DC augmente dans certaines situations (encadré), ou en cas d’utilisation prolongée, avec cumul de fortes doses.3

Glucocorticoïdes ophtalmiques : effet variable selon la voie d’administration

Les GC ophtalmiques peuvent être administrés par différentes voies : en intravitréen et en collyre, avec un faible risque de passage systémique ; par voie périoculaire sous-ténonienne, avec une concentration plasmatique comparable à celle de la voie orale. L’effet hyperglycémiant varie selon le profil du patient (y compris pour les cures courtes) : il est accru chez les patients diabétiques, a fortiori en cas de mauvais contrôle glycémique préthérapeutique.3,4

Injections intra-articulaires : risques brefs mais intenses

Les formes les plus utilisées en France sont l’acétate de méthylprednisolone (MA), l’acétonide de triamcinolone (TA) ou hexacétonide (TAH) et l’association acétate de bétaméthasone-phosphate de sodium (BAP). Le passage systémique des GC injectés par cette voie est accru si la solubilité de la préparation est grande (MA > TA > TAH), une forte dose est injectée, a fortiori si la surface synoviale exposée est conséquente (plusieurs articulations en une seule procédure, infiltration sacro-iliaque) ; il dépend également du degré d’inflammation intra-articulaire (rhumatisme inflammatoire > arthrose) ; il existe enfin une grande variabilité inter­individuelle (concentrations plasmatiques pouvant varier du simple au quintuple après une injection de MA dans le genou). Chez les patients diabétiques, le pic glycémique survient en moyenne vingt-quatre à trente-six heures après le geste, et le retour au niveau glycémique préthérapeutique est constaté en moyenne trois à cinq jours après.5 La prise concomitante de médicament inhibiteur du cytochrome P450 A3A4 peut prolonger l’effet systémique du produit, donc la période d’hyper­glycémie.
Il n’y a pas de seuil établi pour contre-­indiquer le geste, mais il est raisonnable de considérer qu’une hémoglobine glyquée (HbA1c) supérieure à 7,5 % et/ou une glycémie à jeun supérieure à 2 g/L doivent faire différer sa réalisation. Cette précaution prise, du fait de la pharmacocinétique, le risque de décompensation hyper­glycémique du diabète est faible. Il faut conseiller aux patients de renforcer la surveillance glycémique dans la semaine qui suit le geste et de consulter rapidement si les valeurs plafonnent à 2,5-3 g/L.

Glucocorticoïdes en inhalation : impact négligeable

Les GC administrés par voie inhalée ont un effet hyperglycémiant négligeable. Bien que les nouveaux systèmes d’inhalation favorisent une délivrance ciblée dans les voies aériennes, in fine moins de 40 % du principe actif y parvient ; le passage systémique des 60 % restants est atténué par la clairance hépatique. Chez les patients diabétiques, l’effet hyper­glycémiant est mineur et s’observe surtout lors d’un usage prolongé.3,6

Quelle surveillance instaurer ?

Il est recommandé de contrôler l’HbA1c préthérapeutique et de prescrire un lecteur de glycémie capillaire aux patients diabétiques de type 2 qui n’en utilisent pas habituellement. Au démarrage de la corticothérapie, deux à quatre contrôles glycémiques capillaires quotidiens sont préconisés : avant le déjeuner ou le dîner et une à deux heures après. Des taux supérieurs à 1,4 g/L avant le repas et/ou supérieurs à 2 g/L après doivent conduire à intensifier la surveillance capillaire (matin, midi, soir et coucher) et à adapter le traitement antidiabétique.

Prise en charge des hyperglycémies induites par les glucocorticoïdes

Variable selon le profil du patient, elle diffère selon la nature du diabète sous-jacent : diabète de type 2 insulinodépendant ou non, ou diabète de type 1.

Cas du diabète de type 2 non insulinodépendant

Si un patient diabétique de type 2 sous traitement non insulinique a une hyperglycémie modérée en regard d’une dose stable de glucocorticoïdes, le traitement antidiabétique peut être renforcé en suivant les recommandations de la Société française du diabète publiés en 2021.
Une hyperglycémie post-prandiale prédominante justifie l’utilisation d’un glinide (répaglinide) préférentiellement le matin et le midi, ou d’un incrétinomimétique (iDPP4 ou analogue du GLP-1), éventuellement d’un inhibiteur de l’alpha­glucosidase (acarbose, miglitol) ; les sulfonylurées (SU) peuvent aussi être utilisées, en contrôlant l’absence d’hypoglycémie dans la nuit ou au réveil.
 

Recours à l’insuline lente ou semi-lente

En l’absence de traitement oral/injectable non insulinique optimisé, une insulinothérapie doit être instaurée. Le choix de l’insuline lente doit être discuté en fonction du profil d’hyperglycémie induit par le GC : analogue lent de l’insuline en cas d’hyperglycémie à jeun, ou insuline intermédiaire NPH (neutral protamine hagedorn) préprandiale plus adaptée à une ascension progressive des glycémies après le petit déjeuner (pic d’action à quatre heures et durée d’action de dix-huit heures).
L’initiation de l’insuline lente ou semi-­lente de 0,1 à 0,5 UI/kg dépend de cinq paramètres : la dose de corticoïdes reçue, la ration calorique du patient, l’âge, l’indice de masse corporelle et le débit de filtration glomérulaire.
Le traitement non insulinique peut être maintenu en combinaison avec l’insuline (il faut parfois, selon le profil d’hyperglycémie, réduire le dosage des SU en parallèle).
 

Adaptation de l’insulinothérapie : ajout d’un analogue rapide

En cas de persistance de l’hypergly­cémie, en particulier en période post-prandiale, l’intensification de l’insulino­thérapie peut être envisagée en ajoutant une ou plusieurs injections d’analogue rapide de l’insuline (aspart, lispro ou glulisine), selon le profil d’hyperglycémie, éventuellement jusqu’au schéma basal/bolus à quatre injections.
Dans ce cas, le traitement oral est interrompu (à l’exception du biguanide s’il peut être maintenu).
Une alternative consiste à mettre en place une ou plusieurs injections d’une insuline prémix (NPH + 30 à 70 % d’analogue rapide), administrée au moment des repas correspondant aux prises des corticoïdes et/ou induisant une hyperglycémie post-prandiale plus marquée.2
 

Cas particulier de la dexaméthasone

En cas de prise de dexaméthasone (utilisée dans le traitement des formes graves de Covid-19), il est préférable de prescrire 0,15 à 0,3 UI/kg d’insuline NPH en deux injections, deux tiers de la dose étant administrée le matin et un tiers le soir. L’alternative est d’utiliser une insuline à longue durée d’action (dégludec, glargine U300…), à la dose initiale de0,2 UI/kg.
 

Anticiper l’arrêt de la corticothérapie

Dès lors que la décroissance de la corticothérapie est envisagée, il faut anticiper la normalisation glycémique en réduisant la dose d’insuline de la moitié du pourcentage de variation de dose des GC. Par exemple, une baisse de 50 % des GC doit conduire à diminuer l’insuline de 25 %.

Cas du diabète de type 2 insulinodépendant

Dans le cas d’un diabète de type 2 préalablement traité par insuline basale, il faut successivement majorer l’insuline basale de 10 à 20 % sur deux à trois jours, puis ajouter un bolus quand la basale est titrée en débutant au repas correspondant à la prise des GC (avec un protocole d’insuline de correction aux autres repas) avant de passer au schéma basal/bolus complet.

Cas du diabète de type 1

Il est nécessaire de sensibiliser les patients diabétiques de type 1 au risque accru d’acidocétose ainsi qu’à celui d’hypoglycémie nocturne à distance de l’action des GC.
La mesure en continue du glucose (MCG), par capteur interstitiel, facilite la surveillance glycémique et l’adaptation des doses d’insuline.
Sous schéma basal/bolus, il est recommandé de majorer la dose totale quotidienne (somme de la dose de l’insuline basale et de tous les bolus) d’environ 10 % par dose de 20 mg/j de prednisolone. Pour une prescription d’insuline basale, il est préférable d’utiliser deux injections de détémir ou de NPH pour pouvoir administrer une dose diurne supérieure à la dose nocturne si nécessaire. Si le patient utilise une insuline à longue durée d’action, la majoration des bolus du matin et du midi permet de limiter l’ascension glycémique diurne.
Sous dexaméthasone, la dose d’insuline basale est augmentée en première intention.
Un traitement par pompe à insuline sous-cutanée peut faciliter le contrôle glycémique.
En cas d’hyperglycémie marquée et persistante, un contrôle de la cétonémie ou de la cétonurie par bandelette est préconisé, avec application du protocole ­de correction par un analogue rapide de l’insuline fourni au patient pour faire disparaître l’acétone.

Encadre

Facteurs favorisant le passage systémique des dermocorticoïdes

– Âges extrêmes (finesse de la peau des personnes âgées, rapport surface/poids élevé chez l’enfant)

– Localisations : zones humides et/ou chaudes (visage, pli sous-mammaire, aine, aisselle) ; peau lésée (plaie abrasive ou inflammation)

– Galéniques : moindre pour les pommades que pour les gels aqueux ; usage prolongé d’un dermocorticoïde « puissant » (clobétasol et bétaméthasone dipropionate)

– Recouvrement par un pansement occlusif

Encadre

Que dire à vos patients ?

• La prise de glucocorticoïdes chez un patient diabétique n’est pas anodine, quelle que soit la galénique.

• Les galéniques des glucocorticoïdes les plus à même de favoriser une hyperglycémie sont les voies orale et injectable. Seule la prise par inhalation est à moindre risque.

• L’utilisation d’un lecteur glycémique est le moyen le plus pertinent de surveiller la glycémie, notamment si une corticothérapie est envisagée.

• La prise en charge d’une hyperglycémie avérée sous corticothérapie diffère selon le type de diabète sous-jacent : diabète de type 2 insulinodépendant ou non, ou diabète de type 1.

Références

1. Suh S, Park MK. Glucocorticoid-induced diabetes mellitus: an important but overlooked problem. Endocrinol Metab (Seoul) 2017;32(2):180-9.
2. Aberer F, Hochfellner DA, Sourij H, et al. A Practical Guide for the Management of Steroid Induced Hyperglycaemia in the Hospital. J of Clin Med 2021;16;10(10):2154.
3. Zenklusen C, Feldmeyer L. Dermocorticoïdes : incontournables et redoutés. Rev Med Suisse 2014;10(425):821-6.
4. Feldman-Billard F, Héron E. Tolérance systémique des corticoïdes en ophtalmologie : influence de la voie d’administration. J Fr Oph 2008;31(10):1026-36.
5. Choudhry MN, Malik RA. Blood Glucose Levels Following Intra-Articular Steroid Injections in Patients with Diabetes : A Systematic Review. Jounal of Bone and Joint Surgery 2016;4(3).
6. Egbuonu F, Antonio FA, Edavalath M. Effect of Inhaled Corticosteroids on Glycemic Status. Open Respir Med J 2014;31(8):101-5.

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essentiel

Le risque d’hyperglycémie cortico-induite dépend de la galénique : risque avéré pour les voies orale et injectable (surtout si traitement prolongé) ; risque faible pour la voie inhalée.

Renforcer la surveillance glycémique pré- et post-prandiale, notamment si l’HbA1c préthérapeutique est élevée.

Chez un patient DT1, il y a un risque d’acidocétose : sensibiliser le patient et adapter le traitement insulinique (même en cas de cure courte) pendant et après la corticothérapie (effet rémanent).

Pour le patient DT2, envisager rapidement de remplacer le traitement non insulinique par une insulinothérapie basale-bolus ou prémix lorsque les glycémies dépassent 2 g/L.