Les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique sont souvent proposées dans la gonarthrose. Cependant, elles ne sont plus remboursées depuis 2017 car leur efficacité et leur sécurité d’emploi sont controversées. Récemment, le conseil scientifique du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) a publié un avis contre leur usage, ce qui a suscité une vive réaction de la part des rhumatologues. Les arguments « pour » et « contre » de ce débat.

Non ! Une balance bénéfice/risque défavorable

L’avis négatif du CNGE se fonde sur une méta-analyse récente sur 169 essais randomisés qui a évalué l’efficacité (soulagement de la douleur et amélioration de la fonction articulaire) et les risques de la visco-supplémentation d’acide hyaluronique comparativement à des injections intra-articulaires de placebo ou des soins usuels.

Concernant l’efficacité, la visco-supplémentation a entraîné une diminution de l’intensité de la douleur de l’ordre de - 2 mm en moyenne sur une échelle visuelle analogique de 100 mm ; et une faible amélioration de la fonction articulaire : différence moyenne standardisée = - 0,11. Les résultats sur ces deux critères de jugement étaient inférieurs aux seuils de pertinence clinique préétablis : - 10 mm pour la douleur et - 0,37 pour la fonction. De plus, un biais est possible : cette méta-analyse inclut plusieurs grands essais cliniques financés par l’industrie qui n’ont jamais été publiés.

Quant à la tolérance, une analyse de 15 essais cliniques incluant 6 442 patients a suggéré que la visco-supplémentation était associée à un sur-risque d’effets indésirables graves voire mortels, notamment cardiovasculaires : 3,7 % dans le groupe traité vs 2,5 % dans le groupe témoin : risque relatif = 1,49.

Le conseil scientifique du CNGE conclut à un rapport bénéfice/risque défavorable et invite les agences d’État, HAS et ANSM, à prendre des mesures pour éviter aux patients d’être exposés à des risques inutiles.

Oui ! Une option valide dans un arsenal thérapeutique limité

Cet avis a suscité une vive réaction de la part de la Société française de rhumatologie (SFR) et d’autres société savantes et associations de patients*.

Tout d'abord, les rhumatologues pointent plusieurs limites et faiblesses de cette méta-analyse :

  1. données trop hétérogènes : les auteurs ont regroupé toutes les études, y compris celles non publiées, indépendamment des critères d’inclusion, des stades évolutifs, de l’intensité de la douleur initiale et des protocoles d’injection ;
  2. nature du placebo variable : l’injection de solution saline (utilisée dans certaines études) pouvait avoir un effet thérapeutique propre, limitant ainsi la différence potentielle avec la molécule d’intérêt testée, ici l’acide hyaluronique ;
  3. les effets indésirables « graves » ou « sévères » rapportés correspondent à l’addition des EI rapportés dans les différents articles étudiés, sans aucune analyse de leur imputabilité (fracture du fémur, cardiomyopathie, cancer colique, sténose carotidienne, cirrhose, etc.).

 

Les rhumatologues estiment que les injections d’acide hyaluronique gardent une place dans la gonarthrose (recos 2021 de la SFR). D'après eux, d’une part, l’expérience clinique montre qu’il s’agit d’une thérapeutique bien tolérée, lorsqu’elle est correctement utilisée par les spécialistes concernés ; d’autre part, si son effet thérapeutique est modéré, il est supérieur à celui du paracétamol, dont la tolérance, cardiovasculaire et digestive, est actuellement discutée (en cas d’utilisation à long terme). Sa suppression de l’arsenal thérapeutique déjà limité dans la gonarthrose conduirait à favoriser d’autres types de traitements tels que les injections intra-articulaires de plasma enrichis en plaquettes (technique plus lourde, plus coûteuse et moins bien évaluée), à augmenter le recours à la chirurgie prothétique et à accroître la consommation d’antalgiques (paracétamol, opioïdes faibles) et d’AINS oraux aux effets délétères indiscutables.

 

*Société française de rhumatologie (SFR), Société française de médecine physique et réadaptation (SOFMER), Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (SOFCOT), Syndicat national des médecins rhumatologues (SNMR), Collège français des enseignants en rhumatologie (COFER), Conseil national professionnel de rhumatologie, Conseil national professionnel de médecine physique et de réadaptation, Conseil national professionnel de chirurgie orthopédique et traumatologique, Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR).

Pour en savoir plus

Sellam J, Courties A, Eymard F, et al. Recommendations of the French Society of Rheumatology on pharmacological treatment of knee osteoarthritis.  Joint Bone Spine 2020;87(6):548-55.

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