La goutte est liée à la présence de cristaux d’urate monosodique qui se forment en cas d’hyperuricémie prolongée. C’est la plus fréquente des arthrites : en France métropolitaine la prévalence est de 1 % de la population adulte, mais elle serait de 14 % en Polynésie française.
Elle se manifeste par des crises douloureuses récidivantes et, en l’absence de traitement, peut entraîner le développement de tophus invalidants (fig. 1) et d’une arthropathie destructrice. Elle est souvent associée à des comorbidités rénales, métaboliques et cardiovasculaires qui aggravent son pronostic.
Historiquement, la goutte a été associée aux excès alimentaires (aliments riches en purines) et à l’abus d’alcool, mais on sait aujourd’hui que l’hérédité joue un rôle majeur. D’après une méta-analyse récente sur des patients américains d’origine européenne, le poids de la génétique serait 80 fois plus important que celui du régime alimentaire.
Le diagnostic est évoqué devant une uricémie > à 360 µmol/L (souvent > à 420 µmol/L) et une réponse très rapidement favorable à la colchicine. Mais l’hyperuricémie ne suffit pas à confirmer le diagnostic et d’autres examens sont nécessaires pour mettre en évidence présence de microcristaux d’acide urique (échographie articulaire, radiographie, ponction à l’aiguille fine du liquide articulaire ou d’un tophus).
Cette pathologie reste sous-diagnostiquée et peu traitée. Le traitement des crises de goutte permet de réduire l’inflammation et la douleur, mais aussi de limiter le risque cardiovasculaire. En effet, d’après une étude anglaise parue en 2022, le risque d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral serait multiplié par 1,89 dans les deux mois qui suivent une crise de goutte.
L’objectif du traitement à long terme (de fond) est de prévenir les crises douloureuses et les complications de la maladie par la dissolution des cristaux pathogènes.
Les recommandations pour la prise en charge ont été simplifiées et l’ANSM a revu à la baisse les posologies de la colchicine.
Traitement de la crise : dans les 12 heures
Stratégie du « comprimé dans la poche »
La goutte se manifeste par des crises d’arthrites aiguës récidivantes, d’apparition brutale, extrêmement douloureuses mais transitoires, qui atteignent généralement la première articulation métatarsophalangienne (MTP1) ou le pied/la cheville, et entraînent une incapacité à marcher. Les patients cherchent généralement à consulter en urgence, mais ils ne peuvent pas toujours trouver un médecin disponible rapidement. Or la colchicine (et probablement les autres traitements de la crise) est plus efficace si administrée dans les 12 premières heures de l’épisode aigu. Pour éviter de retarder l’instauration du traitement, il faut apprendre aux patients à traiter eux-mêmes leurs poussées, dès les premiers signes. Cela implique que le traitement ait été préalablement prescrit et expliqué à tous les patients goutteux par le médecin.
Quels médicaments ?
Plusieurs options possibles : colchicine, AINS per os, corticothérapie orale ou intra-articulaire, inhibiteurs de l’IL- 1. On y associe : repos et glaçage articulaires, médicaments antalgiques. Le choix du traitement est orienté par leur tolérance et/ou leurs contre-indications. Il dépend en effet des comorbidités, souvent associées (maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale, diabète, ulcère gastroduodénal, infections), des antécédents d’intolérance médicamenteuses, des interactions médicamenteuses potentielles, du nombre et du type d’articulations touchées.
La colchicine doit être initiée, idéalement dans les 12 premières heures, à la posologie suivante (selon les dernières recos de l’ANSM) :
- 1 mg dès le début de la crise,
- puis 0,5 mg une heure plus tard,
- ensuite poursuivie à 0,5 mg 2 ou 3 fois/jour en fonction de l’évolution (tant que les symptômes de la poussée persistent, généralement pendant 3 à 5 jours).
La diarrhée est le premier signe de toxicité et doit faire diminuer ou arrêter le traitement.
La posologie doit être diminuée en cas d’insuffisance rénale (et évitée si DFG estimé < 30 mL/min/1,73 m2) ou hépatocellulaire (la colchicine étant métabolisée par le foie). Si toutefois les posologies « réduites » sont insuffisantes pour traiter les crises efficacement, des alternatives doivent être considérées.
En cas de coprescription d’un médicament qui interagit avec le métabolisme de la colchicine :
- inhibiteur fort de la glycoprotéine P (par exemple, ciclosporine) ou du CYP3A4 (clarithromycine, kétoconazole, ritonavir) : éviter la colchicine (en cas de prescription : 0,5 mg le 1er jour, à ne pas répéter avant 3 jours) ;
- inhibiteurs modérés du CYP3A4 (diltiazem, vérapamil) : une dose de 1 mg, à ne pas répéter avant 3 jours ;
- inhibiteurs faibles du CYP3A4 (azithromycine) : aucune adaptation de posologie.
La corticothérapie orale doit être prescrite à la dose de 30 à 35 mg/j (équivalent prednisolone) pendant 3 - 5 jours. Elle est déconseillée en cas de diabète de type 2 ou d’HTA déséquilibrés. Les infiltrations intra-articulaires de corticoïdes sont préférables en cas d’atteinte mono-articulaire d’une articulation facilement accessible.
Chez les patients souffrant d’insuffisance rénale ou hépatique, les corticoïdes, qui sont rarement utilisés en France, sont une option acceptable.
Les AINS peuvent être prescrits per os et sur une courte période, le temps de la crise. À éviter en cas d’insuffisance rénale stade 3 - 5 (DFG estimé < 60 mL/min/1,73 m2) ou de maladie cardiovasculaire sévère.
Les inhibiteurs de l’IL- 1, initiés en milieu hospitalier, sont réservés aux cas d’échec ou de contre-indication aux AINS, aux corticostéroïdes et à la colchicine. Ils sont contre-indiqués en cas d’infection et imposent de surveiller les polynucléaires neutrophiles.
La prise en charge des crises est résumée dans l’algorithme ci-contre (fig. 2).
Traitement de fond hypo-uricémiant
Le traitement des seules poussées ne permet pas de guérir la goutte : les dépôts de cristaux d’urate persistent silencieusement après la résolution de la crise.
Les traitements hypo-uricémiants sont le seul moyen efficace d’obtenir la dissolution des cristaux d’urate, ce qui permet non seulement de prévenir les crises mais aussi d’autres complications comme les tophus et les arthropathies uratiques. Les patients doivent en être informés car ils ont souvent une perception erronée de la maladie : ils la considèrent comme une pathologie aiguë, caractérisée par des accès douloureux transitoires suivis d’un retour à la normale de l’articulation concernée.
Ainsi, un traitement hypo-uricémiant permanent est indiqué pour tout patient goutteux, même en cas de première crise, à condition que le diagnostic de goutte soit certain (mais non en cas d’hyperuricémie asymptomatique).
Objectif : uricémie < 300 µmol/L (50 mg/L) et, si cela n’est pas possible, < 360 µmol/L (60 mg/L) chez tous les goutteux. Une fois la cible atteinte, le traitement doit être maintenu, et l’uricémie doit être contrôlée 1 à 2 fois par an.
Le choix du médicament dépend de la fonction rénale (rechercher une insuffisance rénale avant la prescription) :
- si DFGe > 60 mL/min/1,73 m² : allopurinol (Zyloric) en première ligne, à la dose initiale de 50 à 100 mg/j, à augmenter par palier de 50 à 100 mg toutes les 2 à 4 semaines jusqu’à atteindre l’uricémie-cible ;
- si DFGe compris entre 30 et 60 mL/min/1,73 m² : utiliser l’allopurinol avec prudence et considérer un traitement alternatif avec le fébuxostat (Adenuric ; débuter par 80 mg/j) ;
- DFGe < à 30 mL/min/1,73 m² : éviter l’allopurinol et préférer le fébuxostat.
Attention : le fébuxostat est à prescrire avec prudence chez les personnes ayant des maladies CV sévères (contre-indiqué si cardiopathie ischémique ou insuffisance cardiaque ; demander un avis cardiologique s’il est nécessaire de l’utiliser).
L’initiation d’un traitement hypo-uricémiant est fréquemment associée à une augmentation du risque de crises dans les 6 à 12 mois. En prévention, il faut associer à la prescription initiale, en l’absence de contre-indication, 0,5 ou 1 mg/jour de colchicine (0,5 mg tous les 2 jours chez les patients ayant une insuffisance rénale modérée) pendant au moins 6 mois et augmenter progressivement les doses d’hypo-uricémiant.
Le traitement de fond est résumé dans l’algorithme ci-contre (fig. 3).
Mesures à associer
La goutte est fréquemment associée à des comorbidités dont l’HTA, le diabète de type 2, la dyslipidémie, l’insuffisance rénale chronique, les maladies cardiovasculaires. Le dépistage et la prise en charge de ces affections sont cruciaux. Par ailleurs, certaines comorbidités – obésité et hypertriglycéridémie – sont des causes d’hyperuricémie et leur traitement permet de réduire l’uricémie.
Chez ces malades, il faut, si possible, remplacer certains médicaments ayant pour effet d’augmenter l’uricémie (diurétiques thiazidiques et de l’anse, bêtabloquants, aspirine à faible dose, ciclosporine, tacrolimus, pyrazinamide, éthambutol) par des molécules hypo-uricémiantes (losartan, fénofibrate, atorvastatine, amlodipine).
L’arrêt du tabagisme, la perte de poids chez le patient obèse et l’exercice physique régulier sont à encourager afin de réduire le risque cardiovasculaire.
Les efforts diététiques doivent se focaliser sur l’élimination de la consommation d’alcool (y compris la bière avec/sans alcool) et de boissons sucrées au fructose et sur la réduction du poids en cas de surcharge pondérale, car ces facteurs augmentent l’uricémie, mais il faut savoir que l’amélioration obtenue par une modification du style de vie reste modeste. Cette dernière a toutefois un intérêt en termes de santé globale et de prévention cardiovasculaire.
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