La greffe de cornée consiste à remplacer tout ou une partie d’une cornée pathologique (perte de transparence, irrégularité importante) par une cornée saine provenant d’un donneur décédé.1 Il s’agit de la greffe d’organe la plus pratiquée en France, avec environ 4 500 procédures par an, toutes techniques confondues. Réalisée pour la première fois en 1906 par Eduard Zirm, elle est aussi la plus ancienne greffe accomplie avec succès chez l’homme. Si l’allogreffe reste pour le moment la seule solution, l’optimisation des techniques chirurgicales depuis une vingtaine d’années permet de remplacer uniquement la structure cornéenne malade afin d’améliorer la récupération et de limiter les risques de complications postopératoires.
Cornée : cinq strates non vascularisées
La cornée, tissu avasculaire, est formée de cinq couches, de la superficie vers la profondeur :2
- l’épithélium cornéen est pluristratifié et non kératinisé ; son renouvellement est assuré par les cellules situées au niveau du limbe. Il assure un rôle protecteur vis-à-vis de l’environnement extérieur ;
- la membrane de Bowman se situe entre la membrane basale de l’épithélium et le stroma ;
- le stroma est constitué essentiellement de fibres de collagène et représente 90 % de l’épaisseur cornéenne. Il assure la solidité, la stabilité et la transparence de la cornée ;
- la membrane de Descemet sépare le stroma de l’endothélium ;
- l’endothélium est une monocouche cellulaire ayant un rôle fondamental dans le maintien de la transparence du stroma par « déshydratation » active de celui-ci (on parle de « pompe endothéliale ») ; il ne se renouvelle pas après dégénérescence ou perte traumatique.
Une chirurgie non urgente
Hors contexte particulier (traumatologie, perforation cornéenne, infectiologie), la greffe de cornée est une intervention réalisée dans la cadre d’un programme opératoire réglé ; elle ne nécessite pas d’intervention en urgence. En effet, les greffons cornéens prélevés en France ont une durée de vie allant jusqu’à trente-cinq jours après leur prélèvement. Ce temps long de conservation est permis par l’organoculture, permettant ainsi une certaine flexibilité de planification opératoire.
Il n’existe pas de contrainte de compatibilité (matching) sur le sexe, le groupe sanguin ou le typage HLA.
Habituellement, une hospitalisation de vingt-quatre à soixante-douze heures est proposée, même si certaines équipes réalisent le geste en ambulatoire.
En cas de nécessité, l’acte de greffe peut être combiné à un autre geste chirurgical tel qu’une chirurgie de cataracte (extraction du cristallin et mise en place d’un implant de chambre postérieure) ou de glaucome (chirurgie filtrante).
L’anesthésie dépend de la technique choisie et de l’association éventuelle à un autre geste : elle est générale en cas de kératoplastie transfixiante et lamellaire antérieure ; elle peut être locale en cas de kératoplastie endothéliale.
Quelle technique de greffe pour quelle indication ?
La greffe est indiquée dans de nombreuses pathologies de cornée impliquant une perte de transparence ou une déformation associée à une baisse d’acuité visuelle non corrigeable par des équipements optiques (lunettes ou lentilles). Selon la pathologie cornéenne en cause et la partie de la cornée atteinte, plusieurs techniques de greffes, toutes réalisées sous microscope opératoire, sont possibles (
- La kératoplastie transfixiante (
- La kératoplastie lamellaire antérieure profonde (
- La kératoplastie endothéliale (
Le remplacement de la seule partie pathologique permet de conserver les couches saines et ainsi d’accélérer la récupération visuelle et de diminuer le risque de rejet.4
Surveillance : quatre complications principales possibles
Le suivi du patient greffé de cornée est assuré par l’ophtalmologiste, d’abord de manière rapprochée puis en espaçant les contrôles. Une antibiothérapie locale de quelques jours est indiquée en postopératoire, associée à des corticoïdes en collyre à dose lentement décroissante pendant plusieurs mois.
Si le risque de rejet est important, un collyre à la ciclosporine peut être ajouté. Le recours à un traitement antirejet systémique n’est pas nécessaire.
En cas de greffe lamellaire antérieure ou transfixiante, le surjet ou les points peuvent être retirés douze à dix-huit mois après l’opération ou laissés en place en cas de bonne tolérance et d’astigmatisme peu important.
La récupération dépend de la technique chirurgicale utilisée, allant de quelques semaines pour les greffes endothéliales à plusieurs mois en cas de greffe transfixiante.
La médiane de survie du greffon est d’environ quinze à vingt ans en cas de greffe de l’endothélium (greffe transfixiante ou endothéliale) et en l’absence de facteurs de risque.5 La survie peut être moins longue en cas de « regreffe », de grand diamètre du greffon, ou encore de vascularisation cornéenne.
Les principales complications à long terme des greffes sont :
- le rejet immunitaire par défaillance aiguë du greffon, pouvant survenir même à distance de la greffe et se manifestant par une rougeur oculaire associée à des douleurs et une baisse d’acuité visuelle. Il nécessite une intensification du traitement anti-inflammatoire (corticoïdes topiques et injections sous-conjonctivales, parfois en hospitalisation) ;
- la récidive de la pathologie initiale sur le greffon ;
- l’hypertonie oculaire et la cataracte essentiellement liées à la corticothérapie prolongée ;
- la survenue d’un traumatisme avec un risque de déjantement (luxation) du greffon.
Tout l’enjeu du suivi est donc de dépister et traiter sans délai ces complications pour éviter une défaillance endothéliale et une opacification définitive de la cornée greffée. Quelle que soit la date de la greffe, le patient reste un patient « à risque » : au moindre doute, il doit être adressé à son ophtalmologiste pour avis spécialisé.
Bientôt des alternatives à l’allogreffe ?
À l’heure actuelle, aucune alternative n’a encore réussi à supplanter le don de tissu humain. Les kératoprothèses actuelles6 constituent une solution de la dernière chance en raison de leurs nombreuses complications (extrusion de prothèse, hypertonie oculaire…). Cependant, la recherche permet d’entrevoir de nouvelles perspectives (fabrication de cornées artificielles par bio-ingénierie,7 thérapie cellulaire endothéliale8…) avec, peut-être, l’espoir de pouvoir un jour créer et réparer à souhait les cornées de tous les patients.
Pénurie de greffons
Les besoins en greffon sont de plus en plus importants, avec une augmentation constante du nombre de patients sur les listes d’attente (environ 1 greffon disponible pour 2 patients inscrits), nécessitant une implication et une cohérence de toute la chaîne de greffe : de l’équipe de prélèvement à l’équipe chirurgicale, en passant par l’équipe qui sélectionne et conserve les greffons.
Que dire à vos patients ?
• La greffe de cornée n’est pas une chirurgie réfractive : ce n’est pas une solution miracle pour retrouver une vue parfaite sans correction.
• La kératoplastie transfixiante et la greffe lamellaire antérieure sont une contre-indication à vie aux sports à risque de traumatisme oculaire (sports de combat essentiellement) et à la plongée sous-marine pour une durée d’un an.
• En cas de baisse de vision et/ou de rougeur oculaire chez un patient greffé de cornée, une consultation rapide chez l’ophtalmologiste est indispensable pour éliminer un rejet.
• Il n’existe pas d’activité de greffe sans patient donneur : chaque personne peut, de son vivant, discuter avec son médecin et sa famille du choix de donner ses cornées pour participer à cette « chaîne de vie ».
1. Borderie V, Baudrimont M, Bourcier T. Les greffes en ophtalmologie. Paris: Elsevier; 2004.
2. Souedan V, Bouayed E. Anatomie de la cornée. EMC Ophtalmologie [internet], 2021. Disponible sur https://www.em-consulte.com/article/1463292/anatomie-de-la-cornee
3. Liu S, Wong YL, Walkden A. Current Perspectives on Corneal Transplantation. Clin Ophthalmol 2022;16:631‑46.
4. Borderie V. Kératoplasties lamellaires à but optique. EMC Ophtalmologie [internet], 2016. Disponible sur https://www.em-consulte.com/es/article/1029958/keratoplasties-lamellaires-a-but-optique
5. Muraine M, Sanchez C, Watt L, et al. Long-term results of penetrating keratoplasty. A 10-year-plus retrospective study. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2003;241(7):571‑6.
6. Saeed HN, Shanbhag S, Chodosh J. The Boston keratoprosthesis. Curr Opin Ophthalmol 2017;28(4):390‑6.
7. Wu Z, Kong B, Liu R, et al. Engineering of Corneal Tissue through an Aligned PVA/Collagen Composite Nanofibrous Electrospun Scaffold. Nanomaterials (Basel) 2018;8(2):E124.
8. Faye PA, Poumeaud F, Chazelas P, et al. Focus on cell therapy to treat corneal endothelial diseases. Exp Eye Res 2021;204:108462.