L’insuffisance rénale chronique (IRC), définie par un débit de filtration glomérulaire (DFG) inférieur à 60 mL/min/1,73 m² pendant plus de 3 mois, diminue la libido, la fécondité et la fertilité.
En cas de grossesse, les femmes en IRC en âge de procréer sont exposées à 4 risques majeurs, qui justifient qu’une information mesurée et bienveillante leur soit donnée.

Toxicité médicamenteuse

Nombre de médicaments indiqués dans l’IRC sont interdits pendant la grossesse. Ainsi les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 (ARA2), très souvent prescrits à titre néphroprotecteur, ne sont pas tératogènes mais toxiques : ils augmentent le risque d’hypoplasie de la voûte crânienne et d’oligoamnios, voire d’anamnios pendant la vie fœtale avec insuffisance rénale chez le bébé après la naissance. Ils sont strictement interdits après le 1er trimestre de la grossesse.
Les diurétiques sont également proscrits pour ne pas risquer une hypovolémie, qui compromettrait la croissance fœtale. Enfin, dans certains contextes particuliers (transplantation, maladie inflammatoire au long cours), les immunosuppresseurs doivent être modifiés en raison de leur risque tératogène. Le mycophénolate mofétil, par exemple, doit être interrompu au moins 6 semaines avant la conception : il augmente le risque de fausse couche et est à l’origine, entre autres, de malformations cranio-faciales graves (encadré 1).

Dégradation de la fonction rénale

Dès les premières semaines de grossesse s’installe une hyperfiltration glomérulaire (augmentation du DFG de l’ordre de 30 %) qui persistera en plateau jusqu’à l’accouchement. En situation physiologique (pas d’IRC), cette hyperfiltration n’a pas de conséquence néfaste. En cas d’IRC, la contrainte de filtration accrue est encore aggravée par le sevrage nécessaire en IEC/ARA2, et cela peut être délétère pour les cellules épithéliales qui recouvrent le capillaire glomérulaire, les podocytes.
Ainsi, lorsque la réduction néphronique est sévère (DFG < 40 mL/min/1,73 m²)1 ou lorsque la maladie rénale comporte des lésions podocytaires de type hyalinose segmentaire et focale (primitive ou secondaire), la grossesse en elle-même peut détériorer la fonction rénale.2 Elle est donc déconseillée.

Prééclampsie

Les femmes en IRC sont à haut risque de prééclampsie.3 Une hypertension artérielle chronique et/ou une protéinurie, fréquentes sur ce terrain, majorent encore ce danger. Lorsque la grossesse peut être planifiée chez une patiente en IRC, il est important d’essayer d’obtenir un contrôle tensionnel optimal avec des anti- hypertenseurs autorisés (nicardipine, a-méthyldopa et labétalol), et de suivre étroitement la grossesse (un « trop bon » contrôle de l’HTA compromettrait en effet la croissance intra-utérine).4 À ce jour, il n’est pas recommandé, sauf antécédent de prééclampsie, de prescrire de l’aspirine à visée préventive en cas d’IRC.4
En pratique, le risque de prééclampsie est proportionnel à la défaillance rénale et à la protéinurie. Toutes patientes confondues, il est de l’ordre de 40 %, soit au moins 10 fois supérieur à celui de la population générale des primipares. Ce taux est discutable car le diagnostic de prééclampsie est plus délicat en cas d’HTA et de protéinurie antérieures à la grossesse, mais la mesure des facteurs anti-angiogéniques (sFlt1, PlGF), désormais effectuée en routine dans plusieurs centres hospitaliers, peut sur ce terrain avoir un intérêt en dépistage (encadré 2).

Morbidité chez le bébé

Les enfants nés de femmes en IRC sont eux-mêmes exposés à plusieurs risques :
– prématurité, notamment en cas de prééclampsie, laquelle impose souvent une délivrance pour prévenir chez la mère des complications graves (éclampsie, HELLP syndrome, etc.). La prématurité est évidemment la cause de complications néonatales d’autant plus graves que l’accouchement est précoce. En cas d’IRC, la moitié des enfants naissent hypotrophes ;1
– augmentation du risque cardiovasculaire si prééclampsie : en pratique, il est démontré que les risques d’HTA chronique et d’AVC sont accrus chez les enfants nés dans ce contexte ;5
– hérédité d’une pathologie rénale lorsque la mère est atteinte d’une maladie à transmission autosomique dominante (exemple : polykystose rénale).
L’information délivrée aux femmes en IRC, et idéalement même au couple souhaitant un enfant, est délicate, a fortiori si l’âge de la patiente est proche de la quarantaine, ou que sa pathologie rénale ou systémique menace de raccourcir, directement ou pas, son espérance de vie. Il ne faut pas hésiter à recourir au soutien d’un(e) psychologue qui peut aider à dénouer une situation complexe sur le plan médical autant que humainement difficile.
Encadre

1. Conditions d’une grossesse chez la transplantée, selon la HAS

Une grossesse peut être envisagée après la première année post-transplantation, si les conditions suivantes sont réunies :

Absence de rejet dans l’année qui précède.

Fonction rénale stable et proche de la normale, et absence de protéinurie ou protéinurie minime.

Pression artérielle normale ou normalisée.

Absence d’infection aiguë susceptible de nuire au développement fœtal.

Traitement immunosuppresseur stable et adapté à la grossesse (suppression des médicaments potentiellement fœtotoxiques, mycophénolate mofétil et sirolimus).

Bonne observance du traitement immunosuppresseur, azathioprine, ciclosporine et tacrolimus.

Absence de comorbidité susceptible de compliquer le déroulement de la grossesse ou altérer la fonction rénale.

Encadre

2. Des marqueurs sanguins de prééclampsie ?

Une avancée importante dans la compréhension de la physiopathologie de cette complication est l’identification dans la circulation maternelle de taux anormalement élevés du récepteur soluble au VEGF (sFlt-1) libéré par le placenta et responsable en partie de la dysfonction endothéliale et de la protéinurie maternelle.

Un déséquilibre des facteurs circulants pro-angiogéniques (PlGF) et anti-angiogéniques (sFlt-1) est identifiable dans le sérum des patientes jusqu’à 5 semaines avant l’apparition des premiers signes cliniques de la prééclampsie. D’après un essai prospectif observationnel, un ratio sFlt-1/PlGF ≤ 38 permet d’exclure la survenue d’une prééclampsie dans la semaine qui suit le dosage avec une valeur prédictive négative de 99,3 %.

Ces résultats font envisager une utilisation de ces biomarqueurs chez les patientes à haut risque de prééclampsie (HTA chronique, HTA gravidiques sévères). La place de ce dosage en pratique clinique est à définir.

Encadre

3. Dialysée et enceinte ?

Dans le cas extrême de l’insuffisance rénale terminale, et donc de la dialyse, la grossesse est un événement rare mais possible, et même en augmentation, notamment grâce à une prise en charge plus longue en dialyse (séance quotidienne, hors le dimanche) afin de maintenir une concentration plasmatique d’urée basse en permanence (< 15 mmol/L).

La probabilité d’accoucher d’un enfant vivant est difficile à chiffrer, faute d’études prospectives et donc d’une estimation plus juste des échecs, notamment précoces, mais elle est aujourd’hui probablement supérieure à 50 %. Malgré cela, il faut garder en tête le préjudice possible pour la mère : la prééclampsie est très fréquente dans ce contexte (de l’ordre de 75 %), et la grossesse est une cause majeure d’immunisation anti-HLA, immunisation qui compromettra l’accès futur à la transplantation rénale.

Encadre

4. Que dire à vos patientes ?

• La grossesse met vos reins à rude épreuve.

Votre maladie rénale augmente votre risque de complications (majoration de l’insuffisance rénale, prééclampsie) et peut mettre en jeu la vie de l’enfant en cas de prééclampsie précoce ou sévère (avec retard de croissance intra-utérin).

Il est donc essentiel de planifier la grossesse : actualisation des traitements, obtention d’un bon contrôle tensionnel, et surveillance étroite en cas de conception.

Références
1. Imbasciati E, Gregorini G, Cabiddu G, et al. Pregnancy in CKD stages 3 to 5: fetal and maternal outcomes. Am J Kidney Dis 2007;49:753-62.
2. Jungers P, Houillier P, Forget D, et al. Influence of pregnancy on the course of primary chronic glomerulonephritis. Lancet 1995;346:1122-4.
3. Zhang JJ, Ma XX, Hao L, et al. A Systematic Review and Meta-Analysis of Outcomes of Pregnancy in CKD and CKD Outcomes in Pregnancy. Clin J Am Soc Nephrol 2015;10:1964-78.
4. Mounier-Vehier C, Amar J, Boivin JM, et al. Hypertension artérielle et grossesse. Consensus d’experts de la Société française d’hypertension artérielle, filiale de la Société française de cardiologie. Presse Med 2016;45(7-8 Pt 1):682-99.
5. Alsnes IV, Vatten LJ, Fraser A, et al. Hypertension in Pregnancy and Offspring Cardiovascular Risk in Young Adulthood: Prospective and Sibling Studies in the HUNT Study (Nord-Trøndelag Health Study) in Norway. Hypertens 2017;69:591-8.

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essentiel

Fonction rénale et débit de protéinurie déterminent le pronostic rénal, maternel et fœtal de la grossesse .

En pratique, une insuffisance rénale sévère (DFG < 40 mL/min/1,73 m²) ou une protéinurie de fort débit (> 1 g/24 h) incitent à la déconseiller.

Dans cette situation difficile, le projet le plus sécurisant est parfois d’attendre qu’une transplantation rénale soit effectuée, en espérant son succès.