En cas de grossesse, les femmes en IRC en âge de procréer sont exposées à 4 risques majeurs, qui justifient qu’une information mesurée et bienveillante leur soit donnée.
Toxicité médicamenteuse
Les diurétiques sont également proscrits pour ne pas risquer une hypovolémie, qui compromettrait la croissance fœtale. Enfin, dans certains contextes particuliers (transplantation, maladie inflammatoire au long cours), les immunosuppresseurs doivent être modifiés en raison de leur risque tératogène. Le mycophénolate mofétil, par exemple, doit être interrompu au moins 6 semaines avant la conception : il augmente le risque de fausse couche et est à l’origine, entre autres, de malformations cranio-faciales graves (encadré 1).
Dégradation de la fonction rénale
Ainsi, lorsque la réduction néphronique est sévère (DFG < 40 mL/min/1,73 m²)1 ou lorsque la maladie rénale comporte des lésions podocytaires de type hyalinose segmentaire et focale (primitive ou secondaire), la grossesse en elle-même peut détériorer la fonction rénale.2 Elle est donc déconseillée.
Prééclampsie
En pratique, le risque de prééclampsie est proportionnel à la défaillance rénale et à la protéinurie. Toutes patientes confondues, il est de l’ordre de 40 %, soit au moins 10 fois supérieur à celui de la population générale des primipares. Ce taux est discutable car le diagnostic de prééclampsie est plus délicat en cas d’HTA et de protéinurie antérieures à la grossesse, mais la mesure des facteurs anti-angiogéniques (sFlt1, PlGF), désormais effectuée en routine dans plusieurs centres hospitaliers, peut sur ce terrain avoir un intérêt en dépistage (encadré 2).
Morbidité chez le bébé
– prématurité, notamment en cas de prééclampsie, laquelle impose souvent une délivrance pour prévenir chez la mère des complications graves (éclampsie, HELLP syndrome, etc.). La prématurité est évidemment la cause de complications néonatales d’autant plus graves que l’accouchement est précoce. En cas d’IRC, la moitié des enfants naissent hypotrophes ;1
– augmentation du risque cardiovasculaire si prééclampsie : en pratique, il est démontré que les risques d’HTA chronique et d’AVC sont accrus chez les enfants nés dans ce contexte ;5
– hérédité d’une pathologie rénale lorsque la mère est atteinte d’une maladie à transmission autosomique dominante (exemple : polykystose rénale).
L’information délivrée aux femmes en IRC, et idéalement même au couple souhaitant un enfant, est délicate, a fortiori si l’âge de la patiente est proche de la quarantaine, ou que sa pathologie rénale ou systémique menace de raccourcir, directement ou pas, son espérance de vie. Il ne faut pas hésiter à recourir au soutien d’un(e) psychologue qui peut aider à dénouer une situation complexe sur le plan médical autant que humainement difficile.
1. Conditions d’une grossesse chez la transplantée, selon la HAS
Une grossesse peut être envisagée après la première année post-transplantation, si les conditions suivantes sont réunies :
Absence de rejet dans l’année qui précède.
Fonction rénale stable et proche de la normale, et absence de protéinurie ou protéinurie minime.
Pression artérielle normale ou normalisée.
Absence d’infection aiguë susceptible de nuire au développement fœtal.
Traitement immunosuppresseur stable et adapté à la grossesse (suppression des médicaments potentiellement fœtotoxiques, mycophénolate mofétil et sirolimus).
Bonne observance du traitement immunosuppresseur, azathioprine, ciclosporine et tacrolimus.
Absence de comorbidité susceptible de compliquer le déroulement de la grossesse ou altérer la fonction rénale.
2. Des marqueurs sanguins de prééclampsie ?
Une avancée importante dans la compréhension de la physiopathologie de cette complication est l’identification dans la circulation maternelle de taux anormalement élevés du récepteur soluble au VEGF (sFlt-1) libéré par le placenta et responsable en partie de la dysfonction endothéliale et de la protéinurie maternelle.
Un déséquilibre des facteurs circulants pro-angiogéniques (PlGF) et anti-angiogéniques (sFlt-1) est identifiable dans le sérum des patientes jusqu’à 5 semaines avant l’apparition des premiers signes cliniques de la prééclampsie. D’après un essai prospectif observationnel, un ratio sFlt-1/PlGF ≤ 38 permet d’exclure la survenue d’une prééclampsie dans la semaine qui suit le dosage avec une valeur prédictive négative de 99,3 %.
Ces résultats font envisager une utilisation de ces biomarqueurs chez les patientes à haut risque de prééclampsie (HTA chronique, HTA gravidiques sévères). La place de ce dosage en pratique clinique est à définir.
3. Dialysée et enceinte ?
Dans le cas extrême de l’insuffisance rénale terminale, et donc de la dialyse, la grossesse est un événement rare mais possible, et même en augmentation, notamment grâce à une prise en charge plus longue en dialyse (séance quotidienne, hors le dimanche) afin de maintenir une concentration plasmatique d’urée basse en permanence (< 15 mmol/L).
La probabilité d’accoucher d’un enfant vivant est difficile à chiffrer, faute d’études prospectives et donc d’une estimation plus juste des échecs, notamment précoces, mais elle est aujourd’hui probablement supérieure à 50 %. Malgré cela, il faut garder en tête le préjudice possible pour la mère : la prééclampsie est très fréquente dans ce contexte (de l’ordre de 75 %), et la grossesse est une cause majeure d’immunisation anti-HLA, immunisation qui compromettra l’accès futur à la transplantation rénale.
4. Que dire à vos patientes ?
• La grossesse met vos reins à rude épreuve.
• Votre maladie rénale augmente votre risque de complications (majoration de l’insuffisance rénale, prééclampsie) et peut mettre en jeu la vie de l’enfant en cas de prééclampsie précoce ou sévère (avec retard de croissance intra-utérin).
• Il est donc essentiel de planifier la grossesse : actualisation des traitements, obtention d’un bon contrôle tensionnel, et surveillance étroite en cas de conception.
2. Jungers P, Houillier P, Forget D, et al. Influence of pregnancy on the course of primary chronic glomerulonephritis. Lancet 1995;346:1122-4.
3. Zhang JJ, Ma XX, Hao L, et al. A Systematic Review and Meta-Analysis of Outcomes of Pregnancy in CKD and CKD Outcomes in Pregnancy. Clin J Am Soc Nephrol 2015;10:1964-78.
4. Mounier-Vehier C, Amar J, Boivin JM, et al. Hypertension artérielle et grossesse. Consensus d’experts de la Société française d’hypertension artérielle, filiale de la Société française de cardiologie. Presse Med 2016;45(7-8 Pt 1):682-99.
5. Alsnes IV, Vatten LJ, Fraser A, et al. Hypertension in Pregnancy and Offspring Cardiovascular Risk in Young Adulthood: Prospective and Sibling Studies in the HUNT Study (Nord-Trøndelag Health Study) in Norway. Hypertens 2017;69:591-8.