La sclérose en plaques (SEP) est une affection inflammatoire chronique du système nerveux central (SNC), touchant plus de 100 000 patients en France ; elle est la première cause de handicap acquis chez l’adulte jeune. Elle affecte préférentiellement la femme (sex-ratio 3-1) jeune. La question de la grossesse occupe une place importante dans la prise en charge de ces patientes. Autrefois, la grossesse était considérée comme nocive en cas de SEP. Les études rassurantes des vingt dernières années ont permis d’intégrer ce projet dans le parcours de soins.
La grossesse est donc désormais autorisée chez les patientes atteintes de sclérose en plaques. Elle n’aggrave pas le handicap à long terme. Il est cependant nécessaire de la planifier, afin de privilégier la conception lors des périodes d’accalmie de la maladie, en adaptant les traitements préalablement et si nécessaire. Pour les formes les plus actives et invalidantes, une concertation entre les neurologues et l’équipe obstétricale est recommandée. Le suivi obstétrical et l’accouchement ne présentent pas de spécificités. L’anticipation de ce projet est essentielle, avec la mise en place de consultations ou de séances d’éducation dédiées et une collaboration étroite entre neurologues, obstétriciens, anesthésistes et sages-femmes.

Effets hormonaux sur l’inflammation

La sclérose en plaques est une maladie immunologique inflammatoire à médiation cellulaire lymphocytaire Th1. La grossesse correspond à une période de tolérance immunologique du non-soi provenant des antigènes fœtaux issus du père. Cette situation immunologique exceptionnelle est la conséquence de l’action immunomodulatrice des hormones sexuelles dont les taux augmentent progressivement durant la grossesse ; les œstrogènes favorisent la sécrétion des cytokines Th2, antagonistes des cytokines pro-inflammatoires Th1. Après la naissance, du fait de la chute brutale des taux hormonaux, la balance cytokinique s’inverse cependant, avec une reprise d’activité inflammatoire de la SEP.

Fertilité et SEP

Tous les moyens de contraception sont autorisés chez les patientes atteintes de sclérose en plaques. Le suivi gynécologique recommandé est identique à celui de la population générale. Certaines consultations hospitalières dédiées ont toutefois été mises en place pour faciliter l’accès aux soins, en particulier l’examen sur table gyné­cologique adaptée aux patientes présentant un handicap moteur important.

Absence d’impact direct de la SEP sur la fertilité

Le temps médian de conception n’est pas différent de celui de la population générale. Cependant, malgré une fécondité normale, le nombre d’enfants par femme est légèrement inférieur à celui de la population générale.1
Bien que les troubles génito-sphinctériens liés à la SEP soient rarement rapportés spontanément par les patients, leur prévalence est élevée (estimée entre 30 et 70 %). Ces troubles variés (baisse de la libido, dysfonction érectile/éjaculatoire, diminution de la sensibilité des zones génitales, dyspareunie...) impactent la qualité de vie et peuvent avoir un impact sur les relations intimes et participer ainsi indirectement à une diminution de la fertilité.
Les traitements ne semblent pas, quant à eux, être responsables de baisse de fertilité, à l’exception de la mitoxantrone (Elsep) et du cyclophosphamide (Endo­xan), chimiothérapies rarement utilisées de nos jours.

Assistance médicale à la procréation : un travail d’équipe

Il existe un risque de reprise de l’activité clinique de la SEP lors d’une procréation médicalement assistée. Cela est particulièrement possible si la pathologie n’est pas contrôlée par un traitement de fond.
Toutes les techniques d’assistance médicale à la procréation peuvent toutefois être utilisées. Une collaboration étroite entre l’équipe de procréation médicalement assistée et le neurologue est préconisée.

Influence de la grossesse sur la SEP

Risque de poussée du post-partum directement lié au risque de poussée l’année précédant la grossesse

Le risque de poussée durant la grossesse et le post-partum a été bien évalué dans une étude prospective européenne multicentrique (PRIMS).2 Dans cette étude publiée en 2004, il a été montré que le risque de poussée diminuait durant la grossesse (surtout au 3e trimestre) et augmentait transitoirement dans le post-partum (figure). Cette étude a également révélé qu’il n’y avait pas de majoration du handicap dans les suites d’une grossesse, bien que 30 % des patientes fassent l’expérience d’une poussée dans les trois premiers mois post-partum. La somme du risque de poussée durant les neuf mois de grossesse et du risque de poussée durant les trois premiers mois du post-partum est identique au risque de poussée durant les douze mois précédant la grossesse. Ainsi, dans une étude de cohorte plus récente portant sur 893 patients, le risque de poussées du post-partum était corrélé au nombre de poussées dans l’année précédant et durant la grossesse.3
Enfin, avec l’arrivée de nouveaux traitements de fond plus efficaces ces quinze dernières années, on note dans les études récentes une proportion moins importante de poussées du post-partum.

Prévenir les poussées du post-partum ?

Aucun traitement étudié n’a montré une efficacité pour la prévention des poussées du post-partum, que ce soit les bolus mensuels de méthylprednisolone (solumedrol),4 un traitement hormonal5 ou les immunoglobulines intraveineuses.6
Puisque le risque de poussée du post-partum est lié aux poussées des douze mois précédant la grossesse et aux poussées durant la grossesse, le traitement de fond de la SEP en préconceptionnel reste le meilleur traitement préventif des poussées du post-partum.

Traitements de la SEP et grossesse

Faut-il arrêter les traitements de fond ?

La stratégie thérapeutique en préconceptionnel doit prendre en compte les risques de poussées ou de rebond à l’arrêt du traitement chez la mère et les risques de toxicité chez le fœtus/le nouveau-né/l’enfant. Ces dernières années, la tenue de registres rétrospectifs rigoureux a permis d’affiner les connaissances sur la possibilité de maintenir les différents traitements de fond au moment de la conception, pendant la grossesse et au cours de l’allaitement (tableau). Toutes ces données ont permis de faire évoluer les pratiques.
De façon générale, on restreint la poursuite d’un traitement de fond durant la grossesse aux cas particuliers de SEP sévères et actives, ou au traitement par natalizumab, dont l’arrêt expose à un risque de rebond de la maladie.
Une discussion au cas par cas est toujours indispensable avec la patiente, son conjoint et l’équipe médicale.

Faut-il arrêter les traitements symptomatiques ?

Le choix du maintien des traitements symptomatiques doit se faire en accord avec l’équipe obstétricale et les données du Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT, www.lecrat.org), après une évaluation minutieuse de la balance bénéfices/risques.

Influence de la SEP sur la grossesse et le post-partum

Suivi obstétrical sans particularités

Différentes études n’ont pas retrouvé d’augmentation des complications obstétricales chez les patientes atteintes de SEP.7, 8
Deux études américaines récentes ont toutefois révélé une augmentation de l’incidence de certaines complications, en particulier des infections.9, 10 Ceci peut s’expliquer en partie par l’augmentation de l’utilisation de certains traitements de fond immunosuppresseurs en préconceptionnel.
Par ailleurs, chez les patientes atteintes de SEP, le déclenchement du travail ne semble pas plus fréquent, sauf en cas de handicap moteur important.11
En conclusion, le suivi obstétrical de la grossesse d’une patiente atteinte de SEP ne nécessite aucune surveillance spécifique. Il n’est pas recommandé de modifier les procédures d’accouchement chez les patientes présentant une SEP.

Anesthésie locale durant l’accouchement possible

Historiquement, dans l’hypothèse d’un risque de toxicité des anesthésiants sur les fibres démyélinisées lors de la rachianesthésie, et en dépit d’études contrôles, une certaine crainte s’est installée concernant l’anesthésie locorégionale.
Les études réalisées sur les grossesses des patientes atteintes de SEP n’ont pourtant pas retrouvé d’effet de l’anesthésie locorégionale sur le risque de poussées en post-partum.2, 12, 13 Il serait intéressant de confirmer ces résultats par une étude prospective sur l’anesthésie locorégionale (analyse en fonction du type d’anesthésie locorégionale, de la molécule utilisée, du dosage, etc.).
Au total, l’anesthésie locorégionale, et en particulier péridurale, est autorisée. Seuls les critères obstétricaux sont à prendre en compte pour le choix du mode d’accouchement. Il est recommandé au neurologue de rédiger un courrier à l’anesthésiste et à l’obstétricien afin d’éviter des discours discordants, très souvent déstabilisants pour la patiente.

Post-partum : une surveillance classique

Du point de vue obstétrical, la prise en charge du post-­partum des patientes suivies pour une SEP ne diffère pas de la prise en charge habituelle. À noter que la prévention des troubles urinaires mécaniques liés à la grossesse est particulièrement importante. En effet, ils peuvent se cumuler aux troubles vésicosphinctériens de la SEP.

SEP et allaitement

Influence de l’allaitement sur la SEP

Les études s’intéressant au lien entre allaitement et poussée du post-partum sont d’interprétation difficile. En effet, la volonté d’allaiter est avant tout un choix personnel qui dépend de données culturelles, sociales, économiques...
Par exemple, l’étude PRIMS montre moins de poussées du post-partum chez les femmes allaitantes. Il est toutefois possible que les patientes les plus sévères, donc plus à risque de faire une poussée du post-partum, avaient moins de désir d’allaiter du fait d’une fatigabi­lité plus importante ou d’un handicap plus invalidant.
Certains auteurs évoquent un possible effet protecteur de l’aménorrhée de lactation.

Influence de la SEP sur l’allaitement

La reprise du traitement de fond est conditionnée par l’activité de la maladie et le souhait d’allaiter de la patiente. Le choix de l’allaitement se fait après concertation avec le neurologue, qui évalue la nécessité de reprendre précocement le traitement de fond en fonction de l’activité de la maladie (tableau). En cas de poussée l’année précédant la grossesse ou de poussée durant la grossesse, la reprise précoce du traitement de fond est à privilégier.
En cas de poussée du post-partum, des bolus de méthylprednisolone peuvent être prescrits si la patiente allaite. Un intervalle de quatre heures est recommandé entre la fin de la perfusion et la tétée suivante.

Suivi de l’enfant né de mère atteinte de SEP

Il n’y a pas de recommandations particulières pour le suivi des enfants dont un des parents est atteint de sclérose en plaques.
Le calendrier vaccinal de la population générale doit être appliqué. Il n’y a pas de contre-indication à la vaccination contre l’hépatite B chez les enfants de parents atteints de SEP. De nombreuses études ont montré que le risque de sclérose en plaques était identique en population générale, que les sujets soient vaccinés ou non contre l’hépatite B.
En cas de situations exceptionnelles d’administration de traitements immunosuppresseurs en cours de grossesse (ocrélizumab durant le deuxième ou troisième trimestre, natalizumab au cours du troisième trimestre), les vaccins vivants atténués (BCG, vaccin contre le rotavirus) seront reportés par rapport au calendrier vaccinal habituel.

Pour conclure

Une grossesse est envisageable en cas de SEP. Il est cependant préférable de la planifier et de l’encadrer grâce à une collaboration étroite entre le neurologue, l’équipe de la maternité et le médecin traitant. 

Encadre

Que pouvons-nous dire à un homme atteint de SEP souhaitant un enfant ?

Ce sujet est peu étudié. Le problème essentiel est lié à la prise des traitements par l’homme atteint de SEP au moment de la gamétogenèse et de la conception.

Très peu de médicaments passent dans le sperme. Le risque tératogène est donc très faible, à l’exception de trois molécules. La grossesse ne doit pas être envisagée pendant les six mois suivant la dernière prise de cladribine, mitoxantrone ou cyclophosphamide.

Références

1. Roux T, Courtillot C, Debs R, Touraine P, Lubetzki C, Papeix C. Fecundity in women with multiple sclerosis: an observational mono-centric study. J Neurol 2015;262(4):957-60.
2. Vukusic S, Hutchinson M, Hours M, Moreau T, Cortinovis-Tourniaire P, Adeleine P, et al. Pregnancy and multiple sclerosis (the PRIMS study): clinical predictors of post-partum relapse. Brain J Neurol 2004;127(Pt 6):1353-60.
3. Hughes SE, Spelman T, Gray OM, Boz C, Trojano M, Lugaresi A, et al. Predictors and dynamics of postpartum relapses in women with multiple sclerosis. Mult Scler Houndmills Basingstoke Engl 2014;20(6):739-46.
4. de Seze J, Chapelotte M, Delalande S, Ferriby D, Stojkovic T, Vermersch P. Intravenous corticosteroids in the postpartum period for reduction of acute exacerbations in multiple sclerosis. Mult Scler Houndmills Basingstok Engl 2004;10(5):596-7.
5. Vukusic S, Ionescu I, El-Etr M, Schumacher M, Baulieu EE, Cornu C, et al. The prevention of post-partum relapses with progestin and estradiol in multiple sclerosis (POPART’MUS) trial: rationale, objectives and state of advancement. J Neurol Sci 2009 15;286(1-2):114-8.
6. Rosa GR, O’Brien AT, Nogueira E de AG, Carvalho VM de, Paz SC, Fragoso YD. There is no benefit in the use of postnatal intravenous immunoglobulin for the prevention of relapses of multiple sclerosis: findings from a systematic review and meta-analysis. Arq Neuropsiquiatr 2018;76(6):361-6.
7. Finkelsztejn A, Brooks JBB, Paschoal FM, Fragoso YD. What can we really tell women with multiple sclerosis regarding pregnancy? A systematic review and meta-analysis of the literature. BJOG Int J Obstet Gynaecol 2011;118(7):790-7.
8. van der Kop ML, Pearce MS, Dahlgren L, Synnes A, Sadovnick D, Sayao A-L, et al. Neonatal and delivery outcomes in women with multiple sclerosis. Ann Neurol. 2011 Jul;70(1):41-50.
9. Houtchens MK, Edwards NC, Schneider G, Stern K, Phillips AL. Pregnancy rates and outcomes in women with and without MS in the United States. Neurology. 2018 Oct 23;91(17):e1559-69.
10. MacDonald SC, McElrath TF, Hernández-Díaz S. Pregnancy outcomes in women with multiple sclerosis. Am J Epidemiol 2019;188(1):57-66.
11. Lu E, Zhao Y, Zhu F, van der Kop ML, Synnes A, Dahlgren L, et al. Birth hospitalization in mothers with multiple sclerosis and their newborns. Neurology 2013;80(5):447-52.
12. Pastò L, Portaccio E, Ghezzi A, Hakiki B, Giannini M, Razzolini L, et al. Epidural analgesia and cesarean delivery in multiple sclerosis post-partum relapses: the Italian cohort study. BMC Neurol 2012;12:165.
13. Lavie C, Rollot F, Durand-Dubief F, Marignier R, Ionescu I, Casey R, et al. Neuraxial analgesia is not associated with an increased risk of post-partum relapses in MS. Mult Scler Houndmills Basingstoke Engl 2019;25(4):591-600.

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Résumé

Une grossesse est tout à fait envisageable chez une patiente suivie pour une sclérose en plaques, mais il est préférable de l’anticiper et de la planifier. La grossesse n’aggrave pas le handicap à long terme. Le risque de poussée dans les trois mois du post-­partum dépend du risque de poussées dans l’année précédant la grossesse ; il est donc préférable de prévoir une grossesse quand la SEP est stabilisée. Le maintien du traitement de fond en préconceptionnel ou durant la grossesse dépend du type de médicament, du risque pour l’enfant (fausses couches, malformations) mais aussi du risque de rebond chez la mère. Le suivi de la grossesse et le mode d’accouchement sont comparables à ceux de la population générale. L’analgésie péridurale n’est pas contre-indiquée. La décision d’allaiter doit tenir compte du souhait de la patiente et de la sévérité de la maladie (contre-indication de l’allaitement avec certains traitements de fond). Il n’y a pas de traitement préventif validé des poussées du post-partum.