Chef du département de biothérapie de l’hôpital Necker-Enfants malades et codirectrice du laboratoire de lympho-hématopoïèse humaine Inserm (Institut Imagine), elle a réussi avec son équipe la première thérapie génique de la drépanocytose.

Pourquoi avoir choisi la drépanocytose ?<br/>

Parce qu’elle est due à une seule mutation de l’hémoglobine (un seul gène) et qu’elle est répandue (première maladie génétique en France). L’hémoglobine S mutée rigidifie les globules rouges et les déforme en situation d’hypoxie. Les globules rouges s’agrègent alors et obstruent les capillaires, voire de plus gros vaisseaux. Ces crises vaso-occlusives, très douloureuses, altèrent les organes (cerveau, rein, cœur) et réduisent l’espérance de vie (entre 50 et 60 ans dans les pays à plus forts revenus). Seules les homozygotes sont malades, mais ils sont nombreux en raison de la grande prévalence de la mutation à l’état hétérozygote dans de nombreux pays où la malaria est endémique ; situation qui s’explique par la résistance à l’infection conférée aux globules rouges ayant cette mutation.
Nous pouvons traiter efficacement par greffe de moelle osseuse allogénique, du moment qu’un donneur sain familial est disponible. Ceci est le cas pour un nombre limité de patients (environ 25-30 %). En Île-de-France, on dénombre environ 20 000 malades et 300 naissances annuelles. Le conseil régional s’est énormément impliqué avec différents moyens. Nous souhaitons élaborer un plan d’information des personnes hétérozygotes afin de prévenir la naissance d’un enfant atteint pour les couples qui le souhaitent. Cela passe par un conseil génétique qui oriente vers une des options suivantes : DPNI (dépistage prénatal non invasif dans les cellules fœtales circulant dans le sang maternel), FIV avec implantation d’un embryon indemne, diagnostic prénatal (amniocentèse) avec possibilité d’interrompre la grossesse, prélèvement de sang de cordon du nouveau-né pour une future greffe autologue de cellules génétiquement corrigées.
Le dépistage préconceptionnel est aussi une option dans la chaîne de prévention de cette maladie sévère. Les médecins généralistes pourraient proposer aux familles à risque des tests rapides : comme le Sickle Scan qui peut être réalisé au cabinet de ville, à partir d’un prélèvement sanguin au doigt. Tout cela relève d’un effort de formation extrêmement important vers les professionnels de santé.

Après la publication en 2017 de la guérison d’un adolescent, vous poursuivez l’expérience, en collaboration avec une équipe américaine…<br/>

Avec le laboratoire Bluebird Bio, un essai est en cours chez des patients thalassémiques (20) et drépanocytaires (4). Des résultats récents ont été dévoilés en décembre. Après plus de 2 ans de recul, la symptomatologie est très réduite (interruptions des transfusions, exceptionnelles crises vaso-occlusives), voire absente, sans aucune donnée biologique préoccupante.

Votre protocole est-il adaptable à n’importe quelle hémopathie monogénique ?<br/>

Tout à fait, à ceci près qu’il faut construire un rétrovirus vecteur avec le nouveau gène thérapeutique, ce qui demande 2 à 5 ans de travail préclinique. On pourrait réduire ce délai en diminuant les pré- requis de l’Ansm grâce aux bons résultats à long terme récemment obtenus avec cette stratégie.
La procédure peut corriger d’autres déficits graves. Nous allons débuter un protocole d’autogreffes de cellules souches génétiquement corrigées pour les patients infectés par le virus de l’immuno- déficience humaine (VIH). Toutes les autorisations ne nous ont pas encore été données. Le nouveau système immunitaire rendra leurs cellules résistantes à l’invasion par le VIH-1 sauvage. Nous ciblons d’abord les malades atteints de lymphome, dont le parcours thérapeutique comporte déjà une autogreffe de cellules souches (CS) hématopoïétiques. Nous proposons de remplacer les CS du patient par des CS modifiées pour acquérir ainsi une résistance définitive au virus.

La seule mention d’un rétrovirus vecteur peut faire sursauter les lecteurs !<br/>

Attention, il s’agit d’un VIH rendu inoffensif ; on lui a retiré toutes les séquences génétiques dangereuses, susceptibles de provoquer la maladie. Il devient ainsi un simple transporteur dont on a gardé un minimum d’éléments utiles à la correction des cellules malades. Le vecteur contient la transcriptase inverse. Elle permet la traduction ARN du gène de la bêta-globine en ADN, qui peut ainsi s’intégrer dans le génome humain. Nous avons environ 13 ans de recul sur leur utilisation chez près de 200 patients, sans déboires.
Dans notre protocole pour les drépanocytaires, le virus porte une nouvelle bêta-globine fonctionnelle (hémoglobine A modifiée), sous le contrôle d’une unité qui mime la transcription physiologique sans être tout à fait identique.

Pourquoi ne pas reprendre la séquence naturelle qui semble plus sûre ?<br/>

Le vecteur ne peut contenir que des unités transcriptionnelles bien définies en termes d’éléments transportés. Au-delà d’une certaine taille, cela aurait des répercussions importantes sur sa production, qui serait abaissée, et sur la capacité de cette longue unité transcriptionnelle à s’intégrer correctement dans le noyau des CS hôtes, donc l’efficacité thérapeutique. Nous congelons ensuite les cellules pour valider les niveaux de correction, car le protocole est encore assez artisanal. On vérifie le nombre de copies du nouveau gène dans chacune d’elles. Notre idéal est une copie par cellule.

Comment se déroule la procédure pour le malade ?<br/>

On pratique des ponctions multiples au niveau des crêtes iliaques sous anesthésie générale pour prélever les cellules souches : au moins deux prélèvements sont nécessaires pour les drépanocytaires. Raison pour laquelle nous avons développé un protocole spécifique de recueil des CS par mobilisation du sang périphérique, pour ne pas avoir besoin de cette méthode invasive. Nous avons « mobilisé » trois jeunes adultes drépanocytaires, avec de très bons résultats en cours de publication. Notre objectif est vraiment de simplifier au maximum la procédure pour permettre à un nombre plus important de patients d’en bénéficier.
Nous modifions les CS comme expliqué précédemment. Le patient est ensuite hospitalisé dans une unité de greffe, où il reçoit un traitement myélo-ablatif cytotoxique durant 4 jours. Cela induit, dans les 10 jours suivants, une aplasie médullaire de courte durée (2 à 3 semaines). L’injection des CS modifiées se fait entre J4 et J6 après avoir vérifié qu’il n’y a plus de chimiothérapie circulante. Pour 95 % des patients, c’est le cas 24 heures après le dernier traitement.
Bien sûr, les malades souffrent des conséquences de cette chimiothérapie pendant 3 semaines à 1 mois ; pas seulement des risques infectieux liés à l’aplasie mais aussi de la perte des cheveux (transitoire car ils repoussent) ainsi que de l’atteinte de la muqueuse digestive. Cette mucite est responsable d’anorexie, nausées et vomissements. Cela rend l’alimentation parentérale nécessaire pendant cette courte hospitalisation.
Dès l’apparition des premiers polynucléaires neutrophiles issus du greffon autologue réinjecté, les symptômes cliniques s’améliorent. Si la récupération hématopoïétique se fait bien, le patient est de retour à son domicile au bout de 4 semaines.

C’est un protocole lourd…<br/>

Nous avons l’espoir de nous débarrasser un jour de la chimiothérapie. Une expérience en cours à Stanford aux États-Unis utilise un anticorps monoclonal dirigé contre les CS. S’il fonctionne correctement, il peut éliminer les cellules souches malades. Nous tentons vraiment de rendre la thérapie génique plus facile et exportable partout.

Qu’en est-il du coût financier ?<br/>

Celui de notre procédure « drépano- cytose » revient à deux fois celui d’une greffe allogénique. Mais il y a moins d’effets indésirables, et le coût de production du vecteur devrait diminuer de moitié dans les 2 ans qui viennent. Il est probable que traiter des enfants reviendrait moins cher ; on se rapprocherait du prix d’une greffe à partir d’un donneur familial.
Mon plus grand souhait est que l’État s’engage à l’avenir dans des unités de production de vecteurs pour les rendre disponibles à large échelle.

Propos recueillis par Sophie Duméry

Journaliste et médecin
sophdumery@orange.fr