La gynécomastie est une situation clinique fréquente, elle correspond à la prolifération bénigne de la glande mammaire chez l’homme. Elle peut être uni- ou bilatérale. Situation clinique courante, elle est à distinguer de l’adipomastie qui est un dépôt uniquement constitué de graisse, sans prolifération glandulaire. La gynécomastie se développe lorsqu’il existe un déséquilibre entre les taux d’androgènes et d’œstro­gènes circulants.1
Une gynécomastie physiologique peut s’observer chez le nouveau-né, chez l’adolescent et chez l’homme âgé. En dehors de ces situations, elle nécessite un bilan étiologique et il est indispensable de la distinguer du cancer du sein chez l’homme. Dans plus de 50 % des cas, aucune cause n’est retrouvée. La prise en charge principale dépend essentiellement de sa cause, quand elle est connue.

Physiopathologie : un déséquilibre hormonal en faveur des œstrogènes

Chez l’homme, la testostérone est en majorité sécrétée par les cellules de Leydig testiculaires (95 %) et en moindre quantité par les surrénales.2 Elle circule dans le sang, liée à la globuline liant les hormones sexuelles (sex hormone-binding globulin [SHBG]) et sous forme libre (5 % de la testostérone totale) biologiquement active.
Les œstrogènes proviennent quant à eux de deux voies :
- pour 85 %, de la conversion périphérique des androgènes (testostérone libre et delta-4-androstènedione) en œstrogènes (œstradiol et estrone) par l’aromatase, enzyme présente dans le tissu adipeux ;
- pour 15 %, de la sécrétion d’œstradiol testiculaire (cellules de Leydig).
Les œstrogènes stimulent la croissance de la glande mammaire tandis que la testo­stérone l’inhibe. La gynécomastie survient lorsqu’il existe un déséquilibre du ratio œstrogènes/testostérone en faveur des premiers, favorisant ainsi la prolifération de la glande mammaire. Cela peut venir d’un excès absolu en œstrogènes, d’un déficit en testostérone ou des deux associés.

Gynécomastie physiologique : possible à trois périodes de la vie

Physiologiquement, la gynécomastie peut être observée chez les nouveau-nés, durant la puberté et chez les personnes âgées.
La gynécomastie observée chez les nouveau-­nés régresse lors de la première année de vie. Sa prévalence est estimée entre 60 et 90 %.2
Durant la puberté, près de 70 % des adolescents sont concernés (avec un âge moyen de 13 à 14 ans) ; l’évolution est favorable en six mois à deux ans.3
Enfin, chez les hommes plus âgés, une gynécomastie multifactorielle est possible : plus de 50 % des hommes de plus de 50 ans sont concernés.

 Gynécomastie secondaire : quelles causes ?

Après avoir éliminé un cancer du sein (v. encadré), le bilan étiologique d’une gynécomastie secondaire passe par un interrogatoire complet et la recherche de signes associés. Les causes les plus fréquentes sont listées dans le tableau 1.

Iatrogénie

L’origine iatrogène est fréquente et concerne de nombreux médicaments.5 Les plus souvent impliqués sont la spironolactone, le kétoconazole, le métoclopramide, l’hormonothérapie antiandrogénique (finastéride, flutamide, etc.), certains psychotropes et antirétroviraux (tableau 2).
Les mécanismes sont variables et dépendent de la molécule. Par exemple, la spironolactone, par blocage des récepteurs des androgènes, entraîne une gynécomastie chez environ 10 % des patients recevant une dose de 25 mg/j. Toutes les molécules d’une même classe ne causent pas toujours une gynécomastie. L’arrêt du traitement permet en général la régression de la gynécomastie dans les trois mois.6

Cirrhose et consommation chronique d’alcool

Dans la maladie cirrhotique, il existe plusieurs désordres hormonaux pouvant être à l’origine d’une gynécomastie :7 ­diminution de la clairance de l’andro­stènedione, qui est aromatisée en œstrogène, et, en parallèle, excès de SHBG ­diminuant le taux circulant de testostérone libre.
Par ailleurs, indépendamment de l’atteinte hépatique, la consommation chronique d’alcool est un facteur favorisant.

Insuffisance rénale chronique

Un déficit en testostérone d’origine péri­phérique et centrale peut être ­observé chez les patients insuffisants rénaux.8 Une hyperprolactinémie est souvent associée. Les anomalies hormonales ne sont pas modifiées par la dialyse : environ 50 % des patients dialysés ont une gynécomastie.8 La transplantation rénale peut, en revanche, l’améliorer.

Dysthyroïdie

Dix à 40 % des hommes en hyperthyroïdie ont une gynécomastie qui régresse avec la correction du trouble.1 Dans ­l’hyperthyroïdie, il existe en effet une synthèse accrue de SHBG ainsi qu’un excès d’aromatisation des androgènes en œstrogènes.
Dans le cas de l’hypothyroïdie, la synthèse de testostérone est diminuée, et il existe souvent une hyperprolactinémie.

Hyperprolactinémie

L’hypersécrétion de prolactine, quelle qu’en soit l’origine, est responsable d’un hypogonadisme hypogonadotrope, et la prolactine elle-même agit comme facteur de croissance de la glande mammaire.
Les causes d’hyperprolactinémie sont diverses : prise de certains médicaments comme les antipsychotiques, adénomes hypophysaires à prolactine ou non sécrétants (par compression de la tige pituitaire), insuffisance rénale et hypothyroïdie.

Hypogonadisme hypogonadotrope

Dans cette situation, la diminution de la sécrétion de l’hormone de libération des ­gonadotrophines hypophysaires (gona­dotropin-releasing hormone [GnRH]) et donc d’hormone lutéinisante (luteinizing hormone [LH]) au niveau hypothalamo-hypophysaire induit une diminution de la stimulation de la sécrétion de testostérone au niveau testiculaire.
Un hypogonadisme hypogonadotrope peut être secondaire à l’existence d’un adénome hypophysaire, à une autre tumeur de la région ou une maladie infiltrative, à une hyperprolactinémie, à des antécédents d’irradiation cérébrale ou des médicaments, ou encore être d’origine congénitale comme dans le syndrome de Kallmann.

Insuffisance testiculaire

En cas de déficit en testostérone, la LH est augmentée. La gynécomastie peut ici être le seul symptôme.
Les causes d’insuffisance testiculaire sont nombreuses : traitements par chimiothérapie et radiothérapie pelvienne, traumatismes testiculaires, tumeurs testiculaires, orchites. Le syndrome de Klinefelter (maladie chromosomique, de caryotype 47,XXY dans 90 % des cas ou mosaïque 46,XY/47,XXY dans 10 % des cas, touchant environ 1 garçon sur 600)1 peut également être responsable d’une insuffisance testiculaire qui s’exprime sur le plan clinique par une hypo­trophie testiculaire, une gynécomastie (dans 50 à 70 % des cas) et une infertilité (azoospermie).

Tumeurs responsables d’un excès d’œstrogènes

Au niveau testiculaire, trois types de tumeurs peuvent être responsables de gynécomastie : les tumeurs développées aux dépens des cellules de Leydig, des cellules de Sertoli et les choriocarcinomes.
Les tumeurs à cellules de Leydig sont des tumeurs rares, de petite taille, très souvent bénignes, touchant l’homme jeune ou d’âge moyen. Elles sont responsables d’un excès de production d’œstrogènes.
Les tumeurs de Sertoli sont aussi des ­tumeurs testiculaires bénignes, que l’on observe chez les hommes jeunes. Elles ont la propriété de surexprimer l’aromatase.
Enfin, les choriocarcinomes sont des tumeurs malignes, sécrétant de l’hCG (human chorionic gonadotropin), hormone stimulant la production d’œstrogènes par les cellules de Leydig.
Il existe également des tumeurs pouvant sécréter de l’hCG au niveau extratesti­culaire : certains cancers bronchopul­monaires à grandes cellules, les cancers du rein et les cancers gastriques. Chez l’homme, le taux d’hCG circulant est indétectable en situation physiologique ; le dosage de l’hCG est donc un marqueur tumoral très spécifique.
La plupart des tumeurs surrénaliennes féminisantes sont malignes (cortico­surrénalomes), et leur pronostic est ­généralement sombre.9 Rares, elles se manifestent principalement par une ­gynécomastie. Une cosécrétion de plusieurs hormones (androgènes, cortisol, œstrogènes) est possible.
Cliniquement, en dehors de la gynécomastie et de signes de féminisation, il peut y avoir un syndrome de masse abdominale, une altération de l’état général et un syndrome d’hypersécrétion en lien avec les autres hormones en excès.

Gynécomastie idiopathique et autres causes

Dans 50 % des cas, aucune cause n’est retrouvée, la gynécomastie est alors classée comme idiopathique. Mais il s’agit là d’un diagnostic d’élimination, et le suivi est nécessaire afin de ne pas méconnaître une tumeur paucisécrétante.
Par ailleurs, l’obésité peut favoriser la survenue d’une adipomastie mais aussi d’une réelle gynécomastie par excès d’aromatisation et par augmentation de la concentration de SHBG.
Enfin, le syndrome de résistance aux androgènes est une cause rare de gynécomastie liée à une anomalie fonctionnelle du récepteur aux androgènes.

Comment s’orienter devant une gynécomastie ?

L’interrogatoire doit d’abord permettre de préciser les antécédents (cryptor­chidie, traumatisme testiculaire, orchite, maladie hépatique, insuffisance rénale…), les traitements et substances pris ainsi que la durée des symptômes. Puis l’examen clinique et les explorations complémentaires éliminent un cancer et orientent vers un diagnostic étiologique.

Examen clinique : local et à distance

Cliniquement, la gynécomastie se manifeste comme une masse circonférentielle rétro-aréolaire, le plus souvent bilatérale, élastique et parfois sensible. La douleur peut parfois être le signe amenant les ­patients à consulter ; elle est surtout ­présente au début de l’évolution de la gynécomastie.
Le cancer du sein est suspecté devant une masse dure, fixée, excentrée, associée à la présence d’adénopathies.8
L’examen testiculaire est primordial ; il permet d’éliminer la présence d’une masse évoquant un cancer testiculaire, puis d’évaluer le volume testiculaire et le stade pubertaire pouvant orienter vers une insuffisance testiculaire ou un hypogonadisme.
Le reste de l’examen clinique comporte la détermination du poids, de la taille et de l’indice de masse corporelle (IMC), les signes d’insuffisance hépatocellulaire et les signes endocriniens associés (galac­torrhée, syndrome de Cushing, insuffisance corticotrope…).
Il est aussi important de ne pas négliger le retentissement psychologique de la gynécomastie, qui peut être conséquent.

Examens complémentaires : d’abord échographie mammaire et mammographie

Parmi les examens complémentaires de première intention, la mammographie et l’échographie mammaire sont utiles en cas de doute diagnostique et afin d’éliminer le principal diagnostic différentiel qu’est la néoplasie mammaire (tableau 3).
L’échographie testiculaire est indis­pensable, même en cas de palpation testiculaire normale, car certaines tumeurs sont de très petite taille et imperceptibles à la palpation.
Le bilan biologique comprend le dosage de l’hCG totale, une évaluation des fonctions hépatique et rénale, des dosages hormonaux comprenant l’hormone de stimulation folliculaire (follicle-stimulating hormone [FSH]), LH, testostérone totale, prolactine, thyréostimuline (thyroid-stimulating hormone [TSH]).
En cas d’hyperœstrogénie avec échographie testiculaire normale, le scanner abdominal est réalisé pour rechercher une tumeur surrénalienne.

Quelle prise en charge ?

Le premier traitement est bien sûr celui de la cause, quand elle est connue.
Si le caractère idiopathique est confirmé, la gynécomastie peut disparaître d’elle-même, mais si la gêne occasionnée est importante ou en cas de persistance elle peut justifier un traitement.
Le traitement médical est surtout efficace en cas de gynécomastie récente, c’est-à-dire dans les douze mois suivant son apparition.
Parmi les traitements médicamenteux, la dihydrotestostérone (Andractim), androgène non aromatisable en œstrogènes, peut être proposée. Elle s’administre par voie percutanée sur la poitrine. L’effet clinique est visible après trois mois de traitement. En cas d’échec, une chirurgie peut alors être proposée.
Au stade de fibrose, le traitement médical n’est plus efficace et le traitement est uniquement chirurgical. Il peut aussi être proposé aux patients avec une gynécomastie secondaire devenue fibreuse, après traitement étiologique.
À la puberté, la surveillance et la réassurance sont de mise. En l’absence de cause identifiée et si la gynécomastie persiste au-delà de 18 ans, la mise en place du traitement précédemment décrit peut être discutée.
Encadre

La gynécomastie chez l’homme : penser à un cancer du sein

Le cancer du sein chez l’homme est le diagnostic différentiel principal de la gynécomastie.

Bien qu’il s’agisse d’une entité rare, son incidence semble en augmentation depuis plusieurs années.4

Les facteurs de risque de cancer de sein chez l’homme sont les suivants : âge avancé (âge moyen de survenue : 67 ans), antécédents familiaux, situations d’hyperœstrogénie relative ou absolue (également causes de gynécomastie).

Lorsqu’il existe une histoire familiale, le cancer est souvent associé à des mutations génétiques (BRCA 1, BRCA 2, syndrome de Lynch, syndrome de Li-Fraumeni).

Le pronostic du cancer du sein chez l’homme est moins favorable que chez la femme du fait d’un retard diagnostique fréquent et de l’âge plus avancé.

Encadre

Que dire a vos patients ?

D’abord, rassurer : très souvent la situation est physiologique, et la gynécomastie régresse spontanément.

Fréquemment, la gynécomastie est idiopathique ; il n’y a pas de maladie sous-jacente. Examen clinique et bilan complémentaire permettent de s’en assurer.

Il existe des traitements à proposer selon le degré de gêne occasionnée. Ils sont à discuter une fois la cause identifiée.

Références
1. Sansone A, Romanelli F, Sansone M, et al. Gynecomastia and hormones. Endocrine 2017;55(1):37‑44.
2. Johnson RE, Murad MH. Gynecomastia: pathophysiology, evaluation, and management. Mayo Clin Proc 2009;84(11):1010‑5.
3. Acharya S. Clinical features, presentation and hormonal parameters in patients with pubertal gynecomastia. J Fam Med Prim Care 2021;10(2):648.
4. Kanakis GA, Nordkap L, Bang AK, et al. EAA clinical practice guidelines–gynecomastia evaluation and management. Andrology 2019;7(6):778‑93.
5. Meyer P. Évaluation et prise en charge d’une gynécomastie. Rev Med Suisse 2009;5(198):783‑7.
6. Dickson G. Gynecomastia. Am Fam Physician 2012;85(7):716‑22.
7. Narula HS, Carlson HE. Gynecomastia. Endocrinol Metab Clin North Am 2007;36(2):497‑519.
8. Cuhaci N, Polat S, Evranos B, et al. Gynecomastia: Clinical evaluation and management. Indian J Endocrinol Metab 2014;18(2):150.
9. Chentli F, Bekkaye I, Azzoug S. Feminizing adrenocortical tumors: Literature review. Indian J Endocrinol Metab 2015;19(3):332.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés
essentiel

La gynécomastie est physiologique chez les nouveau-nés, à la puberté et chez les hommes âgés.

L’échographie mammaire et la mammographie confirment le diagnostic et éliminent un cancer du sein.

L’origine médicamenteuse est fréquente.

Le bilan biologique comprend les dosages de TSH, hCG totale, FSH, LH, testostérone, œstradiol et prolactine, ainsi qu’une évaluation des fonctions hépatique et rénale.

L’échographie testiculaire est obligatoire dans le bilan étiologique afin d’éliminer une néo- plasie testiculaire.

Le traitement médical peut être efficace s’il est introduit précocement. Au stade de fibrose, la chirurgie est indiquée.