Une gynécomastie physiologique peut s’observer chez le nouveau-né, chez l’adolescent et chez l’homme âgé. En dehors de ces situations, elle nécessite un bilan étiologique et il est indispensable de la distinguer du cancer du sein chez l’homme. Dans plus de 50 % des cas, aucune cause n’est retrouvée. La prise en charge principale dépend essentiellement de sa cause, quand elle est connue.
Physiopathologie : un déséquilibre hormonal en faveur des œstrogènes
Les œstrogènes proviennent quant à eux de deux voies :
- pour 85 %, de la conversion périphérique des androgènes (testostérone libre et delta-4-androstènedione) en œstrogènes (œstradiol et estrone) par l’aromatase, enzyme présente dans le tissu adipeux ;
- pour 15 %, de la sécrétion d’œstradiol testiculaire (cellules de Leydig).
Les œstrogènes stimulent la croissance de la glande mammaire tandis que la testostérone l’inhibe. La gynécomastie survient lorsqu’il existe un déséquilibre du ratio œstrogènes/testostérone en faveur des premiers, favorisant ainsi la prolifération de la glande mammaire. Cela peut venir d’un excès absolu en œstrogènes, d’un déficit en testostérone ou des deux associés.
Gynécomastie physiologique : possible à trois périodes de la vie
La gynécomastie observée chez les nouveau-nés régresse lors de la première année de vie. Sa prévalence est estimée entre 60 et 90 %.2
Durant la puberté, près de 70 % des adolescents sont concernés (avec un âge moyen de 13 à 14 ans) ; l’évolution est favorable en six mois à deux ans.3
Enfin, chez les hommes plus âgés, une gynécomastie multifactorielle est possible : plus de 50 % des hommes de plus de 50 ans sont concernés.
Gynécomastie secondaire : quelles causes ?
Iatrogénie
Les mécanismes sont variables et dépendent de la molécule. Par exemple, la spironolactone, par blocage des récepteurs des androgènes, entraîne une gynécomastie chez environ 10 % des patients recevant une dose de 25 mg/j. Toutes les molécules d’une même classe ne causent pas toujours une gynécomastie. L’arrêt du traitement permet en général la régression de la gynécomastie dans les trois mois.6
Cirrhose et consommation chronique d’alcool
Par ailleurs, indépendamment de l’atteinte hépatique, la consommation chronique d’alcool est un facteur favorisant.
Insuffisance rénale chronique
Dysthyroïdie
Dans le cas de l’hypothyroïdie, la synthèse de testostérone est diminuée, et il existe souvent une hyperprolactinémie.
Hyperprolactinémie
Les causes d’hyperprolactinémie sont diverses : prise de certains médicaments comme les antipsychotiques, adénomes hypophysaires à prolactine ou non sécrétants (par compression de la tige pituitaire), insuffisance rénale et hypothyroïdie.
Hypogonadisme hypogonadotrope
Un hypogonadisme hypogonadotrope peut être secondaire à l’existence d’un adénome hypophysaire, à une autre tumeur de la région ou une maladie infiltrative, à une hyperprolactinémie, à des antécédents d’irradiation cérébrale ou des médicaments, ou encore être d’origine congénitale comme dans le syndrome de Kallmann.
Insuffisance testiculaire
Les causes d’insuffisance testiculaire sont nombreuses : traitements par chimiothérapie et radiothérapie pelvienne, traumatismes testiculaires, tumeurs testiculaires, orchites. Le syndrome de Klinefelter (maladie chromosomique, de caryotype 47,XXY dans 90 % des cas ou mosaïque 46,XY/47,XXY dans 10 % des cas, touchant environ 1 garçon sur 600)1 peut également être responsable d’une insuffisance testiculaire qui s’exprime sur le plan clinique par une hypotrophie testiculaire, une gynécomastie (dans 50 à 70 % des cas) et une infertilité (azoospermie).
Tumeurs responsables d’un excès d’œstrogènes
Les tumeurs à cellules de Leydig sont des tumeurs rares, de petite taille, très souvent bénignes, touchant l’homme jeune ou d’âge moyen. Elles sont responsables d’un excès de production d’œstrogènes.
Les tumeurs de Sertoli sont aussi des tumeurs testiculaires bénignes, que l’on observe chez les hommes jeunes. Elles ont la propriété de surexprimer l’aromatase.
Enfin, les choriocarcinomes sont des tumeurs malignes, sécrétant de l’hCG (human chorionic gonadotropin), hormone stimulant la production d’œstrogènes par les cellules de Leydig.
Il existe également des tumeurs pouvant sécréter de l’hCG au niveau extratesticulaire : certains cancers bronchopulmonaires à grandes cellules, les cancers du rein et les cancers gastriques. Chez l’homme, le taux d’hCG circulant est indétectable en situation physiologique ; le dosage de l’hCG est donc un marqueur tumoral très spécifique.
La plupart des tumeurs surrénaliennes féminisantes sont malignes (corticosurrénalomes), et leur pronostic est généralement sombre.9 Rares, elles se manifestent principalement par une gynécomastie. Une cosécrétion de plusieurs hormones (androgènes, cortisol, œstrogènes) est possible.
Cliniquement, en dehors de la gynécomastie et de signes de féminisation, il peut y avoir un syndrome de masse abdominale, une altération de l’état général et un syndrome d’hypersécrétion en lien avec les autres hormones en excès.
Gynécomastie idiopathique et autres causes
Par ailleurs, l’obésité peut favoriser la survenue d’une adipomastie mais aussi d’une réelle gynécomastie par excès d’aromatisation et par augmentation de la concentration de SHBG.
Enfin, le syndrome de résistance aux androgènes est une cause rare de gynécomastie liée à une anomalie fonctionnelle du récepteur aux androgènes.
Comment s’orienter devant une gynécomastie ?
Examen clinique : local et à distance
Le cancer du sein est suspecté devant une masse dure, fixée, excentrée, associée à la présence d’adénopathies.8
L’examen testiculaire est primordial ; il permet d’éliminer la présence d’une masse évoquant un cancer testiculaire, puis d’évaluer le volume testiculaire et le stade pubertaire pouvant orienter vers une insuffisance testiculaire ou un hypogonadisme.
Le reste de l’examen clinique comporte la détermination du poids, de la taille et de l’indice de masse corporelle (IMC), les signes d’insuffisance hépatocellulaire et les signes endocriniens associés (galactorrhée, syndrome de Cushing, insuffisance corticotrope…).
Il est aussi important de ne pas négliger le retentissement psychologique de la gynécomastie, qui peut être conséquent.
Examens complémentaires : d’abord échographie mammaire et mammographie
L’échographie testiculaire est indispensable, même en cas de palpation testiculaire normale, car certaines tumeurs sont de très petite taille et imperceptibles à la palpation.
Le bilan biologique comprend le dosage de l’hCG totale, une évaluation des fonctions hépatique et rénale, des dosages hormonaux comprenant l’hormone de stimulation folliculaire (follicle-stimulating hormone [FSH]), LH, testostérone totale, prolactine, thyréostimuline (thyroid-stimulating hormone [TSH]).
En cas d’hyperœstrogénie avec échographie testiculaire normale, le scanner abdominal est réalisé pour rechercher une tumeur surrénalienne.
Quelle prise en charge ?
Si le caractère idiopathique est confirmé, la gynécomastie peut disparaître d’elle-même, mais si la gêne occasionnée est importante ou en cas de persistance elle peut justifier un traitement.
Le traitement médical est surtout efficace en cas de gynécomastie récente, c’est-à-dire dans les douze mois suivant son apparition.
Parmi les traitements médicamenteux, la dihydrotestostérone (Andractim), androgène non aromatisable en œstrogènes, peut être proposée. Elle s’administre par voie percutanée sur la poitrine. L’effet clinique est visible après trois mois de traitement. En cas d’échec, une chirurgie peut alors être proposée.
Au stade de fibrose, le traitement médical n’est plus efficace et le traitement est uniquement chirurgical. Il peut aussi être proposé aux patients avec une gynécomastie secondaire devenue fibreuse, après traitement étiologique.
À la puberté, la surveillance et la réassurance sont de mise. En l’absence de cause identifiée et si la gynécomastie persiste au-delà de 18 ans, la mise en place du traitement précédemment décrit peut être discutée.
La gynécomastie chez l’homme : penser à un cancer du sein
Le cancer du sein chez l’homme est le diagnostic différentiel principal de la gynécomastie.
Bien qu’il s’agisse d’une entité rare, son incidence semble en augmentation depuis plusieurs années.4
Les facteurs de risque de cancer de sein chez l’homme sont les suivants : âge avancé (âge moyen de survenue : 67 ans), antécédents familiaux, situations d’hyperœstrogénie relative ou absolue (également causes de gynécomastie).
Lorsqu’il existe une histoire familiale, le cancer est souvent associé à des mutations génétiques (BRCA 1, BRCA 2, syndrome de Lynch, syndrome de Li-Fraumeni).
Le pronostic du cancer du sein chez l’homme est moins favorable que chez la femme du fait d’un retard diagnostique fréquent et de l’âge plus avancé.
Que dire a vos patients ?
D’abord, rassurer : très souvent la situation est physiologique, et la gynécomastie régresse spontanément.
Fréquemment, la gynécomastie est idiopathique ; il n’y a pas de maladie sous-jacente. Examen clinique et bilan complémentaire permettent de s’en assurer.
Il existe des traitements à proposer selon le degré de gêne occasionnée. Ils sont à discuter une fois la cause identifiée.
2. Johnson RE, Murad MH. Gynecomastia: pathophysiology, evaluation, and management. Mayo Clin Proc 2009;84(11):1010‑5.
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4. Kanakis GA, Nordkap L, Bang AK, et al. EAA clinical practice guidelines–gynecomastia evaluation and management. Andrology 2019;7(6):778‑93.
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