Face à l’augmentation anormale et non justifiée des frénotomies buccales chez les nourrissons, dont l’objectif supposé est de permettre un allaitement efficace et indolore, une vingtaine de sociétés savantes et d’associations appellent à la vigilance et formulent cinq recommandations.

 

Une pratique qui se développe anormalement

D’après une vingtaine de sociétés savantes et d’associations de professionnels concernées par la santé du nourrisson et de l’enfant, on observe une augmentation récente et non justifiée des frénotomies linguales chez les enfants, dans les mois qui suivent leur naissance.

En effet, depuis une dizaine d’années, une augmentation exponentielle des publications se disant « scientifiques » sur l’ankyloglossie (limitation des mouvements de la langue causée par un frein lingual dit « restrictif » très antérieur et/ou épais) s’est accompagnée, en parallèle, d’un accroissement spectaculaire des frénotomies dans le monde. Ces pratiques se développent en France rapidement via des groupes de professionnels, plus ou moins reconnus mais soutenus par un flux important d’informations circulant sur les réseaux sociaux. Les enjeux financiers sont importants.

Quelles sont les données ?

Récemment, trois recommandations nationales et internationales1,2,3 et une revue Cochrane4 ont conclu au manque d’études scientifiques de qualité permettant de guider clairement les cliniciens : absence de définition anatomique claire et consensuelle des freins de langue et de l’ankyloglossie, de critères diagnostiques précis, de suivi à long terme sur l’efficacité et la durée de l’allaitement…

S’il est parfois reconnu comme l’une des causes de douleurs mamelonnaires et d’arrêt précoce de l’allaitement, le frein de langue est loin d’en être la cause plus fréquente. Ainsi, la seule visualisation d’un frein de langue très antérieur (avançant vers la pointe de la langue) et/ou épais n’est pas une indication chirurgicale.

Il n’y pas de preuves scientifiques solides concernant l’utilité de sectionner un frein de lèvre ou autre tissu intrabuccal pour améliorer le transfert de lait et/ou les douleurs mamelonnaires, le reflux gastroœsophagien, les difficultés de langage ou de parole, les apnées du sommeil, la malocclusion dentaire, les coliques, les difficultés orales lors du passage à l’alimentation solide... De plus, faute de consensus, l’entité « frein de langue postérieur » devrait être abandonnée.

La supériorité du laser par rapport aux ciseaux n’est pas démontrée. Des études comparatives sont nécessaires pour préciser les résultats à court et long terme de ces techniques ; de plus, les manipulations ou applications de substances sur ou près de la zone incisée n’ont pas fait la preuve de leur efficacité en post-chirurgie.

Enfin, les effets secondaires ne sont pas à négliger : risque d’effets secondaires (hémorragies, lésion collatérale tissulaire, obstruction des voies respiratoires ou nerveuse, sensorielle, refus de tétée, aversion orale, et risque infectieux), de récidives, diminution de la durée médiane de l’allaitement en post-chirurgie.

Cinq recommandations

Face à l’accroissement très important sur tout le territoire de réseaux proposant, à des tarifs excessifs, de traiter par frénotomie buccale les douleurs mamelonnaires et l’arrêt précoce d’allaitement, ou pire de la pratiquer à titre préventif, les sociétés savantes et les associations formulent cinq recommandations :

1. En l’absence de difficultés de succion, la présence d’un frein de langue court et/ou épais n’est pas une indication chirurgicale. C’est un geste agressif et potentiellement dangereux pour des nourrissons.

2. En cas de difficultés, la démarche diagnostique scientifique doit être réalisée par des professionnels de formation universitaire, ou ayant une formation agréée officiellement en allaitement, respectant une médecine basée sur des preuves, prenant en compte l’état général global de l’enfant, complétée d’une évaluation rigoureuse anatomique et surtout fonctionnelle de la succion/déglutition de l’enfant. En effet, les autres causes de difficultés d’allaitement sont bien plus fréquentes.

3. Une frénotomie aux ciseaux peut être indiquée après information aux parents du rapport bénéfice/risque, à condition qu’il existe un frein lingual antérieur court et/ou épais et uniquement après échec des mesures conservatrices non chirurgicales classiquement mises en place. Ce geste est réalisé avec ou sans anesthésie de contact, remise au sein immédiate et antalgique. Après la frénotomie, aucun geste intrabuccal n’est nécessaire les jours suivants.

4. Des études méthodologiquement rigoureuses ciblant les indications, l’efficacité et la tolérance de la frénotomie devraient être menées sans délai.

5. La préparation à l’allaitement et la formation des professionnels devraient être améliorées, afin de prévenir et de favoriser la prise en charge conservatrice et non chirurgicale en cas de difficultés.

D’après :

AFPA. Section de freins de langue chez les nourrissons et les enfants. Alerte sur des pratiques abusives. 17 janvier 2022.

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

AFPA. Communiqué de presse. Section de freins de langues chez les nourrissons et les enfants : un collectif de professionnels de santé alerte sur des pratiques abusives. 17 janvier 2022.

Chantry A, Marcellin L. Complications de l’allaitement.Rev Prat Med Gen 2017;31(974):53-4.