Selon l’écrivain Philippe Delerm, « Avec le vapotage, l’aveu public de l’addiction a pris une apparence un peu furtive, un peu honteuse. On n’ose même pas dire que la cigarette électronique se fume. Elle se biberonne en retrait, visage penché, regard fuyant. C’est comme le camouflage approximatif des adolescents dans les couloirs de lycée autrefois, dissimulant entre deux bouffées leur bâton fumant sous le caban, dissipant de l’autre main les volutes trop assoupies. »
Comme chacun de nous, Delerm, 68 ans, observe que la plupart des vapoteurs, s’ils ne se cachent pas, sont en repli, en retrait. Ils abandonnent la clope mais deviennent comme dépendants de leur objet libérateur. « La cigarette électronique est par essence un ersatz, écrit-il. Avec elle, la dépendance ne saurait être triomphante. » C’est que le vapoteur doit faire avec tout le poids du tabac – parvenir à rompre avec un siècle de mythes incarnés par la cigarette : de « la virilité la plus compacte (Humphrey Bogart, 1899-1957) » à la « féminité la plus mystérieuse (Lauren Bacall, 1924-2014). »
Mieux encore : Delerm voit dans la vraie cigarette l’origine du « nuage atomique d’intelligence » qui planait sur les émissions télévisées de Bernard Pivot et de Michel Polac. « Elle est Gainsbourg glissant vers Gainsbarre, un fumeur de Gitanes provoquant la mort. Son style, son éloquence ont le charme du suicide savouré. » C’est avec tout cela que le vapotage entend rompre – ce qui justifie pleinement la formule « Révolution des volutes ».
Cette nouvelle incarnation du concept de réduction des risques, peut-elle être inoffensive et, en même temps, efficace ? Peut-on faire sans grand danger l’économie du sevrage (brutal ou accompagné) tout en conservant le bénéfice d’un ersatz gestuel ? Deux tendances, ici s’opposent. D’une part, la prise de conscience des addictologues de l’intérêt, individuel et collectif, du vapotage dans la lutte contre le fléau massif du tabagisme (près de 80 000 morts prématurées chaque année en France). De l’autre, une forme de déni des vertus de cette pratique par les principaux responsables français de la santé publique.
Définitif quand Marisol Touraine fut ministre de la Santé (2012-2017), ce déni officiel tend aujourd’hui à régresser. Pour autant, on est encore très loin, en France, du soutien massif au vapotage mis en œuvre depuis plusieurs années, avec succès, par les pragmatiques autorités sanitaires britanniques. Tout se passe dans l’Hexagone comme si le recours au principe de précaution permettait de ne pas assumer une politique ouverte de réduction des risques.
C’est en substance la thèse soutenue lors du récent « Sommet de la vape » par Benoît Vallet, ancien directeur général de la Santé (2013-2018), aujourd’hui conseiller à la Cour des comptes.2 « Le vapotage se présente aujourd’hui comme un outil de réduction des risques efficace, adopté par des consommateurs responsables et désireux d’éviter les pratiques nocives pour leur santé. Son utilité pourrait être enfin confortée par une décision publique d’encourager son recours reconnu comme outil du sevrage tabagique. »
Cet été, venue des États-Unis, une intense médiatisation s’est déclenchée autour d’une « maladie sans nom » – pathologie pulmonaire associée dans un premier temps à la cigarette électronique… On sait aujourd’hui qu’elle est la conséquence de l’usage d’e-liquides frelatés (THC). En outre, un sondage a confirmé des données déjà établies par Santé publique France : seuls 7 % des Français pensent que vapoter est beaucoup moins risqué que fumer ; 25 % que c’est peu ou beaucoup moins risqué ; et 59 % que vapoter est autant ou plus risqué ; 15 % n’ont pas d’opinion.3 Ainsi, trois Français sur quatre se trompent quant aux dangers potentiels du vapotage. Et 80 % estiment (à tort) que la nicotine est, à elle seule, cancérigène.
À la veille du Mois sans tabac (novembre), les spécialistes redoutent les conséquences de cette nouvelle défiance. « Un jour, espère Philippe Delerm, il y aura peut-être un Gainsbourg vapoteur. »
1. Delerm P. L’extase du selfie et autres gestes qui nous disent. Paris: Seuil; 2019. https://bit.ly/2oYdmTS

2. Sommet de la vape, 3e édition. Paris, 14 octobre 2019.

3. Sondage sur le vapotage réalisé par BVA pour l’association #sovape. Septembre 2019.

https://bit.ly/2qs4l5T