objectifs
Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
Argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.

Définitions

On appelle hématurie la présence de globules rouges dans les urines. L’hématurie peut être visible à l’œil nu (coloration plus ou moins rouge des urines) : on parle alors d’hématurie macroscopique. Elle est plus souvent microscopique, découverte fortuitement sur un examen d’urines. Quelques études de population ont montré que la prévalence de l’hématurie varie entre 0,18 et 20 % selon les méthodes de détection utilisées (simple bandelette urinaire, unique ou multiple, ou examen cytobactériologique des urines [ECBU]). Cette situation fréquente mérite un bilan étiologique car elle peut être parfaitement bénigne sans cause retrouvée comme le premier signe d’un cancer des voies urinaires potentiellement mortel.
On définit l’hématurie par la présence de plus de 10 hématies par mm3 (10 000/mL) dans les urines. La bandelette urinaire, fréquemment utilisée dans le cadre du dépistage, est extrêmement sensible mais non spécifique. Elle détecte l’hème également présent dans l’hémoglobine et la myoglobine. L’ECBU permet d’affirmer la présence d’hématie dans les urines et de quantifier l’hématurie, mais peut manquer de sensibilité. En effet, si les urines examinées ne sont pas fraîches, une lyse des hématies peut les rendre invisibles au biologiste ; de même, une faible osmolarité des urines peut être responsable de lyse cellulaire. Le compte d’Addis (ou HLM pour hématie leucocyte minute) consiste à mesurer le nombre d’hématies et de leucocytes émis sur un recueil urinaire de 3 heures (normale < 5 000 hématies/mL/min). Il n’est plus utilisé en pratique clinique.

Diagnostics différentiels

L’hématurie macroscopique doit être distinguée de l’urétror­ragie qui provient de l’urètre antérieur et survient en dehors des mictions, et des saignements d’origine génitale chez la femme qui se mêlent parfois aux urines. La coloration rouge des urines peut également être secondaire à des pigments alimentaires (betteraves) ou médicamenteux (rifampicine, métronidazole, phénazopyridine, etc.). Les porphyries, l’hémoglobinurie et la myoglobinurie peuvent également donner un aspect rouge aux urines. Enfin, les cholestases chroniques et importantes peuvent également foncer les urines (pigments biliaires).
En cas d’urines colorées, une simple centrifugation permet de distinguer les hématuries (culot rouge, surnageant clair) des autres causes (surnageant rouge) : dans ce dernier cas, si la bandelette urinaire est positive, il s’agit d’hémoglobine ou de myoglobine, si elle est négative, toutes les autres causes doivent être évoquées (médicaments, aliments, porphyrie, etc.).

Démarche diagnostique

On distingue grossièrement les hématuries d’origine extra-glomérulaire (ou urologiques) et les hématuries d’origine glomérulaire (ou néphrologiques).
Les causes urologiques d’hématurie sont résumées dans le tableau 1. L’ensemble de l’arbre urinaire peut être le siège de lésions susceptibles de donner une hématurie. On peut les classer en 5 principaux groupes étiologiques : les tumeurs (rénales ou urothéliales), les infections (rein, vessie, prostate), les calculs quelle qu’en soit la nature, les anomalies vasculaires (malformations, thromboses) et les causes diverses (polykystose rénale, exercice physique, nécrose papillaire, traumatisme, etc.).
Les causes néphrologiques d’hématurie (tableau 2) peuvent être liées à une maladie limitée au rein (glomérulonéphrites primitives) ou à une maladie plus générale à expression rénale (vascularite à ANCA [anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles], purpura rhumatoïde, cryoglobulinémie, etc.). Les signes cliniques et biologiques peuvent ainsi se limiter à l’hématurie, ou celle-ci peut s’associer à un tableau plus complet d’atteinte glomérulaire avec hypertension artérielle, protéinurie, insuffisance rénale ou encore entrer dans le cadre d’une maladie systémique avec atteintes d’autres organes comme la peau, les articulations, les poumons, etc.
L’interrogatoire et l’examen clinique peuvent guider l’orientation étiologique.

Interrogatoire

Il s’attache à reprendre tous les antécédents médicaux et chirurgicaux du patient ainsi que les traitements en cours : notamment recherche de néphropathie familiale, de surdité, de maladie de système, antécédents d’infections urinaires, de calculs, prise d’anticoagulants ou maladie de l’hémostase, diabète, drépano­cytose, recherche de facteurs de risque de tumeur urologique (tableau 3) : tabagisme, exposition toxique (benzène, amines aromatiques, cyclophosphamide), antécédents familiaux, etc.
Il doit préciser les circonstances de survenue de l’hématurie si celle-ci était macroscopique : après un effort physique ou après un traumatisme, dans un contexte infectieux (immédiat ou 1 à 2 semaines après) ; si celle-ci était associée à d’autres symptômes uronéphrologiques (pollakiurie, brûlures mictionnelles, œdème des membres inférieurs, urines mousseuses, douleur lombaire) ou systémiques (douleurs articulaires, douleurs abdominales, dyspnée, fièvre, purpura).
En cas d’hématurie macroscopique, on peut distinguer les hématuries initiales qui surviennent en début de miction et proviennent le plus souvent de l’urètre postérieur, les hématuries terminales qui surviennent en fin de miction et sont d’origine vésicale, et les hématuries totales dont l’origine précise ne peut être déterminée sans plus d’examen. L’épreuve des 3 verres de Guyon permet d’illustrer le caractère initial, total ou terminal d’une hématurie macroscopique.
Une hématurie apparaissant de façon cyclique chez une femme en période d’activité génitale peut évoquer une endo­métriose localisée aux voies urinaires.
La présence de caillots est un élément important à recueillir car ils orientent vers une origine urologique de l’hématurie. En effet, la sécrétion d’urokinase dans les tubules rénaux prévient la formation de caillots dans les hématuries d’origine glomérulaire.

Examen clinique

L’examen physique doit être complet comprenant le poids (amaigrissement/prise de poids), la mesure de la pression artérielle, la recherche d’œdèmes des membres inférieurs, la palpation des fosses lombaires (contact/douleur), la palpation abdominale, l’examen des organes génitaux (recherche de varicocèle récent), les touchers pelviens. Les signes cliniques pouvant orienter vers une maladie systémique doivent également être recherchés : purpura, photosensibilité, livedo, douleurs articulaires, arthrite, toux, hémoptysie, dyspnée, douleur thoracique, épanchement pleural, douleurs abdominales, méléna, atteinte neurologique périphérique ou centrale, etc.

Examens complémentaires

Ils sont guidés par les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique.
Que l’hématurie soit macroscopique ou microscopique détectée à la bandelette urinaire, un ECBU est recommandé pour confirmer la présence anormale d’hématies dans les urines. Il permet également de diagnostiquer ou d’écarter une infection urinaire.
Si l’on est d’emblée orienté vers une hématurie d’origine glomérulaire en raison de l’association à une protéinurie de fort débit (également détectée à la bandelette urinaire) ou par la présence de signes évocateurs d’une maladie systémique, les examens demandés sont essentiellement biologiques afin de préciser les caractéristiques et d’avancer dans le diagnostic étiologique de la glomérulopathie (créatinininémie, albuminémie, protéinurie et créatininurie, facteurs antinucléaires, complément, cryoglobulinémie, ANCA, sérologies virales, électrophorèse des protéines sériques, etc.). Une hématurie survenant dans un contexte évocateur de glomérulopathie indique la réalisation d’une biopsie rénale qui justifie au minimum la réalisation d’une échographie rénale afin de contrôler l’absence de contre-indication à la réalisation du geste.
En l’absence de contexte évident de glomérulopathie, un bilan d’imagerie complet est recommandé. Selon les séries, la proportion de cancer chez les patients explorés pour hématurie varie de 5 à 28 %, essentiellement de localisation vésicale. Dans 2 études de population de près de 5 000 individus âgés de plus de 50 ans testés quotidiennement par bandelette urinaire pendant 2 à 10 semaines, 20 % présentaient au moins un dépistage positif d’hématurie microscopique amenant au diagnostic de tumeurs (essentiellement vésicales mais également prostatiques et rénales) dans environ 5 % des cas. La proportion de tumeurs augmente clairement avec l’âge (> 40 ans) et la présence de facteurs de risque de tumeur urothéliale (tabagisme ++). Ces statistiques, associées à la sensibilité imparfaite de l’échographie pour les tumeurs de petite taille (< 3 cm) du haut appareil urinaire et du scanner pour les tumeurs vésicales, encouragent à proposer les examens suivants :
un uroscanner : examen tomodensitométrique de l’arbre urinaire fait sans et avec injection de produit de contraste iodé. Il a une meilleure sensibilité que l’échographie pour le diagnostic des tumeurs rénales de petite taille et les tumeurs urétérales, ainsi que pour les calculs. Il permet également de diagnostiquer certaines malformations vasculaires, les infarctus rénaux, une polykystose rénale, etc. En cas de contre-indication, il peut être remplacé par une uro-IRM ;
une cytologie urinaire : elle doit être de préférence réalisée sur des urines du matin, si possible 3 jours de suite. Sa spécificité est très bonne, proche de 100 %, mais sa sensibilité moyenne évaluée entre 66 et 79 % dans 2 larges séries. Elle permet de détecter les tumeurs vésicales de haut grade et les tumeurs vésicales in situ. En revanche, sa sensibilité est très limitée pour les tumeurs rénales ;
une cystoscopie : elle a une meilleure sensibilité que la cytologie urinaire pour détecter les cancers de vessie, proche de 90 %, mais peut parfois être prise en défaut dans les cas de cancer in situ. Sa rentabilité semble moins bonne chez les patients de moins de 40 ans, notamment lorsqu’il n’existe pas de facteur de risque de tumeur urothéliale et chez les femmes.
La proportion des différentes causes d’hématurie varie en fonction de l’âge. Dans une étude de près de 2 000 patients explorés dans une clinique urologique pour une hématurie (âge moyen 58 ans), 13 % des patients avaient une infection urinaire, 12 % un cancer de la vessie, 0,7 % des tumeurs du haut appareil urinaire, 2 % des calculs et 11 % d’autres diagnostics. Il faut noter que 61 % des patients dans cette étude n’avaient aucune cause retrouvée d’hématurie malgré un bilan exhaustif.

Hématurie microscopique isolée

La proportion d’hématurie microscopique isolée varie selon les études entre 19 et 68 % après bilan urologique complet et recherche d’autres anomalies pouvant orienter vers une cause glomérulaire. L’analyse des urines au microscope à contraste de phase est rarement faite en France, elle peut orienter vers une cause glomérulaire en cas de présence de cylindres hématiques (hématies qui se sont agglutinées dans les tubules rénaux) ou d’acanthocytes (globules rouges devenus dysmorphiques par le passage à travers les capillaires glomérulaires). Il n’est actuellement pas recommandé de faire une biopsie rénale en cas d’hématurie isolée afin de trouver une glomérulopathie qui se limiterait à ce seul signe. Celle-ci n’aurait en effet aucune incidence sur la prise en charge du patient. Il existe néanmoins dans la littérature plusieurs séries de patients biopsiés du rein dans de telles circonstances. Il s’agit, dans une petite proportion des cas, d’une histologie rénale normale. Les deux principaux diagnostics retrouvés (plus de la moitié des cas) sont la maladie à dépôts mésangiaux d’IgA et « les » syndromes d’Alport.
La maladie à dépôts mésangiaux d’IgA ou maladie de Berger reste la glomérulopathie la plus fréquente dans le monde, elle est caractérisée par la présence au sein des glomérules de dépôts mésangiaux d’IgA. Ses manifestations clinico-biologiques sont extrêmement variables : de la simple constatation histologique (15 % des reins tout-venant prélevés en vue d’un don d’organe au Japon) au tableau de glomérulonéphrite rapidement progressive. Elle peut se limiter à une hématurie microscopique, associée ou non à la survenue d’hématuries macroscopiques contemporaines d’infections des voies aériennes supérieures. Le plus souvent, néanmoins, une protéinurie est associée à l’hématurie.
Le syndrome d’Alport recouvre plusieurs entités en fonction des anomalies génétiques retrouvées. Le tableau le plus fréquent est lié à une mutation du gène codant pour la chaîne α5 du collagène de type IV (COL4A5) situé sur le chromosome X. Il se caractérise par une atteinte sévère chez les hommes associant hématurie (parfois macroscopique, également en période infectieuse), protéinurie, insuffisance rénale évoluant vers l’insuffisance rénale terminale dans la troisième décennie. Les anomalies extrarénales sont une surdité et des anomalies oculaires (lenticônes). Les femmes porteuses de la mutation COL4A5 ont des présentations variables fonction de l’inactivation du chromosome X et qui peuvent se limiter à une hématurie micro­scopique. Les mutations des gènes codant pour les chaînes α3 et α4 sont impliquées dans les syndromes d’Alport autosomique récessif et dominant, et ce qui était auparavant appelé hématurie familiale bénigne ou maladie des membranes basales minces. Là encore, la maladie peut débuter ou se limiter à une hématurie microscopique isolée.

Traitement et surveillance

La prise en charge thérapeutique d’une hématurie macro­scopique peut justifier un traitement symptomatique en attendant le traitement étiologique. Les hématuries glomérulaires n’ont souvent aucune conséquence clinique. Les hématuries extra­glomérulaires peuvent se compliquer de caillotage des voies urinaires et il est donc recommandé d’assurer une hydratation abondante en période hématurique. Une carence martiale peut exceptionnellement être retrouvée en cas d’hématurie macroscopique prolongée (cancer, syndrome de casse-noisette, etc.). Les hématuries microscopiques ne nécessitent pas de traitement propre.
La surveillance des hématuries microscopiques isolées après un premier bilan urologique négatif ne nécessite pas de nouveau bilan radiologique. En revanche, une surveillance annuelle de la pression artérielle, de la microalbuminurie et de la créatininémie est recommandée.

Conclusion

La survenue d’une hématurie macroscopique ou la découverte d’une hématurie microscopique sont des motifs fréquents de consultation en urologie ou néphrologie. En l’absence d’arguments clairs pour une cause glomérulaire (protéinurie, insuffisance rénale), un bilan morphologique comprenant au minimum un uroscanner est recommandé ainsi qu’une cystoscopie en cas de facteur de risque de tumeur urothéliale.
La découverte d’une hématurie doit amener à une enquête étiologique.
Le diagnostic d’hématurie doit être confirmé par la réalisation d’un ECBU retrouvant plus de 10 000 hématies par mL.
L’interrogatoire et l’examen clinique doivent préciser les antécédents, traitements et les circonstances de survenue de l’hématurie et permettent parfois d’orienter le diagnostic étiologique.
On distingue 2 grands types d’hématurie : les causes néphrologiques ou glomérulaires (évoquées en cas d’association à une protéinurie, une insuffisance rénale) dominées par la glomérulopathie à dépôts d’IgA, et les causes urologiques liées à des tumeurs, infections ou lithiases principalement.
En l’absence d’orientation, un bilan urologique complet (uroscanner, cytologie urinaire, cystoscopie) devra être réalisé afin de ne pas méconnaître une tumeur rénale ou urothéliale, d’autant plus qu’il existe des facteurs de risque (tabagisme++)
Points forts
Hématurie

POINTS FORTS À RETENIR

La découverte d’une hématurie doit amener à une enquête étiologique.

Le diagnostic d’hématurie doit être confirmé par la réalisation d’un ECBU retrouvant plus de 10 000 hématies par mL.

L’interrogatoire et l’examen clinique doivent préciser les antécédents, traitements et les circonstances de survenue de l’hématurie et permettent parfois d’orienter le diagnostic étiologique.

On distingue 2 grands types d’hématurie : les causes néphrologiques ou glomérulaires (évoquées en cas d’association à une protéinurie, une insuffisance rénale) dominées par la glomérulopathie à dépôts d’IgA, et les causes urologiques liées à des tumeurs, infections ou lithiases principalement.

En l’absence d’orientation, un bilan urologique complet (uroscanner, cytologie urinaire, cystoscopie) devra être réalisé afin de ne pas méconnaître une tumeur rénale ou urothéliale, d’autant plus qu’il existe des facteurs de risque (tabagisme++)

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