Devant une hépatomégalie, une masse abdominale, ou la découverte de nodules hépatiques, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.
Hépatomégalie
Définition
Diagnostic positif et différentiel
Étiologie
À noter que la cirrhose ne s’accompagne d’une hépatomégalie qu’au stade initial (qui peut durer plusieurs années), elle est alors plus volontiers sectorielle ou hétérogène qu’homogène ; le parenchyme hépatique s’atrophie ensuite avec l’évolution de la maladie.
Orientation diagnostique
Examen clinique
À l’interrogatoire, on recherche :- des antécédents personnels et familiaux d’hépatopathie, une prise de médicaments et de toxiques, les facteurs de risque d’hépatite virale, les éléments du syndrome métabolique ;
- des signes fonctionnels : douleur abdominale, fièvre, altération de l’état général, prurit, modification de la couleur des urines et des selles.
Biologie
Les examens de première intention sont : le bilan hépatique complet (transaminases, bilirubine totale et conjuguée, phosphatases alcalines, gamma-glutamyltransférase), la numération formule sanguine, le taux de prothrombine, l’albuminémie et l’ionogramme sanguin.En seconde intention, orienté par l’examen clinique, on pourra effectuer des sérologies virales (virus des hépatites virales A, B C et E selon le contexte), une glycémie à jeun et l’exploration d’une anomalie lipidique, un bilan auto-immun (électrophorèse des protides plasmatiques, dosage pondéral des immunoglobulines, recherche d’auto-anticorps), un bilan martial (fer, ferritinémie, coefficient de saturation de la transferrine), des hémocultures, des sérologies parasitaires, un dosage de marqueurs tumoraux (alphafœtoprotéine [AFP], antigène carbohydrate [CA] 19-9, antigène carcino-embryonnaire [ACE]).
Imagerie
L’échographie abdominale est l’examen d’imagerie de première intention devant la découverte d’une hépatomégalie. Elle permet de caractériser cette dernière plus finement que l’examen clinique, de mettre en évidence des signes de cirrhose (dysmorphie hépatique à contours bosselés, signes d’hypertension portale : splénomégalie et voies de dérivation porto-systémiques), une dilatation des voies biliaires, une stéatose hépatique (parenchyme hyperéchogène), et le mode Doppler peut montrer des signes indirects d’insuffisance cardiaque droite (dilatation des veines hépatiques) ou encore une thrombose d’une ou plusieurs veines hépatiques responsable d’un syndrome de Budd-Chiari. L’échographie permet aussi de mettre en évidence une ascite, même si elle est de faible abondance, ainsi qu’un ou plusieurs nodules hépatiques.Une imagerie en coupe, tomodensitométrie (TDM) ou imagerie par résonance magnétique (IRM), avec étude triphasique (temps artériel, portal et tardif) après injection de produit de contraste, peut être utile au diagnostic étiologique d’une hépatomégalie.
Si les voies biliaires sont dilatées, une cholangio-IRM peut permettre d’en déterminer la cause.
L’échographie cardiaque sera utile si les veines hépatiques sont dilatées et s’il existe des arguments en faveur d’une insuffisance cardiaque.
Ponction-biopsie hépatique
Lorsque les données cliniques, biologiques et d’imagerie ne permettent pas de faire un diagnostic étiologique, la ponction-biopsie hépatique est nécessaire. Elle peut apporter un faisceau d’arguments qui, même s’ils ne sont pas spécifiques, orientent vers une cause donnée. Elle permet également de déterminer le stade évolutif (extension de la nécrose hépatocytaire pour les maladies aiguës, extension de la fibrose pour les maladies chroniques). Si l’hépatomégalie est diffuse, la biopsie est en principe réalisée dans le lobe droit, et un contrôle échographique est recommandé (Les contre-indications à la ponction-biopsie transpariétale sont l’ascite, les troubles de l’hémostase non corrigés (taux de prothrombine inférieur à 50 %, plaquettes inférieures à 60 G/L, temps de céphaline activée [TCA] ratio supérieur à 1,5) et une dilatation des voies biliaires. Les deux premières contre-indications peuvent être contournées en effectuant la biopsie par voie transjugulaire.
Démarche diagnostique
Si tel n’est pas le cas, et également afin de confirmer une hypothèse diagnostique, des examens biologiques et d’imagerie sont nécessaires. Les principaux examens complémentaires indiqués en fonction de l’étiologie suspectée sont présentés dans le
Conduite à tenir devant une masse abdominale
Le cliché d’abdomen sans préparation n’a pas sa place devant la découverte d’une masse abdominale. L’échographie abdominale est en revanche l’examen d’imagerie de première intention ; elle permet de préciser le plus souvent l’organe aux dépens duquel la masse est développée, et la nature tissulaire ou liquidienne de la lésion. Toutefois, l’origine d’une masse abdominale peut être difficile à déterminer en échographie lorsqu’il existe des interpositions gazeuses. La TDM est souvent nécessaire pour caractériser plus précisément la masse.
Masse de l’hypochondre droit
Hépatomégalie
Voir partie Hématomégalie (Augmentation de taille de la vésicule biliaire
La vésicule biliaire n’est pas palpable en situation physiologique. Si elle l’est, il peut s’agir :- d’un hydrocholécyste, c’est-à-dire une distension de la vésicule liée à un calcul enclavé au niveau du collet vésiculaire ou dans le canal cystique ;
- d’une tumeur maligne du pancréas, qui comprime la voie biliaire principale, la vésicule est alors distendue du fait d’une rétention, et l’ictère est constant ;
- d’une cholécystite aiguë, la vésicule est alors sensible à la palpation (signe de Murphy) et le patient fébrile, il est toutefois très rare que la vésicule soit palpable au cours d’une cholécystite ;
- d’une tumeur maligne de la vésicule, la vésicule est ici dure, irrégulière et fixée.
Autres causes
Plus rarement, une masse palpable en hypochondre peut correspondre à une tumeur de l’angle colique droit, une néphromégalie droite ou une lésion de la surrénale droite.Masse de l’épigastre
Tumeur pancréatique
Il s’agit le plus souvent d’une tumeur maligne, de type adénocarcinome, qui s’associe à une altération de l’état général marquée, à un ictère si la tumeur est localisée au niveau de la tête du pancréas, et à des douleurs solaires si elle est au niveau du corps. La masse est dure, sensible, fixée.Un pseudokyste du pancréas, s’il est volumineux, peut aussi être palpable sous forme d’une masse ferme, rénitente et régulière, il correspond généralement à une séquelle de pancréatite aiguë.
Tumeur gastrique
La masse est dure, pierreuse, mais il est très rare qu’une tumeur gastrique se révèle par une masse palpable isolée ; les symptômes digestifs sont habituellement au premier plan : épigastralgies, vomissements, hématémèse ou méléna. L’endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies ciblées permet le diagnostic.Masse de l’hypochondre gauche
Splénomégalie
Une rate palpable est toujours pathologique, et peut avoir pour cause une hypertension portale, une hémopathie (hémolyse chronique, maladie lympho- ou myéloproliférative), une infection virale, bactérienne, fongique ou parasitaire, une maladie de surcharge…Autres causes
Beaucoup plus rarement, une tumeur de la queue du pancréas, de l’angle colique gauche, de l’estomac ou du rein gauche peut être responsable d’une masse en hypochondre gauche.Masse des flancs
Masse de la région ombilicale
Masse de la fosse iliaque droite
Il peut également s’agir d’une maladie de Crohn compliquée d’un abcès (mode de révélation de la maladie ou complication au cours de son évolution) ou d’une appendicite abcédée ; le patient est alors fébrile et la masse douloureuse. La TDM montrera une collection liquidienne parfois hétérogène, éventuellement associée à d’autres lésions en cas de maladie de Crohn (épaississement des parois, sténose, fistule).
Une tumeur ou un abcès de l’ovaire peuvent également être palpés.
Masse de l’hypogastre
Causes diverses
Les diagnostics les plus aisés sont à évoquer en priorité :- grossesse méconnue : date des dernières règles, dosage des β-hCG ;
- globe vésical : il se présente comme une matité convexe vers le haut, et le contexte est souvent évocateur (patient âgé, période postopératoire, médicament favorisant) ; l’anurie n’est en revanche pas systématique puisqu’il peut y avoir des mictions par regorgement ;
- fécalome : le diagnostic se fait au toucher rectal.
Causes utérines
Le fibrome utérin peut être palpé sous la forme d’une masse ferme, lisse, régulière et indolore (sauf s’il s’agit d’une torsion d’un fibrome pédiculé, qui est très douloureuse), mobile avec l’utérus, qui peut s’associer à une pesanteur pelvienne, des ménorragies ou encore des troubles mictionnels. L’échographie pelvienne permet la confirmation diagnostique.Le cancer de l’endomètre se révèle le plus souvent par des métrorragies post-ménopausiques.
Tumeur de l’ovaire
Bénigne ou maligne, kystique ou tissulaire, la lésion est le plus souvent latéralisée d’un côté ou de l’autre. Dans le cas contraire, il est cliniquement difficile de la distinguer d’une tumeur utérine.Masse de la fosse iliaque gauche
Une tumeur du sigmoïde peut se révéler par une masse, mais les rectorragies ou les troubles du transit sont le plus souvent au premier plan.
Une tumeur ou un abcès de l’ovaire peut également être palpé(e) en fosse iliaque gauche.
Masses non systématisées
Une masse pariétale peut correspondre à une hernie (réductible ou non), un hématome de paroi ou encore un lipome (masse régulière, mobile par rapport au plan musculaire et indolore).
De volumineuses adénopathies abdominales peuvent être palpées chez un sujet maigre, auquel cas toutes les aires ganglionnaires doivent être palpées à leur tour.
Des nodules multiples, durs, indolores et fixés doivent faire évoquer une carcinose péritonéale, ils peuvent s’accompagner d’ascite, de douleurs abdominales, de troubles du transit, voire d’un syndrome occlusif.
Enfin, une masse abdominale d’origine indéterminée peut correspondre à un corps étranger, notamment du matériel opératoire.
Pour en savoir +
ALD n° 17. Maladie de Gaucher, Guide maladie chronique. HAS, 2007.
Prise en charge de l’hémochromatose liée au gène HFE (hémochromatose de type 1), Recommandation de bonne pratique. HAS, 2005.
Ponction-biopsie hépatique. Réalisation pratique et indications. Association française pour l’étude du foie (AFEF) et Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE), 2002.
Que reste-t-il des indications de la ponction-biopsie hépatique ? Post’U, SNFGE, 2011.
Carcinome hépatocellulaire (cancer primitif du foie), Thésaurus national de cancérologie digestive. SNFGE, 2019.
Recommandations pour le diagnostic et le suivi non invasif des maladies chroniques du foie. AFEF, 2020.
Hépatomégalie et masse abdominale
Comme tous les items d’orientation diagnostique, « Hépatomégalie et masse abdominale » ne peut faire l’objet d’un dossier progressif à lui seul. Il peut en revanche être une très bonne porte d’entrée dans un cas clinique, et bien sûr être source de questions isolées.
Voici quelques exemples de questions auxquelles vous pourriez être confrontés.
◗ Connaître l’ordre dans lequel les examens complémentaires doivent être effectués lors de la découverte d’une hépatomégalie : bilan biologique en première intention (transaminases, bilirubine totale et conjuguée, phosphatases alcalines, gamma-glutamyl-transférase, numération formule sanguine, taux de prothrombine, albuminémie), puis écho-Doppler abdominal, imagerie injectée en troisième ligne, et ponction-biopsie hépatique en dernier recours, tout ceci devant bien entendu être adapté au contexte et aux principales hypothèses diagnostiques.
◗ Donner les caractéristiques du carcinome hépatocellulaire en imagerie injectée : aspect hypervasculaire au temps artériel (phénomène de wash-in), et hypovasculaire au temps portal ou tardif (phénomène de wash-out) par rapport au parenchyme hépatique adjacent.
◗ Citer les contre-indications à la ponction-biopsie hépatique transpariétale : présence d’ascite, de troubles de l’hémostase non corrigés (taux de prothrombine inférieur à 50 %, plaquettes inférieures à 60 G/L, TCA ratio supérieur à 1,5), d’une dilatation des voies biliaires.
◗ Citer les principales hypothèses diagnostiques devant la palpation d’une masse de tel quadrant. Tous les quadrants sont susceptibles de faire l’objet d’une telle question.
◗ Un patient vous est adressé pour splénomégalie, la suite du dossier vous amène à poser le diagnostic de cirrhose.
◗ Un patient consulte pour une altération de l’état général, vous palpez une masse épigastrique ; votre première hypothèse doit être celle de l’adénocarcinome pancréatique.