Le patient doit être adressé immédiatement chez l’ophtalmologue.
Par Damien Guindolet, Éric Gabison*
Les virus de la famille herpès, Herpes Simplex Virus (HSV) et Varicelle Zona Virus (VZV) principalement, ont une prévalence élevée. La séroprévalence de ce dernier dépasse 95 % dans la population adulte. Celle de l’infection latente à HSV-1 est estimée à 90 % chez les plus de 60 ans, et le risque d’une localisation oculaire serait de 1 % au cours d’une vie.
La contamination se fait par voie aé-rienne,généralement dans l’enfance. La primo-infection à HSV (asymptomatique dans plus de 90 % des cas) se manifeste par une symptomatologie oropharyngée ; l’atteinte de l’œil est rarement symptomatique. HSV-2 est exceptionnellement à l’origine de lésions oculaires, la contamination étant materno-fœtale.
Après multiplication, le virus reste latent dans le ganglion du nerf trijumeau, 5e nerf crânien (ganglion de Gasser)
Elle est favorisée par ce qui stimule la réplication virale : lésions nerveuses (chirurgie, ultraviolets), immunodépression (période menstruelle, fièvre, cancer) ou traitement immunomodulateur (corticoïdes). Après réplication, le virus est transporté par voie nerveuse jusqu’aux tissus périphériques.
Le phénomène se produit surtout dans les branches V2 et V3 (15 %), expliquant la fréquence des récurrences labiales, contre 0,15 % seulement pour la branche V1 responsable des atteintes oculaires. Dans ce dernier cas peuvent être touchés l’ensemble des tissus (paupières, conjonctive, sclère, cornée, uvée, rétine, nerf optique). Les signes cliniques dépendent à la fois de la réplication virale et de la réponse immunitaire.
L’exanthème est accompagné de lésions vésiculo-croûteuses arrondies, limitées à un dermatome (généralement le V1 : front, œil, nez), parfois étendu à l’œil (fig. 1). Les complications et la prise en charge sont les mêmes que pour toute autre localisation. Le traitement précoce par valaciclovir (dans un délai inférieur à 72 heures après le début de l’éruption) limite le risque d’algie post-zostérienne.
L’érythème et les lésions vésiculo-croûteuses sont isolés ou associés à une atteinte conjonctivale et cornéenne. Celles-ci peuvent s’intégrer à un syndrome de Kaposi-Juliusberg chez le malade atopique. Un traitement antiviral par voie orale, des soins locaux et des antalgiques peuvent être prescrits.
Isolée, elle est généralement méconnue faute de signes spécifiques. La bilatéralité n’exclut pas le diagnostic (10 % des cas). L’herpès doit être évoqué s’il existe une adénopathie prétragienne même non spécifique, des ulcérations conjonctivales ou une atteinte cornéenne. Il peut être la cause de 20 % des conjonctivites aiguës. Toute douleur accompagnant cette affection impose un examen ophtalmologique.
Elles sont rares et plus fréquemment liées à un HSV. Il s’agit de formes antérieures diffuses ou nodulaires pouvant se compliquer d’une kératite (sclérokératite). La rougeur oculaire est localisée ou diffuse, associée à des douleurs intenses.
Les 3 couches de la cornée peuvent être touchées de manière isolée ou mixte : atteintes épithéliale (la plus superficielle), stromale ou endothéliale (la plus profonde). Les lésions sont unilatérales à 95 %. Les signes sont : baisse d’acuité visuelle, douleur oculaire, photophobie, larmoiement.
L’examen à la lampe à fente est indispensable au diagnostic et au choix du traitement. Les lésions épithéliales sont confirmées par un test à la fluorescéine. Le pronostic visuel est réservé, avec un risque d’acuité visuelle inférieure à 1/10 estimé à 11 % à 20 ans. La récidive est fréquente (50 % des patients en font une au cours de leur vie).
La kératite épithéliale a des aspects variés : ponctuée superficielle, dendritique (la plus typique ; fig. 2), géographique, marginale, en archipel. Les récurrences peuvent se compliquer de cicatrices à l’origine d’une baisse d’acuité visuelle.
La kératite stromale est plus rare, caractérisée par un infiltrat blanc. L’évolution peut être nécrosante, par réplication virale majeure, entraînant rapidement une perforation cornéenne. La forme non nécrosante, par réplication virale et réaction immunitaire intense, évolue lentement avec une néovascularisation et une opacification de la cornée. Elle est volontiers récidivante.
La kératite endothéliale comporte un œdème cornéen et des précipités rétro- descémétiques (à la face interne de la cornée). Sa séquelle majeure est une perte de cellules endothéliales (cellules non régénératives chargées de déshydrater la cornée), se compliquant d’œdème et d’une baisse d’acuité visuelle. Il n’y a alors pas d’autre traitement que la greffe de cornée.
Causée par le HSV-1, le VZV ou le CMV (cytomégalovirus), l’atteinte est presque toujours unilatérale (90 %) : douleurs et baisse d’acuité visuelle. L’inflammation de la chambre antérieure (cellules inflammatoires visibles à la lampe à fente, dit effet Tyndall) est associée à des précipités rétrodescémétiques dits granulomateux. L’examen du fond d’œil est systématique pour ne pas méconnaître une rétinite nécrosante. Les conséquences à long terme sont liées au caractère récidivant des épisodes inflammatoires se compliquant de cataracte et de glaucome. Principaux diagnostics différentiels : toxoplasmose, syphilis, sarcoïdose et spondylarthrite ankylosante.
La nécrose rétinienne aiguë est une forme rare mais grave, regroupant une nécrose rétinienne, une vascularite occlusive et une atteinte papillaire. Elle se manifeste par une douleur oculaire associée à une baisse d’acuité visuelle sévère. Le diagnostic est posé à l’examen du fond d’œil. Sa prise en charge est urgente et hospitalière.
La recherche d’anticorps sanguins est peu informative compte tenu de la séroprévalence élevée dans la population. L’herpès peut être confirmé par PCR sur un prélèvement local ; après grattage en cas d’atteintes conjonctivales ou cornéennes atypiques.
Une uvéite antérieure atypique ou une suspicion d’atteinte postérieure justifient une ponction de la chambre antérieure à la recherche du virus dans l’humeur aqueuse.
Objectifs : inhiber la réplication virale et dans certains cas contrôler une réaction immune délétère. On recourt aux molécules antivirales (aciclovir, valaciclovir, famciclovir), associées aux anti-inflammatoires (corticoïdes) selon les cas. Ces derniers ne doivent être initiés qu’après un examen ophtalmologique et sous couverture antivirale.
Les atteintes conjonctivales et cornéennes (épithéliales et stromales) peuvent être traitées par voie locale (gel ou pommade aciclovir, ganciclovir ; collyre à la trifluridine) ou orale. Toutefois, les antiviraux topiques ont une toxicité locale empêchant leur utilisation prolongée.
Les formes stromales nécrosantes, endothéliales, les uvéites antérieures et postérieures relèvent de la voie orale ou intraveineuse.
La posologie doit être adaptée en cas d’insuffisance rénale ou d’insuffisance hépatique sévère.
L’utilisation prolongée de la forme orale impose une surveillance de la fonction rénale.
Le traitement d’attaque est oral par aciclovir : 2 cp de 200 mg par prise, 5 fois par jour ; ou valaciclovir : 1 à 2 cp de 500 mg, 3 fois par jour.
La prévention des récidives est préconisée en cas de kératite épithéliale au-delà de 3 récurrences par an et contre les kératites stromales et kérato-uvéites après 2 récurrences annuelles ou chirurgie de l’œil : aciclovir (2 cp de 200 mg, 2 x/j) ou valaciclovir (1 cp de 500 mg/j). Le traitement est réévalué tous les 6 à 12 mois.
La prévention de l’algie post-zostérienne comporte pendant 7 jours :
– aciclovir 4 cp de 200 mg, 5 fois par jour, – famciclovir 500 mg 3 fois par jour, ou
– valaciclovir 2 cp de 500 mg, 3 fois par jour.
Les autres indications et la durée d’un traitement préventif sont discutées au cas par cas.
L’herpès oculaire peut entraîner une cécité.
Le diagnostic est clinique (lampe à fente), complété éventuellement par des prélèvements (PCR).
Les corticoïdes locaux favorisent la réplication virale. Il ne faut pas les prescrire sans examen ophtalmologique ni traitement antiviral.
La prévention par antiviral tient compte de l’atteinte initiale, du nombre de récidives et de leur sévérité.
POUR EN SAVOIR PLUS
– Labetoulle M, Rousseau A, Bourcier T. Atteintes herpétiques du segment antérieur de l’œil : aspects thérapeutiques. EMC (Elsevier SAS Paris), Ophtalmologie 2014;11:1-9 [article 21-200-D-21.

– Liesegang TJ, Melton LJ, Daly PJ, Ilstrup DM. Epidemiology of ocular herpes simplex. Incidence in Rochester, Minn, 1950 through 1982. Arch Ophthalmol 1989;107:1155‑9.

– Herpetic Eye Disease Study Group. Acyclovir for the prevention of recurrent herpes simplex virus eye disease. N Engl J Med 1998;339:300‑6.
essentiel

L’herpès oculaire peut entraîner une cécité.

Le diagnostic est clinique (lampe à fente), complété éventuellement par des prélèvements (PCR).

Les corticoïdes locaux favorisent la réplication virale. Il ne faut pas les prescrire sans examen ophtalmologique ni traitement antiviral.

La prévention par antiviral tient compte de l’atteinte initiale, du nombre de récidives et de leur sévérité.