Qu’est-ce que l’hésitation vaccinale ?
Loin de se limiter au seul refus catégorique voire militant propre à l’antivaccinalisme, l’hésitation vaccinale recouvre des réalités très hétérogènes.
Souvent lue en termes de déficit de connaissances scientifiques ou de rationalité, elle est en fait plutôt liée à un niveau élevé de diplômes, et correspond en général à des classes moyennes supérieures.
Cela dit, on note deux mouvements paradoxaux. Ceux qui rejettent tous les vaccins sont surreprésentés parmi les classes populaires, mais cette tranche de la population est aussi celle qui, inversement, acceptera sans hésitation tous les vaccins (notamment parce qu’elle aura plus tendance à se référer à l’autorité du médecin) ; en parallèle, le fait d’être favorable à tous les vaccins est plus courant aussi chez les personnes les plus diplômées. En revanche, le fait d’être défavorable à certains vaccins (en émettant, par exemple, des critiques spécifiques à leur égard) est positivement associé au niveau de diplômes.
Il n’y a donc pas vraiment un seul type d’« hésitant »…
Pas du tout ! On pourrait presque dire qu’il y a autant d’attitudes d’hésitation que d’individus, car celles-ci se forment au gré des expériences et des histoires personnelles…
Il y a un monde entre ceux qui ne veulent pas d’une société d’experts gouvernée par les chiffres et ceux qui expriment des hésitations ciblées, souvent liées à des controverses précises (vaccin contre l’hépatite B, grippe A…) ou émanant même d’un intérêt pour la science qui les porte à interroger la pertinence des indications, la balance bénéfices-risques, etc.
Et, au milieu : ceux dont la méfiance à l’égard de la sphère médicale et/ou l’industrie pharmaceutique est alimentée soit par une vigilance vis-à-vis de l’actualité (divers scandales sanitaires pas forcément liés aux vaccins, comme le Médiator...), soit par des expériences personnelles parfois négatives…
Sans oublier, bien sûr, les postures plus « théoriques » où la réticence sur les vaccins renvoie à une critique plus large de la société (du capitalisme, de l’hygiénisme, voire du « biopouvoir »). Les attitudes les plus radicales, relevant des théories du complot, qui se traduisent par un rejet ferme de tous les vaccins sont minoritaires (autour de 2 %). Ces personnes ne constituent d’ailleurs qu’une très petite partie de la patientèle des médecins, comme montré par une enquête d’Infovac de 2018…
Cette variété est-elle un frein considérable à la couverture vaccinale ?
Bien que la France ait eu, en particulier depuis 2010 et l’épidémie de grippe A(H1N1), des taux record d’hésitation qui en ont fait l’un des pays du monde parmi les plus défiants à l’égard des vaccins, les couvertures sont plutôt bonnes – hormis pour le vaccin HPV –, surtout depuis l’extension des obligations vaccinales pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018 (mais cette mesure n’a pas forcément réglé la question de l’hésitation).
En fait, il est assez difficile de savoir quelle est la part de l’hésitation vaccinale dans la baisse d’une couverture ou dans le manque de succès d’une campagne vaccinale. On ne peut pas vraiment mesurer les raisons de la défiance en se basant sur des sondages d’opinion, dont les médias sont pourtant friands. Trop ponctuels et simplificateurs, ces sondages mettent les gens dans une situation où ils sont sommés de répondre à des questions qu’ils ne se sont peut-être pas posées ; c’est ainsi que l’on en vient à annoncer que « 40 % des Français sont contre la vaccination », alors que l’hésitation et ses raisons sont beaucoup plus compliquées et variables !
Et dans le contexte de la pandémie de Covid ?
Un rapport du Comité consultatif national d’éthique évoquait récemment un taux de 20 % d’adultes français encore réticents ou opposés à la vaccination anti-Covid, une proportion bien inférieure à celle de 60 % dont parlaient certains sondages fin 2020.
Je crois, en effet, que la pandémie a bouleversé les gens et marquera sans doute durablement le rapport des Français à la vaccination, et plus généralement à la médecine et à la science. Pour beaucoup, elle a pu opérer comme un agent de remise en question, de révision des croyances sur l’utilité des vaccins…
Une autre raison importante de ce recul de l’hésitation est bien sûr la grande fatigue liée à la pandémie. Or le vaccin apparaît à l’heure actuelle comme la seule opportunité d’en sortir. Que l’on y croie ou pas, le désir de retrouver une vie normale peut prendre le dessus…
Toutefois, il est encore difficile pour l’instant de savoir si ce recul de l’hésitation se répercutera également sur d’autres vaccins de façon générale, d’autant que la campagne vaccinale contre la Covid n’est pas finie.
Quels seraient alors les leviers pour convaincre, étant donné cette diversité d’« hésitations » ?
L’écoute est sans doute le levier le plus important. La consultation médicale est le lieu le plus propice pour aborder ces questionnements sur la vaccination, car le patient compte sur l’expertise du médecin pour recevoir une information fiable. Et il faut se rappeler que les attitudes de l’hésitation sont non seulement diverses mais aussi en constante évolution.
Il faut donc autoriser la personne à changer de discours et, lorsque c’est possible, l’accompagner dans son histoire. Cela suppose de s’intéresser à ses appuis cognitifs, à ses sources d’information et modes de raisonnement. En somme : ouvrir les personnes à la complexité des controverses, pour prendre le contre-pied des oppositions manichéennes.
Un enjeu pédagogique de taille, certes ! Car il implique, pour les médecins, d’être constamment informés sur le fonctionnement des vaccins, sur leurs effets indésirables, sur les protocoles et les dispositifs de pharmacovigilance, afin de pouvoir rassurer le patient. La tâche est loin d’être évidente, avec l’emploi du temps très chargé qui est le leur, mais ce temps pris pour s’informer, se former et échanger avec les patients est essentiel…
Pensez-vous que cette approche fonctionne aussi chez ceux qui, loin de douter (c’est-à-dire d’avoir un avis sur la question), ne se sentent pas concernés – les « apathiques vaccinaux » ?
Effectivement, si le doute doit être accueilli et traité quand il se présente, il ne s’agit pas de l’instiller là où il n’existe pas… Cela dit, face au désintérêt, la pédagogie peut aussi être le remède.
En pratique, tout l’enjeu pour le médecin n’est pas, en fin de compte, de connaître parfaitement les grands arguments sur lesquels les patients s’appuient, mais de connaître l’histoire du patient et, à partir de là, de travailler avec lui, de pouvoir lui dire : « vous avez lu ça, mais il y a aussi ça » ; « ça, vous ne vous sentez pas concerné pour l’instant, mais c’est quand même important, essayez d’y réfléchir », etc. Il ne s’agit pas de tomber dans une forme de relativisme, où tout le monde aurait ses raisons qu’il faudrait comprendre, mais de voir à quel point le doute s’inscrit sur le temps long – et qu’il évolue, donc.
Le dialogue ainsi ouvert, le patient pourra voir à son tour que si les controverses et les doutes existent, ils peuvent être expliqués ; que ce qui est en jeu est non seulement sa santé mais aussi un intérêt collectif.
La campagne vaccinale actuelle suit-elle ce chemin ? Que manque-t-il pour que l’adhésion soit plus grande ?
Si le gouvernement a géré la pandémie de manière très verticale, en ignorant parfois la société civile, cela a moins été le cas pour la campagne vaccinale – et c’est une bonne chose. Il y a eu une certaine transparence, avec de grands efforts de communication sur le fonctionnement et l’efficacité des vaccins, sur la stratégie et le calendrier vaccinal – malgré les changements constants inhérents au contexte –, sur les effets indésirables et la pharmacovigilance.
Résultat : ces vaccins, et tout particulièrement ceux à ARN, inspirent aujourd’hui une confiance relativement grande (alors que, rappelons-le, la nouveauté de cette dernière technique était l’un des sujets qui cristallisaient la méfiance auparavant).
Il y a donc tout intérêt à se saisir de cette opportunité qu’a donnée la pandémie pour casser l’idée que les gens sont enfermés dans une position... C’est une occasion non seulement pour les médecins d’affronter l’hésitation vaccinale, mais aussi pour les institutions de se servir de la vaccination pour faire vivre la démocratie en santé, en évitant de reproduire des schémas qui ont pu abîmer par le passé la confiance des Français – des experts faisant des recommandations qui doivent être suivies sans qu’on puisse se poser des questions. Autrement dit, d’inciter chaque citoyen à se saisir de ces questions de vaccination, qui sont passionnantes et qui les concernent directement – jusque dans leur chair, littéralement !
Propos recueillis par Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien