La défiance vaccinale n’est ni irrévocable ni uniforme.
La pandémie de Covid-19 montre bien que des facteurs extrinsèques peuvent influer puisque fin août 2021, 72,3 % des Français avaient déjà reçu une première dose de vaccin. Mieux identifier les profils du refus vaccinal permet en outre de trouver des leviers pour convaincre les hésitants ou les apathiques.

Qu'est-ce que l'hésitation vaccinale ?

Définie par l’Organisation mondiale de la santé comme le « retard à l’acceptation ou le refus des vaccinations malgré l’existence d’un dispositif d’offre vaccinale », l’hésitation vaccinale recouvre des réalités très hétérogènes, loin de se limiter au seul refus catégorique, voire militant, propre à l’antivaccinalisme.

Souvent lue en termes de déficit de connaissances scientifiques ou de rationalité, elle est en fait plutôt liée à un niveau élevé de diplômes, et correspond en général à des classes moyennes supérieures. Un phénomène semblable existe à l’échelle internationale : selon une enquête de 2016 utilisant le Vaccine Confidence Index1 dans une soixantaine de pays, ceux ayant un niveau de scolarité élevé et un bon accès aux services de santé sont associés à des taux plus faibles de sentiment positif à l’égard de la vaccination – indiquant une relation inverse entre la confiance vaccinale et le statut socio-économique.1

Cela dit, on note deux mouvements paradoxaux. Ceux qui rejettent tous les vaccins sont sur-représentés parmi les classes populaires, mais cette tranche de la population est aussi celle qui, inversement, acceptera sans hésitation tous les vaccins (notamment parce qu’elle aura plus tendance à se référer à l’autorité du médecin) ; en parallèle, le fait d’être favorable à tous les vaccins est plus courant aussi chez les personnes les plus diplômées. En revanche, le fait d’être défavorable à certains vaccins (en émettant, par exemple, des critiques spécifiques à leur égard) est, lui, positivement associé au niveau de diplômes.

Il n’y a donc pas véritablement un gradient social – comme il existe pour d’autres sujets liés à la santé. Une étude récente l’a confirmé, en montrant que la part des parents « hésitants » quant à la vaccination de leurs enfants était plus importante chez les diplômés. Cela s’explique en partie par un moindre niveau de confiance dans les autorités et la médecine, et un niveau d’engagement dans les décisions de santé plus élevé – deux phénomènes plus courants dans cette tranche de la population.2

Il n’y a donc pas vraiment un seul type d’« hésitant »…


Pas du tout ! On pourrait presque dire qu’il y a autant d’attitudes d’hésitation que d’individus, car celles-ci se forment au gré des expériences et des histoires personnelles... Il y a un monde entre ceux qui ne veulent pas d’une société d’experts gouvernée par les chiffres et ceux qui expriment des hésitations ciblées, souvent liées à des controverses précises (vaccin contre l’hépatite B, grippe A[H1N1]…) ou émanant même d’un intérêt pour la science qui les porte à interroger la pertinence des indications, la balance bénéfices-risques, etc.
Et, entre ces deux, bien des nuances aussi : ceux dont la méfiance à l’égard de la sphère médicale et/ou de l’industrie pharmaceutique est alimentée soit par une vigilance vis-à-vis de l’actualité (couverture médiatique de divers scandales sanitaires pas forcément liés aux vaccins, comme le Mediator…), soit par des expériences personnelles parfois négatives… Sans oublier, bien sûr, les postures plus « théoriques » où la réticence envers les vaccins renvoie à une critique plus large de la société (du capitalisme, de l’hygiénisme, voire du « biopouvoir »). Les attitudes les plus radicales, relevant des théories du complot, où tout événement ou dispositif est interprété en termes de contrôle des masses, et qui se traduisent par un rejet ferme de tous les vaccins sont, quant à elles, minoritaires (autour de 2 % selon le Baromètre santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Ces personnes ne constituent d’ailleurs qu’une très petite partie de la patientèle des médecins : selon une enquête d’Infovac de 2018, les médecins concernés par la vaccination (généralistes, pédiatres, médecins communautaires) estiment, en grande majorité, que moins de 10 % de leurs patients (ou parents de patients) leur opposent un refus catégorique, et ce pour la plupart des vaccins.3

Cette pluralité est-elle un frein considérable à la couverture vaccinale ?


Bien que la France ait eu ces dernières années, en particulier depuis 2010 et l’épidémie de grippe A(H1N1), des taux record d’hésitation qui en ont fait l’un des pays du monde parmi les plus défiants à l’égard des vaccins, les couvertures sont plutôt bonnes – hormis pour le vaccin contre le papillomavirus (HPV) –, surtout depuis l’extension des obligations vaccinales pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2018 (mais cette mesure n’a pas forcément réglé la question de l’hésitation de manière définitive).
En fait, il est assez difficile de savoir quelle est la part de l’hésitation vaccinale dans la baisse d’une couverture ou dans le manque de succès d’une campagne vaccinale. En particulier, on ne peut pas vraiment mesurer les raisons de la défiance en se fondant sur des sondages d’opinion, dont les médias sont pourtant friands. Trop ponctuels et simplificateurs, ces sondages mettent les gens dans une situation où ils sont sommés de répondre à des questions qu’ils ne se sont peut-être pas posées ; c’est ainsi que l’on en vient à annoncer que « 40 % des Français sont contre la vaccination », alors que l’hésitation et ses raisons sont beaucoup plus compliquées et variables !

 

Et dans le contexte de la pandémie de Covid ? 

Certaines enquêtes montrent que, depuis la fin de l’année dernière, il y a eu un recul de l’hésitation en ce qui concerne les vaccins anti-Covid. Je crois, en effet, que la pandémie a bouleversé les gens et marquera sans doute durablement le rapport des Français à la vaccination, et plus généralement à la médecine et à la science. Pour beaucoup, elle a pu opérer comme un agent de remise en question, de révision des croyances sur l’utilité des vaccins…
Une autre raison de ce recul de l’hésitation est bien sûr la grande fatigue liée à la pandémie. Or le vaccin apparaît à l’heure actuelle comme la seule opportunité d’en sortir. Que l’on y croie ou pas, le désir de retrouver une vie normale peut prendre le dessus…
Toutefois, il est encore difficile pour l’instant de savoir si ce recul de l’hésitation se répercutera également sur d’autres vaccins de façon générale, d’autant que la campagne vaccinale contre la Covid n’est pas finie.

Quels seraient alors les leviers pour convaincre, étant donné cette diversité d’« hésitations » ?

L’écoute est sans doute le levier le plus important. La consultation médicale est le lieu le plus propice pour aborder ces questionnements sur la vaccination, car le patient compte sur l’expertise du médecin pour recevoir une information fiable. Et il faut se rappeler que les attitudes de l’hésitation sont non seulement diverses mais aussi en constante évolution.
Il faut donc autoriser la personne à changer de discours et, lorsque c’est possible, l’accompagner dans son histoire. Cela suppose de s’intéresser à ses appuis cognitifs, à ses sources d’information et modes de raisonnement. En somme : ouvrir les personnes à la complexité des controverses, pour prendre le contre-pied des oppositions manichéennes.
Un enjeu pédagogique de taille, certes ! Car il implique, pour les médecins, d’être constamment informés sur le fonctionnement des vaccins, sur leurs effets indésirables, sur les protocoles et les dispositifs de pharmacovigilance, afin de pouvoir rassurer le patient. La tâche est loin d’être évidente, avec l’emploi du temps très chargé qui est le leur, mais ce temps pris pour s’informer, se former et échanger avec les patients est essentiel…

Pensez-vous que cette approche fonctionne aussi chez ceux qui, loin de douter (c’est-à-dire d’avoir un avis sur la question), ne se sentent pas concernés – les « apathiques vaccinaux4 » ?

Effectivement, si le doute doit être accueilli et traité quand il se présente, il ne s’agit pas de l’instiller là où il n’existe pas… Cela dit, face au désintérêt, la pédagogie peut aussi être le remède.
En pratique, tout l’enjeu pour le médecin n’est pas, en fin de compte, de connaître parfaitement les grands arguments sur lesquels les patients s’appuient, car il y en a pléthore, mais de connaître l’histoire du patient et, à partir de là, de travailler avec lui, de pouvoir lui dire : « vous avez lu ça, mais il y a aussi ça » ; « ça, vous ne vous sentez pas concerné pour l’instant, mais c’est quand même important, essayez d’y réfléchir », etc. Il ne s’agit pas de tomber dans une forme de relativisme, où tout le monde aurait ses raisons qu’il faudrait comprendre, mais de voir à quel point le doute s’inscrit sur le temps long – et qu’il évolue, donc. Le dialogue ainsi ouvert, le patient pourra voir à son tour que si les controverses et les doutes existent, ils peuvent être expliqués, et que ce qui est en jeu est non seulement sa santé mais aussi un intérêt collectif.

La campagne vaccinale actuelle suit-elle ce chemin ? La mise en place du passe sanitaire ne peut-elle pas être interprétée comme une entrave au dialogue ?

Le choix d’adopter le passe sanitaire est un pari risqué dans ce contexte de crise puisqu’il peut être interprété comme une nouvelle atteinte aux libertés individuelles. Pourtant, malgré un mouvement de contestation inédit par son ampleur en plein mois d’août, les Français y semblent globalement favorables, et l’augmentation des prises de rendez-vous a été spectaculaire. Mais cette « obligation déguisée » ne résout pas vraiment le problème de la défiance. À cet égard, le rapport à l’autorité de l’État ne peut s’apaiser qu’à la condition qu’il porte une politique de santé pleinement démocratique. Les institutions doivent être garantes de la discussion publique et il faut poursuivre la dynamique engagée en début d’année : il y a eu une certaine transparence, avec de grands efforts de communication sur le fonctionnement et l’efficacité des vaccins, sur la stratégie et le calendrier vaccinal – malgré les changements constants inhérents au contexte –, sur les effets indésirables et la pharmaco­vigilance.

Résultat : ces vaccins, et tout particulièrement ceux à ARN, inspirent aujour­d’hui une confiance relativement grande (alors que – rappelons-le – la nouveauté de cette dernière technique était l’un des sujets qui cristallisaient la méfiance auparavant).

De ce point de vue, il y a tout intérêt à se saisir de cette opportunité qu’a donnée la pandémie pour casser l’idée que les gens sont enfermés dans une position, et pour perpétuer ce travail. C’est une occasion non seulement pour les médecins de faire face à l’hésitation vaccinale mais aussi pour les institutions de se servir de la vaccination pour faire vivre la démocratie en santé, en évitant de reproduire des schémas qui ont pu abîmer par le passé la confiance des Français – des experts faisant des recommandations qui doivent être suivies sans qu’on puisse se poser de questions. Autrement dit, de permettre et d’inciter chaque citoyen à se saisir de ces questions de vaccination, qui sont passionnantes et qui les concernent directement – jusque dans leur chair, littéralement !

Pour en savoir plus

1. Larson HJ, de Figueiredo A, Xiahong Z, et al. The State of Vaccine Confidence 2016: Global Insights Through a 67-Country Survey. EBioMedicine 2016 12;295-301.
2. Bocquier A, Fressard L, Cortaredona S, et al. Vaccine hesitancy in France: prevalence and association with parents’ socioeconomic status. Med Sci 2020; 36(5):461-4.
3. Patte M, Levy C, Béchet S, et al. Perception de l’hési­tation vaccinale par les médecins impliqués dans la vaccination : l’enquête Infovac. Médecine et enfance 2018;8:219-23.
4. Wood S, Schulman K. When Vaccine Apathy, Not Hesitancy, Drives Vaccine Disinterest. JAMA 2021; 325(24):2435-6.