Depuis décembre, le gouvernement et les médias ont véhiculé des messages alarmistes sur les hospitalisations des enfants pour Covid, inquiétant voire culpabilisant les parents qui – en pleine vague épidémique – ne souhaitaient pas ou ne pouvaient pas vacciner leur enfant. Quels sont les vrais chiffres des hospitalisations chez les 5-11 ans ? Quel est l’intérêt de leur vaccination au vu des dernières données sur omicron ? Que conseiller aujourd’hui aux parents ? Entretien avec la Pr Élise Launay, pédiatre et infectiologue, CHU de Nantes.

 

Quel bilan de l’épidémie Covid en pédiatrie ?

La circulation du SARS-CoV-2 chez les enfants s’est intensifiée à partir de fin octobre 2021, avec la vague delta et encore plus avec l’arrivée d’omicron, comme dans le reste de la population. En raison de la forte augmentation des cas positifs, par rapport aux vagues précédentes, on craignait une vague pédiatrique à l’hôpital. D’après le dernier rapport de Santé publique France, les hospitalisations en soins conventionnels et en soins critiques pédiatriques ont augmenté depuis début décembre 2021, mais elles ont surtout concerné des nourrissons de moins de 1 an (il est en effet fréquent qu’un nourrisson de moins de 3 mois avec une fièvre isolée soit hospitalisé pour surveillance). Il y a eu aussi des cas co-infectés par le virus respiratoire syncitial (VRS) et le SARS-CoV-2 chez ces jeunes enfants, ce qui peut rendre difficile l’imputabilité de la sévérité à l’un ou l’autre des virus, ce d’autant plus que la bronchiolite du jeune nourrisson est source habituelle d’hospitalisation en soins critiques.

Il faut également savoir qu’une proportion significative des enfants comptabilisés sont hospitalisés pour une autre raison que le Covid, le dépistage étant systématique à l’admission. Selon les enquêtes Flash que nous réalisons depuis 4 semaines dans différents centres hospitaliers pédiatriques (réseau des pathologies infectieuses pédiatriques), la part des Covid « fortuits » est très importante lors de cette vague omicron : elle varie de 40 à 60 % selon les semaines et les centres.

Notre ressenti en pédiatrie est clair : nous n’avons pas été et ne sommes pas submergés par les hospitalisations Covid, en tout cas la situation actuelle n’a rien à voir avec celle engendrée par les épidémies de bronchiolites liées au VRS.


L’infection par omicron est-elle moins grave chez l’enfant, comme c’est le cas chez l’adulte ?

L’infection par le SARS-CoV-2 reste peu sévère chez l’enfant. Omicron étant beaucoup plus contagieux que les variants précédents, il y a beaucoup plus d’enfants malades et aussi hospitalisés, ce qui donne l’impression d’une plus grande virulence. En réalité, la très vaste majorité des enfants infectés font des formes mineures résolutives en quelques jours, voire asymptomatiques.


Omicron peut-il provoquer des laryngites sous-glottiques, comme évoqué dans une toute récente étude américaine ?

Le variant omicron touche probablement plus la sphère ORL que les autres variants (qui provoquaient plus d’infections respiratoires basses), mais est-ce qu’il entraîne plus de laryngites sous-glottiques que d’autre virus respiratoires, tel que parainfluenza ? Nous n’avons pas de données sur ce point.


Qu’en est-il des PIMS (syndromes inflammatoires multi-systémiques pédiatriques) ?

Les enfants étant très touchés en nombre, la crainte était de voir une augmentation exponentielle des PIMS, ces réactions inflammatoires graves survenant 2 à 6 semaines après l’infection. Selon les toutes dernières données du « Copil Covid inflammation pédiatrique », au 3 février 2022, 964 cas ont été déclarés depuis le début de la pandémie (d’avril 2020 à janvier 2022) dont 881 cas confirmés (dont 1 décès). Depuis la dernière semaine de 2021 et surtout au cours de ces 3 premières semaines de 2022, on observe une augmentation du nombre de cas de PIMS liés à la fin de la vague delta (figure 1). S’il est encore trop tôt pour juger de la sévérité des PIMS post-omicron, la flambée des infections omicron ayant eu lieu pendant les vacances de Noël, les réseaux de surveillance mis en place – par Santé publique France mais aussi par les médecins réanimateurs – auraient dû indiquer déjà un signal d’alerte. Les données des États-Unis, où la vague épidémique est en avance d’une dizaine de jours par rapport à la France, sont aussi rassurantes (pas d’augmentation des PIMS à ce jour, figure 2). Pas d’inquiétude donc, mais il faut rester vigilant pendant les prochaines semaines…

Figure 1 (source : Santé publique France) :

Figure

NB : une mise à jour de ces chiffres a été publiée par Santé publique France le 17 février, confirmant la tendance à la baisse des cas de PIMS (données jusqu'au 13/02), elle peut être consultée sur ce lien.
 

Figure 2 (source : Centers for Disease Control, États-Unis. Le graphique montre la moyenne glissante sur 7 jours du nombre de cas Covid-19 et de cas PIMS dont la date d'apparition se situe entre le 19 février 2020 et le 24 janvier 2022) :

Figure 2


Pourquoi alors tous ces messages alarmistes pour prôner la vaccination des enfants ?

La stratégie de la peur ne marche pas, les messages anxiogènes sur la gravité chez l’enfant ne conduiront pas à l’adhésion vaccinale, bien au contraire !

Il faut expliquer, fournir aux parents une information objective, ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, et leur laisser prendre la décision de vacciner ou non leur enfant. La Société de pédiatrie plaide pour une décision médicale partagée.


Votre position est en décalage avec celle du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale… que dire aux parents au vu des dernières données ?

Malheureusement, il n’y a pas de pédiatre au Conseil scientifique… Nous, pédiatres, mettons toujours l’intérêt de l’enfant au centre des décisions.

L’enjeu de la vaccination, c’est d’éviter les formes graves, qui sont plus fréquentes chez les enfants à risque, ayant des comorbidités. Selon le réseau Pandor, piloté par le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique, parmi les enfants hospitalisés en réanimation entre fin août 2021 et le 9 janvier 2022, la moitié (40) avaient au moins une comorbidité (affection cardiaque, drépanocytose, maladie respiratoire ou neurologique, déficit immunitaire). Il y a donc un bénéfice individuel à vacciner les enfants ayant des maladies chroniques et leur entourage.

Pour l’ensemble des enfants, la vaccination peut se justifier car elle protège contre les PIMS : une diminution du risque a été démontrée, en tout cas chez les adolescents vaccinés, même si nous n’avons pas de données sur omicron ; sachant que les PIMS restent une complication très rare (depuis 2020, environ 450 cas en France parmi les 5 millions d’enfants âgés de 5-11 ans, soit 1 cas toutes les 4 000 infections), mais qui nécessite une prise en charge en réanimation dans la majorité des cas (60-70 %). En revanche, l’intérêt collectif de la vaccination des enfants n’est pas prouvé. Son effet sur cette vague omicron est également incertain, mais si un autre variant émerge par la suite, le bénéfice pourrait être plus important. Enfin, nous savons aujourd’hui que ce vaccin est sûr dans cette tranche d’âge.

Une fois les parents informés sur ces données factuelles, il faut respecter leur décision. Pour les familles qui ne sont pas convaincues, il faut en rediscuter en fonction de l’évolution de la pandémie.

Le forcing est contreproductif et peut compromettre la réussite d’autres programmes de vaccination pour lesquels les bénéfices sont encore plus évidents : HPV, rotavirus, méningocoque B, varicelle… Le risque est la perte de confiance des parents dans la vaccination, qui n’est déjà pas très élevée en France !

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

Pour en savoir plus :

Santé publique France. Situation épidémiologique liée à la COVID-19 chez les 0-17 ans. 13 janvier 2022.

Kozlov M. Does Omicron hit kids harder? Scientists are trying to find out. Nature 4 février 2022.

Nobile C. Entretien avec la Pr Élise Launay. Kawasaki post-Covid et autres épidémies : les chiffres en France et les leçons à en tirer.Rev Prat (en ligne) 22 octobre 2021.

Société française de pédiatrie. Vaccination des enfants de 5-11 ans : une décision médicale partagée avec les parents et les enfants. 8 février 2022.

Levy M, Recher M, Hubert H, et al. Multisystem Inflammatory Syndrome in Children by COVID-19 Vaccination Status of Adolescents in France. JAMA 20 décembre 2021.