Le rôle causal de l’infection à papillomavirus (HPV) dans de nombreux cancers génitaux et de la sphère ORL est établi. Le cancer de la thyroïde ferait aussi partie de cette liste, selon une étude de cohorte nationale parue dans Nature Scientific Reports

Ces dernières décennies, l’incidence du cancer de la thyroïde, notamment celle du type histologique papillaire (de très bon pronostic), a considérablement augmenté dans plusieurs pays. Aux États-Unis, elle a été multipliée par 3 au cours des 30 dernières années. En France, elle a été multipliée par 3,5 chez les femmes et 3,4 chez les hommes entre le début des années 1980 et des années 2000. Cette épidémie de cancer de la thyroïde s’observe dans de nombreux pays, particulièrement en Asie (la Corée du Sud est le pays le plus touché).

Même si une partie est due ausurdiagnostic , cette augmentation de l’incidence motive la recherche sur les causes de ce cancer. En effet, ses facteurs de risque ne sont pas encore tous connus. En dehors des cancers liés à une maladie familiale rare (polypose colique, maladie de Cowden), les seuls facteurs de risque indiscutablement établis sont l’exposition aux rayonnements ionisants pendant l’enfance et la carence en iode. Des facteurs nutritionnels, anthropométriques (prise de poids), reproductifs et hormonaux sont fortement suspectés. D’autres facteurs, environnementaux (polluants chimiques), sont aussi évoqués, mais dans une moindre mesure.

En outre, des études récentes ont identifié la présence d’HPV dans des échantillons de nodules thyroïdiens : positivité par PCR dans près de 4 % des échantillons de nodules bénins et 13 % dans ceux de carcinomes papillaires. Toutefois, la possible association entre l’infection par ces virus et le cancer thyroïdien a été très peu explorée au niveau épidémiologique.

Pour la première fois, une vaste étude de cohorte nationale a examiné cette question. Il s’agit d’une étude cas-témoins menée avec des données issues du système national de données de santé taïwanais, croisées avec celles du registre national des cancers. Les chercheurs ont identifié 3 062 patients âgés de 20 ans plus ayant eu un premier diagnostic de cancer de la thyroïde entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2019. Ils les ont appariés à des contrôles sains, sans diagnostic (ni antécédent) de cancer de la thyroïde, et avec des caractéristiques similaires – âge, sexe, niveau socioéconomique, localisation géographique et comorbidités telles que l’HTA, hyperlipidémie, diabète –, selon un ratio 1 :3 (9 186 patients contrôles). L’âge médian des participants était de 54,5 ans.

Les chercheurs ont ensuite identifié les cas d’infection à HPV chez ces participants (infection avant le diagnostic de cancer ou la date équivalente chez les contrôles). L’analyse statistique a révélé une différence significative dans la prévalence de l’infection à HPV entre les deux groupes. Elle était de 15,3 % chez les participants avec un cancer de la thyroïde, contre 7,6 % chez les contrôles (p < 0,001). Cela correspondait à odds ratio ajusté de 2,199 pour les premiers par rapport aux seconds (IC95 % : 1,939 à 2,492). Il était similaire chez les femmes et chez les hommes.

Néanmoins, si ces résultats suggèrent une association significative entre l’infection à HPV et le cancer de la thyroïde, un lien de causalité ne peut pas être établi à ce stade. Davantage de travaux, notamment prospectifs mais aussi expérimentaux, sont nécessaires pour explorer cette relation et l’expliquer. En particulier, la présente étude n’a pas pris en compte les possibles facteurs confondants que sont l’obésité, le tabagisme, les habitudes alimentaires, les antécédents familiaux de cancers de la thyroïde et les rayonnements ionisants dus à des procédures médicales – des variables qui pourrait donc être contrôlées dans les futures recherches. Ces dernières pourraient également explorer la disparité entre les sexes, étant donné que la plus grande incidence des cancers de la thyroïde chez les femmes ne se reflète pas dans les taux d’infection par HPV qui sont, eux, similaires chez les hommes et les femmes.

Enfin, si un lien de causalité venait à être confirmé, cela pourrait avoir des implications cliniques telles que la surveillance des tumeurs de la thyroïde chez les patients ayant eu une infection par HPV, et constituerait surtout un argument supplémentaire pour étendre la couverture vaccinale contre les HPV.

Pour en savoir plus
Yang TH, Hung SH, Cheng YF, et al. Association of thyroid cancer with human papillomavirus infections.  Scientific Reports 2024;14:431.