L’hypertension artérielle (HTA) est le principal facteur de risque modifiable de mortalité et de morbidité cardiovasculaire dans les pays occidentaux.1 Pourtant, plusieurs études montrent que moins de 50 % des patients hypertendus sont identifiés et traités dans la population générale française.2
Les patients ayant une insuffisance rénale chronique (IRC) sont à haut risque cardiovasculaire, et la grande majorité d’entre eux sont hypertendus. Chez les patients avec une IRC, la surveillance et la prise en charge de l’HTA sont donc un enjeu majeur, avec des spécificités par rapport à celles des autres patients hypertendus.
Les différents acteurs du réseau de soins de ces patients participent ainsi à l’optimisation de la prise en charge de leur HTA.
Recherche systématique d’une néphropathie en cas d’HTA
La découverte d’une HTA est un mode de révélation très fréquent des néphropathies, parfois avant le stade d’insuffisance rénale.
Le bilan recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS) lors de la découverte d’une HTA doit donc être systématique. Il comprend le dosage de la créatininémie (avec estimation du débit de filtration glomérulaire [DFG] selon l’équation de Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration [CKD-EPI]) et la recherche d’une protéinurie (quelle que soit la méthode) [
Ces examens, prescrits par le médecin traitant, permettent d’identifier sans délai une maladie rénale pour mettre en place d’emblée un traitement et une surveillance spécifiques, et éviter qu’elle ne soit découverte à un stade tardif. L’orientation vers un néphrologue (
HTA : fréquente et souvent sévère en cas d’IRC
L’HTA est la comorbidité la plus fréquente dans l’IRC : elle concerne 70 à 95 % de ces patients, et sa prévalence augmente avec la baisse du DFG.
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les patients insuffisants rénaux : le contrôle de l’HTA est donc particulièrement important. De nombreux mécanismes physiopathologiques dans l’IRC concourent à l’augmentation de la pression artérielle. La majorité des insuffisants rénaux requièrent donc plusieurs traitements antihypertenseurs pour un contrôle tensionnel satisfaisant.
Spécificités de l’HTA dans l’IRC
Comprendre la physiopathologie de l’HTA dans l’IRC aide à ajuster la prise en charge thérapeutique. Selon le stade de l’IRC et le type de néphropathie, quatre mécanismes prédominent : rétention hydrosodée, activation du système rénine-angiotensine, dysfonction endothéliale et rigidité artérielle, activation du système nerveux sympathique (par ordre général d’importance). L’IRC peut compliquer le choix des médicaments antihypertenseurs en raison de contre-indications liées au bas DFG, de variations fonctionnelles du DFG sous certains traitements ou de troubles hydroélectrolytiques induits (en particulier hyperkaliémie et hyponatrémie).
Le syndrome d’apnées du sommeil est fréquent chez les patients hypertendus avec une IRC, notamment en cas d’HTA résistante. Il doit être évoqué en présence d’éléments compatibles : ronflements, somnolence diurne, obésité, etc. L’utilisation des scores de type Epworth (
Enfin, face à un patient insuffisant rénal ayant une HTA résistante, il convient de rechercher, grâce à un avis néphrologique, une progression de la néphropathie, une sténose d’artère rénale en cas de terrain vasculaire ou de rein unique et une cause d’HTA secondaire surajoutée.
Quelle prise en charge ?
Régime hyposodé, recours adapté aux diurétiques et aux inhibiteurs du système rénine-angiotensine sont les trois piliers de la prise en charge du patient hypertendu avec IRC.
Des objectifs tensionnels plus stricts qu’en population générale ?
Comme en population générale, la cible de pression artérielle à atteindre dans l’IRC n’est pas consensuelle ; les multiples recommandations divergentes à ce sujet sont source de confusion. En synthèse, une pression artérielle systolique (PAS) inférieure à 135 mmHg et une pression artérielle diastolique (PAD) inférieure à 85 mmHg en automesure sont un objectif minimal à atteindre, réaliste et raisonnable, recommandé par la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA) et la HAS en 2016.3
En se fondant sur l’étude SPRINT, plusieurs sociétés savantes ont recommandé des objectifs plus stricts chez les patients avec une IRC, allant jusqu’à une cible de PAS inférieure à 120 mmHg.4,5 Cet objectif intensif, qui semble malheureusement peu réaliste en pratique courante, peut être envisagé chez des patients autonomes et motivés, chez qui le traitement est bien toléré et la surveillance régulière.
Privilégier l’automesure
L’automesure renforce l’implication du patient et optimise les adaptations du traitement en limitant les risques d’inertie thérapeutique et de surdosage.
Dans la mesure du possible, cette modalité de surveillance de la pression artérielle doit donc être favorisée, comme chez tout patient hypertendu ; la mesure au cabinet médical reste essentiellement utile pour le dépistage d’une hypotension orthostatique.
Contrôler la volémie : moins de sel et des diurétiques spécifiques
Pour atteindre la cible tensionnelle, le contrôle de la volémie est essentiel dans l’IRC.
Une restriction sodée (moins de 5 g/j de NaCl) et une adaptation régulière des diurétiques à la clinique sont les préalables d’un contrôle tensionnel adapté dans les stades avancés de la maladie rénale chronique.
Diurétiques préconisés
Les diurétiques de l’anse (furosémide, bumétanide) sont généralement privilégiés dans l’IRC à partir du stade 4 (DFG inférieur à 30 mL/min).
Néanmoins, une étude récente a également démontré l’intérêt de la chlorthalidone, renforçant la place des diurétiques thiazidiques et apparentés (hydrochlorothiazide, indapamide, chlorthalidone) dans cette population.6
Place des diurétiques épargneurs de potassium
Les antagonistes du récepteur minéralocorticoïde (spironolactone, éplérénone, finérénone) sont d’excellents antihypertenseurs. Ils sont recommandés en cas d’HTA résistante à une trithérapie classique (inhibiteur du système rénine-angiotensine + inhibiteur calcique + diurétique thiazidique ou apparenté). Leur utilisation dans l’IRC est cependant souvent limitée par des kaliémies à la limite supérieure de la normale. Ils sont par ailleurs contre-indiqués en cas de DFG inférieur à 30 mL/min.
Un fractionnement des prises, des doses accrues de diurétiques de l’anse et l’association de plusieurs diurétiques doivent ainsi être envisagés en cas d’hypertension artérielle non contrôlée chez ces patients (
Ces mesures se font souvent au prix d’une dégradation modérée, fonctionnelle et réversible du DFG.
inhibiteurs du système rénine-angiotensine : essentiels !
Avec les diurétiques, les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion [IEC] ou antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine 2 [ARA2]) sont l’autre clé de voûte du traitement antihypertenseur dans l’IRC.
Lors de leur instauration ou de leur majoration, une baisse fonctionnelle et réversible du DFG de 10 à 20 % est fréquente ; elle est généralement tolérée en l’absence d’hyperkaliémie. Au stade 5 de la maladie rénale chronique (DFG < 15 mL/min), la poursuite ou l’arrêt des inhibiteurs du système rénine-angiotensine est généralement réévalué par le néphrologue en fonction de la balance bénéfice-risque individuelle du patient (contrôle de la néphropathie, de la pression artérielle et d’une éventuelle cardiopathie associée versus un risque d’hyperkaliémie et de dégradation fonctionnelle accélérée du DFG).
Rôle central du médecin traitant
Le médecin traitant est à l’initiative de l’adaptation du traitement antihypertenseur du patient ayant une insuffisance rénale chronique, en prenant en compte :
– les valeurs de pression artérielle observées en automesure ;
– la présence de signes de surcharge hydrosodée ;
– d’éventuels signes cliniques ou biologiques de mauvaise tolérance.
En seconde intention, le néphrologue est amené à ajuster ou renforcer cette prise en charge, en fonction des spécificités de l’HTA et de la maladie rénale du patient.
Que dire à vos patients ?
Un bon contrôle de la pression artérielle est le meilleur moyen – à l’efficacité démontrée – pour réduire le risque d’événements cardiovasculaires.
Le contrôle de l’HTA repose au moins autant sur l’implication du patient et de son entourage que sur celle des médecins et des soignants.
Une limitation raisonnable de la consommation sodée et une bonne observance des traitements sont indispensables.
Comme pour tout patient hypertendu et dans la mesure du possible, la surveillance de la pression artérielle doit se faire en automesure à domicile et être discutée lors des consultations de suivi.
1. GBD 2015 Risk Factors Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 79 behavioural, environmental, and occupational, and metabolic risks or clusters of risks, 1990-2015: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2015. Lancet 2016;388(10053):1659-724.
2. NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC). Worldwide trends in hypertension prevalence and progress in treatment and control from 1990 to 2019: a pooled analysis of 1201 population-representative studies with 104 million participants. Lancet 2021;398(10304):957-80.
3. HAS. Recommandation de bonne pratique. Prise en charge de l’hypertension artérielle de l’adulte. Octobre 2016.
4. SPRINT Research Group, Wright JT Jr, Williamson JD, et al. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control. N Engl J Med 2015;373(22):2103-16.
5. Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO) Blood Pressure Work Group. KDIGO 2021 Clinical Practice Guideline for the Management of Blood Pressure in Chronic Kidney Disease. Kidney Int 2021;99(3S):S1-S87.
6. Agarwal R, Sinha AD, Cramer AE, et al. Chlorthalidone for Hypertension in Advanced Chronic Kidney Disease. N Engl J Med 2021;385(27):2507-19.