Les patients coronariens sont, par définition, à très haut risque cardiovasculaire. Leurs facteurs de risque, dont l’hypertension artérielle (HTA), doivent être pris en charge de manière optimale, avec des objectifs stricts.
De quoi parle-t-on ?
Hypertension artérielle
L’HTA, premier facteur mondial de morbidité cardiovasculaire et de mortalité, touche environ 30 % de la population adulte dans les pays industrialisés. On estime ainsi que plus de 1 milliard d’individus sont hypertendus dans le monde.
Les recommandations européennes de 20181 et les recommandations françaises établissent plusieurs règles fondamentales :
– l’HTA se définit par une pression artérielle (PA) ≥ 140/90 mmHg en mesure de consultation ;
– le diagnostic d’HTA doit être confirmé par des mesures cliniques répétées lors de différentes visites ou par une mesure hors du cabinet médical (à l’exception de l’HTA sévère, de grade 3) ;
– en automesure, le seuil définissant une HTA est plus bas (PA ≥ 135/85 mmHg) ;
– l’HTA en mesure ambulatoire (MAPA) se définit par une PA ≥ 135/85 mmHg pour la pression artérielle moyenne diurne et une PA ≥ 120/70 mmHg pour la pression artérielle moyenne nocturne.
Il est à noter que les recommandations américaines de 2017 définissent l’HTA par une PA ≥ 130/80 mmHg.
HTA chez le patient coronarien
Parmi les patients coronariens, environ 70 % ont une HTA traitée, dont plus de la moitié ne sont pas contrôlés.2
Il existe une relation causale forte entre le niveau de pression artérielle et la cardiopathie ischémique : une réduction de la pression artérielle systolique de 10 mmHg réduit le risque de cardiopathie ischémique d’environ 15 %.
Prise en charge
Aux mesures comportementales doivent être associés le traitement pharmacologique propre au patient à risque cardiovasculaire très élevé et un traitement antihypertenseur.
Mesures comportementales
Tous les patients coronariens, et a fortiori tous les coronariens hypertendus, doivent se voir proposer et expliquer des mesures hygiénodiététiques (
Traitement pharmacologique
L’introduction d’un traitement antihypertenseur est recommandée chez tous les patients hypertendus (PA ≥ 140/90 mmHg en mesure de consultation). Par ailleurs, les recommandations européennes suggèrent de discuter un traitement pharmacologique en prévention secondaire chez les patients ayant une pression artérielle normale-haute (PA comprise dans les intervalles suivants : 130-139 et 85-89 mmHg) et un risque cardiovasculaire très élevé, donc notamment pour les patients coronariens.1
Traitement pour tout patient coronarien, hypertendu ou non
Certains médicaments antihypertenseurs ont des indications cardiologiques et sont parfois prescrits aux patients coronariens, qu’ils soient hypertendus ou non.
Les bêtabloquants sont indiqués en cas de dysfonction ventriculaire gauche (VG), et dans les suites d’un infarctus du myocarde (IDM). Ils semblent en effet améliorer le pronostic pendant l’année qui suit l’événement, notamment grâce à leurs propriétés antiarythmiques. Plusieurs analyses post hoc d’essais randomisés et des données de larges registres suggèrent qu’ils n’apporteraient pas de bénéfices cliniques au-delà d’un an après un IDM, en l’absence de dysfonction VG. Les bêtabloquants et inhibiteurs calciques font partie des classes de médicaments antiangineux dans le syndrome coronarien chronique.
Chez les insuffisants cardiaques à fraction d’éjection altérée, les inhibiteurs du système rénine-angiotensine (SRA) – inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) – sont indiqués en première intention pour diminuer le remodelage ventriculaire gauche ; les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2) sont prescrits en deuxième intention. De même, la spironolactone (antagoniste du récepteur minéralocorticoïde) ainsi que l’association sacubitril-valsartan sont indiqués dans ce contexte.
Traitement pharmacologique de l’HTA chez le coronarien
La prise en charge pharmacologique de l’HTA chez le patient coronarien peut être résumée sous la forme d’un algorithme (
Les classes thérapeutiques recommandées en première intention chez un patient coronarien hypertendu sont au nombre de quatre, dont trois sont à privilégier :
– inhibiteurs du SRA (IEC ou ARA2), particulièrement chez les patients diabétiques ou ayant une dysfonction VG ;
– bêtabloquants, particulièrement après un IDM, en cas de dysfonction du VG et en cas d’ischémie résiduelle ou d’angor ;
– inhibiteurs calciques, particulièrement en cas de symptômes angineux ;
– diurétiques thiazidiques, plutôt au sein de bithérapies en l’absence d’indication spécifique à deux des autres classes.
Les recommandations européennes préconisent une bithérapie d’emblée (sous forme d’association fixe), tandis que les recommandations françaises plaident en faveur d’une monothérapie initiale.
Si l’HTA n’est pas contrôlée sous bithérapie, il faut majorer progressivement le traitement par combinaison et majoration des posologies des quatre classes sus-citées, jusqu’à l’obtention de la cible tensionnelle optimale. L’association d’un IEC avec un ARA2 est contre-indiquée. Les inhibiteurs calciques dihydropyridines sont un bon traitement antiangineux en association avec les bêtabloquants ; en revanche, l’association d’un inhibiteur calcique non dihydropyridinique (diltiazem ou vérapamil) avec un bêtabloquant est à éviter, du fait de risque de bradycardie sévère.
La spironolactone est souvent un traitement de cinquième ligne, en cas d’HTA résistante (sauf insuffisance cardiaque), alors qu’elle intervient plutôt en quatrième ligne dans le cas général.
Ni les inhibiteurs calciques non dihydropyridines ni les antihypertenseurs centraux ne doivent être utilisés chez les patients coronariens ayant une dysfonction systolique du VG.
En cas d’HTA résistant à une trithérapie incluant un diurétique, il faut évoquer une HTA secondaire.3
Objectifs tensionnels
Que disent les essais randomisés ?
La cohorte ACCORD (2010)4 a regroupé 4 733 patients hypertendus diabétiques (dont 34 % coronariens) randomisés pour un traitement intensif (PAS < 120 mmHg) ou standard (PAS < 140 mmHg). Le suivi moyen a été de 4,7 ans. Aucune différence significative n’a été observée sur le critère primaire composite (mortalité cardiovasculaire, accident vasculaire cérébral [AVC] ou IDM) dans le bras intensif versus le bras standard (HR = 0,88 ; IC à 95% : 0,73-1,06) mais davantage d’effets indésirables (troubles hydroélectrolytiques, insuffisance rénale aiguë). En revanche, une diminution des AVC a été constatée (HR = 0,59 ; IC à 95% : 0,39-0,89).
L’étude SPRINT (2015)5 a porté sur 9 361 patients hypertendus non diabétiques de plus de 50 ans à haut risque cardiovasculaire (dont 17 % coronariens), randomisés pour un traitement intensif (PAS < 120 mmHg) ou standard (PAS < 140 mmHg). L’étude a été interrompue prématurément après un suivi médian de 3,3 ans. Une différence significative a été constatée sur le critère primaire composite de mortalité cardiovasculaire et événements cardiovasculaires (IDM ou autre syndrome coronaire aigu, AVC, insuffisance cardiaque) avec un HR à 0,75 (IC à 95% : 0,64-0,89), ainsi qu’une diminution de 27 % de la mortalité.
L’essai STEP (2021)6 a inclus 8 511 patients chinois (6 % coronariens) de 60 à 80 ans, randomisés pour un traitement intensif (PAS entre 110 et 130 mmHg) ou standard (PAS entre 130 et 150 mmHg). Le suivi médian a été de 3,3 ans. Pour un critère primaire composite de mortalité cardiovasculaire et d’événements cardiovasculaires (AVC, événements coronariens, insuffisance cardiaque et fibrillation atriale), le bénéfice était nettement en faveur du traitement intensif (HR = 0,74 ; IC à 95% : 0,60-0,92), sans augmentation significative des effets indésirables (hormis les hypotensions).
Aucune étude randomisée de cible tensionnelle n’a été spécifiquement effectuée à ce jour dans une population de coronariens.
Controverse de la courbe en J
Plusieurs études observationnelles ont montré que la relation entre les événements cardiovasculaires (dont la mortalité) et la PA suit une courbe en J ; et ce, particulièrement chez les patients à haut risque cardiovasculaire (CV), notamment les coronariens. Ainsi dans le registre CLARIFY,2 parmi 22 672 patients coronariens stables traités pour HTA, un risque accru de mortalité et d’événements CV a été mis en évidence lorsque la PAS était inférieure à 120 mmHg, et ce phénomène était plus marqué encore pour les PAD basses (< 70 mmHg).
Un lien causal entre PA basse (notamment diastolique) et augmentation des événements CV est plausible : une PAD basse peut compromettre la perfusion myocardique, en particulier chez les patients coronariens qui ont une capacité d’autorégulation altérée.
Cependant, ces études doivent être interprétées avec prudence. Une hypothèse alternative est qu’une santé globalement fragile serait la cause d’une PA basse et expliquerait le surrisque constaté chez ces patients (causalité inverse).
Malgré tout, ces considérations ont conduit les sociétés européennes d’hypertension et de cardiologie à introduire la notion de lower safety boundaries dans leurs dernières recommandations sur l’HTA de 2018.1 Ces limites inférieures sont les valeurs en dessous desquelles il faut éviter d’abaisser la PA au risque d’être délétère ; elles sont fixées à 120 mmHg pour la PAS et 70 mmHg pour la PAD.
Notons que chez les coronariens, qui ont une rigidité vasculaire élevée, il faut bien souvent tolérer une PAD inférieure à la valeur optimale recommandée pour respecter une PAS < 140 mmHg (a fortiori 130 mmHg).
En pratique, des cibles ajustées
L’objectif principal est de baisser la PA en deçà de 140/90 mmHg chez tous les patients coronariens. Chez la plupart d’entre eux, il faut même viser une PA inférieure à 130/80 mmHg, si le traitement est bien toléré. La PAS doit cependant rester supérieure ou égale à 120 mmHg. Chez les patients de plus de 65 ans, la PAS cible se situe entre 130 et 140 mmHg.
Favoriser l’observance
Pour mieux accepter la prise en charge, le patient doit en être acteur : éducation aux risques de l’HTA et aux mesures hygiénodiététiques, mais aussi automesures tensionnelles, tant pour poser le diagnostic que pour équilibrer le traitement (la MAPA est une alternative).
Si possible, les associations fixes (bithérapie en 1 seul comprimé, par exemple) et les médicaments de longue durée d’action sont choisis, afin de diminuer le nombre de comprimés quotidiens.
Enfin, l’observance thérapeutique doit être évaluée à chaque consultation, surtout en cas d’HTA apparaissant résistante au traitement.
1. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Eur Heart J 2018;39(33):3021-104.
2. Vidal-Petiot E, Ford I, Greenlaw N, et al. Cardiovascular event rates and mortality according to achieved systolic and diastolic blood pressure in patients with stable coronary artery disease: an international cohort study. Lancet 2016;388(10056):2142-52.
3. Cornu E, de Fréminville JB. Hypertension artérielle secondaire. Rev Prat Med Gen 2021;35(1060):396-8.
4. ACCORD Study Group, Cushman WC, Evans GW, et al. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010;362(17):1575-85.
5. SPRINT Research Group, Wright JT, Williamson JD, et al. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood- Pressure Control. N Engl J Med 2015;373(22):2103-16.
6. Zhang W, Zhang S, Deng Y, et al. Trial of Intensive Blood-Pressure Control in Older Patients with Hypertension. N Engl J Med 2021;385(14):1268-79.