L’arrêté du 10 juillet 2020 pris à la sortie de l’état d’urgence sanitaire signe le retour au droit commun antérieur en matière de prescription d’hydroxychloroquine.

Dans un avis paru le 24 mai 2020, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) indique avoir réexaminé le positionnement de l’hydroxychloroquine dans la prise en charge du Covid-19 après analyse des recommandations internationales, des publications sur le sujet, dont l’article du Lancet du 22 mai 2020 et des rapports des centres régionaux de pharmacovigilance et conclut à l’absence d’étude clinique suffisamment robuste démontrant l’efficacité de l’hydroxychloroquine quelle que soit la gravité de l’état d’un patient atteint par le Covid-19.
Dans ces conditions, ses recommandations dans le traitement du Covid-19 sont les suivantes :
– ne pas utiliser l’hydroxychloroquine (seule ou associée à un macrolide) ;
– évaluer le rapport bénéfice-risque de son utilisation dans les essais thérapeutiques ;
– renforcer la régulation nationale et internationale des différents essais évaluant l’hydroxychloroquine.
À la suite de ces recommandations du HCSP, les conditions dérogatoires de prescription de l’hydro­xychloroquine ont été abrogées (on peut dès lors s’interroger sur le point de savoir si cette molécule peut encore être prescrite pour traiter un patient atteint de Covid-19 [v. infra]).
Auparavant, il est nécessaire d’effectuer un rappel des règles existantes en matière de prescription, puis une analyse du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 complété par celui du 26 mars 2020 qui a autorisé la prescription de l’hydroxychloroquine pour le traitement des personnes atteintes par le Covid-19, mesures reprises à l’article 19 du décret du 11 mai 2020 n° 2020-548, pour comprendre notamment dans quelles conditions l’hydroxychloroquine, bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de certaines pathologies dont le Covid-19 ne fait pas partie, a pu faire l’objet d’une prescription avant l’abrogation de ces dispositions par le décret précité du 26 mai 2020 (v. infra).

Liberté de prescrire en tenant compte des données acquises de la science

L’article R.4127-8 du code de la santé publique dispose que : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la ­circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses pres­criptions et ses actes à ce qui est ­nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »
La liberté de prescription est un principe fondamental qui est un corollaire de l’indépendance professionnelle du médecin. Mais cette liberté est limitée par certaines restrictions d’ordre ­médical. Le médecin doit ainsi :
– prendre en compte les données acquises de la science lors de la prescription (article R.4127-8 du code de la santé publique) ;
– informer le public uniquement sur des données confirmées (article R.4127-13 du code de la santé publi­que) ;
– ne pas divulguer un nouveau procédé thérapeutique insuffisamment éprouvé (article R.4127-14 du code de la santé publique) ;
– ne pas proposer aux malades un ­remède ou un procédé « illusoire ou insuffisamment éprouvé » (article R.4127-39 du code de la santé publi­que) ;
– veiller à la qualité des soins en s’engageant à dispenser personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données ­acquises de la science (article R.4127-32 du code de la santé publique) ;
– s’interdire de faire courir à ses ­patients un risque injustifié (article R.4127-40 du code de la santé publique).
L’article L.1110-5 du code de la santé publique prévoit, quant à lui, que le patient dispose du « droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées ».
En principe, le médecin doit prescrire un médicament qui a préalablement fait l’objet d’une AMM (article L.5121-8 du code de la santé publique).
Il est toutefois possible de prescrire une spécialité pharmaceutique hors AMM en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, sous réserve qu’une recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sécurise l’utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d’utilisation (article L.5121-12-1 du code de la santé publique).
En l’absence d’une telle recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son AMM que dans certaines conditions cumulatives énumérées à ­l’article L.5121-12-1 du code précité :
– il ne doit pas exister d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une AMM ou d’une ATU ;
– le prescripteur doit juger indis­pensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient ;
– le médecin doit informer le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son AMM, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament ;
– le praticien doit indiquer sur l’ordonnance la mention « Prescription hors AMM » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation ».
Dans le contexte sanitaire actuel, la question a été posée du cadre juridique dans lequel un traitement ­Covid-19 avec prescription d’hydro­xychloroquine pourrait s’inscrire. Les décrets n° 2020-314 et 2020-337 des 25 et 26 mars 2020 ont encadré temporairement une telle prescription en l’autorisant exclusivement dans le cadre d’une prise en charge d’un patient, au sein d’un établissement de santé, dont l’état présentait des signes de gravité, et ce encore après décision collégiale. Cependant, les mesures de ces deux décrets reprises à l’article 19 du décret du 11 mai 2020 n° 2020-548 ne semblaient pas neutraliser l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique, puisque le décret n° 2020-314 visait une autori­sation dérogatoire non pas à cette disposition mais à l’article L.5121-8 du code de la santé publique, laissant l’opportunité au médecin exerçant dans un établissement de santé la possibilité de s’en prévaloir pour prescrire ce traitement.

Retour sur les dispositions dérogatoires de prescription de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19

L’article L.3131-15 9° du code de la santé publique issu de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 n° 2020 du 23 mars 2020 ­dispose que le Premier ministre peut, par décret, « prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire » aux seules fins de garantir la santé publique.
C’est dans ce contexte sanitaire particulier qu’il était précisé par décret du 25 mars 2020 n° 2020-314 (article 1) en complément du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (dispositions reprises à l’article 19 du décret du 11 mai 2020 n° 2020-548) prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de ­Covid-19, dans le cadre de l’état ­d’urgence sanitaire, les conditions de prescription de l’hydroxychlo­roquine, que :
« Par dérogation à l’article L.5121-8 du code de la santé publique, l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir-ritonavir peuvent être prescrites, dispensées et administrées sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur ­autorisation du prescripteur initial, à domicile.
Les médicaments mentionnés au premier alinéa sont fournis, achetés, utilisés et pris en charge par les établissements de santé conformément à l’article L.5123-2 du code de la santé publique.
Ils sont vendus au public et au détail par les pharmacies à usage intérieur, autorisés et pris en charge conformément aux dispositions du deuxième alinéa à l’article L.162-17 du code de la Sécurité sociale. Le cas échéant, ces dispensations donnent lieu à remboursement ou prise en charge dans ce cadre sans participation de l’assuré en application des dispositions de l’article R.160-8 du même code. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est chargée, pour ces médicaments, d’élaborer un protocole d’utilisation thérapeutique à l’attention des professionnels de santé et d’établir les modalités d’une information adaptée à l’attention des patients.
[…]
La spécialité pharmaceutique Plaquenil© et les préparations à base d’hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d’officine que dans le cadre d’une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhuma­tologie, médecine interne, derma­tologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. […] ».
Un second décret est venu compléter ce texte, le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020, lequel encadrait plus strictement la prescription d’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir-ritonavir : « Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe. […] »
L’article 1er de ce décret insérait également après le mot « Plaquenil » la précision suivante : « dans le respect des indications de son AMM », excluant ainsi toute possibilité de prescrire ce traitement en dehors d’une prise en charge des patients atteints par le Covid-19 au sein des établissements de santé. Les médecins de ville ne pouvaient donc pas prescrire une telle spécialité pharmaceutique en dehors des indications de son AMM.
Les dispositions de ces deux décrets (qui ont été reprises par la suite à l’article 19 du décret du 11 mai n° 2020-548) interrogeaient car ils précisaient que les règles édictées dérogeaient à l’article L.5121-8 du code de la santé publique imposant une AMM avant toute mise sur le marché.
Or l’hydroxychloroquine commercialisée sous le nom de Plaquenil dispose déjà d’une AMM pour traiter les maladies articulaires d’origine inflammatoire comme la poly­arthrite rhumatoïde, ou d’autres affections telles que le lupus ou en prévention des lucites. En revanche, il ne dispose pas d’AMM pour le traitement du Covid-19.
Pour quelle raison l’article L.5121-8 a été visé et non pas l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique, ce qui aurait été plus logique pour encadrer strictement la prescription d’hydroxychloroquine ? Ce d’autant que le décret n° 2020-314 chargeait l’ANSM d’élaborer un protocole d’utilisation thérapeutique à l’attention des professionnels de santé et d’établir les modalités d’une information adaptée à l’attention des patients similaire à la recommandation temporaire d’utilisation visée dans l’article précité. Pour faire échec à la possibilité de prescrire hors AMM (prévue à l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique), il aurait fallu que le décret mentionne la précision : « par dérogation à l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique » plutôt que de viser l’article L.5121-8. S’agissait-il d’une confusion des deux textes ou d’une imprécision volontaire permettant au médecin exerçant en établissement de santé de disposer d’un fondement juridique (l’article L.5121-12-1 du code de la santé publique) en cas de prescription d’un traitement à base ­d’hydroxychloroquine ? En l’état actuel, il est difficile de connaître les véritables motivations de cette formulation de l’article L.5121-8 du code de la santé publique.
Le décret n° 2020-337 en complément du décret n° 2020-314 rappelait que ces prescriptions devaient intervenir « dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique ».
Dans ses recommandations, le HCSP indiquait, à cette époque, qu’en présence de signes de gravité, il pouvait être envisagé une « utilisation dans ce contexte d’une molécule à effet ­antiviral attendu (association fixe lopinavir-ritonavir, voire le remdé­sivir dans les cas les plus sévères) ou, à défaut de l’hydroxychloroquine ». Il rappelait que tout prescripteur devait prendre en compte l’état très limité des connaissances actuelles et être conscient de l’engagement de sa responsabilité lors de la prescription de médicaments dans des indications hors AMM, en dehors du cadre d’essais cliniques. Si une prescription était faite, elle devait faire l’objet d’une information claire, loyale et appropriée auprès des ­patients, la décision étant prise ­collégialement.

Abrogation des dispositions dérogatoires de prescription de l’hydroxychloroquine

Le Premier ministre avait, à la suite de l’avis du HCSP du 24 mai 2020 cité supra, abrogé par décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 l’article 19 du décret du 11 mai n° 2020-548 reprenant les dispositions dérogatoires de prescription de l’hydroxychloroquine prévues par les décrets n° 2020-314 du 25 mars 2020 et n° 2020-337 du 26 mars 2020.
L’arrêté du 26 mai 2020 du ministre des Solidarités et de la Santé rappelait que : « Considérant qu’eu égard aux dernières données scientifiques concernant les risques qui s’atta­chent à l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans la prise en charge des patients atteints du Covid-19 il y a lieu de réserver, d’une part, la ­spécialité Plaquenil aux seules indications de son autorisation de mise sur le marché et, d’autre part, les préparations à base d’hydroxychloroquine aux prescriptions initiales émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine ­interne, dermatologie, néphrologie ou pédiatrie et aux renouvellements de prescriptions », et complétait l’arrêté du 23 mars 2020 par les deux articles 6-1 et 6-2. La rédaction de ce dernier article était la suivante : « La spécialité pharmaceutique Plaquenil©, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d’hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d’officine que dans le cadre d’une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en ­rhumatologie, médecine interne, ­dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d’un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. »
Ces dispositions étaient donc identiques à une partie de l’article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020.
À la suite de l’abrogation de ces dispositions, les conditions de prescription dérogatoires de l’hydroxychloroquine avaient disparu, excepté cette règle concernant la dispensation de Plaquenil et des préparations à base d’hydroxychloroquine dans les pharmacies d’officine. Cela signifiait que si un médecin libéral prescrivait du Plaquenil, les pharmacies d’officine ne pouvaient pas en délivrer au patient hors de son autorisation de mise sur le marché ou en dehors du renouvellement d’une prescription existante. De fait, cette disposition restreignait l’intérêt d’une prescription de Plaquenil par les médecins de ville.
Concernant les médecins prenant en charge les patients atteints par le Covid-19 dans les établissements de santé, il n’existait plus de disposition particulière afférentes à la prescription de l’hydroxychloroquine. L’abrogation des dispositions dérogatoires de prescription ne correspondaient donc pas littéralement à une interdiction de prescription d’hydroxychloroquine comme cela a pu être dit mais dans une certaine mesure à un retour au droit préexistant au décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 complété par celui du 26 mars 2020.
La dernière nouveauté en matière de prescription d’hydroxychloroquine est intervenue cet été ce qui explique qu’elle soit passée relativement inaperçue. L’article 6-2 de l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire a été abrogé par l’article 36 de l’arrêté du 10 juillet 2020.
Cette suppression de l’article 6-2 de l’arrêté du 23 mars 2020 signe donc un retour au droit commun antérieur. Comme expliqué, il existe toujours pour le praticien la possibilité de prescrire hors AMM, sur la base de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, s’il estime que cette spécialité est indispensable, au regard des données acquises de la science, pour soigner son patient. Compte-tenu des études, notamment après l’article du Lancet, même très contesté, tout l’enjeu reposera, en cas de poursuites, sur l’appréciation juridique de la notion de « données acquises de la science » dont fait état l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique mais pour laquelle aucune définition précise n’a été donnée, laissant présager prochainement du surgissement de débats passionnés sur ce sujet.