L’hypertension artérielle est l’un des premiers facteurs actuels de mortalité dans le monde et concerne plus de 30 % des adultes. Bien menée, sa prise en charge est efficace. Néanmoins, le dépistage fait défaut (un Français hypertendu sur deux ignore qu’il l’est) et l’observance au long cours est souvent aléatoire. Il s’agit donc d’impliquer davantage le patient dans le parcours de soins,dès le repérage.

L’hypertension artérielle (HTA), marqueur et facteur de risque cardiovasculaire, est définie comme une pression artérielle trop élevée. Elle peut être essentielle (ou « primaire ») ou secondaire (de causes diverses : rénale, vasculaire, endocrinienne, médicamenteuse, toxique). Environ 90 % des hypertensions artérielles sont essentielles. Si l’on se fonde sur la définition européenne, la prévalence mondiale de l’HTA est estimée à 30 %, voire 40 %, chez les adultes. Cette prévalence augmente avec l’âge et dépasse 60 % pour les plus de 60 ans. Cela place l’HTA comme un des premiers facteurs actuels de mortalité dans le monde entier : le nombre de décès liés à ce fléau est estimé autour de 10 millions par an.
La prévalence de l’HTA augmente dans tous les pays en raison du vieillissement des populations et des modifications du mode de vie. En effet, l’HTA essentielle, la plus fréquente, est liée à des facteurs génétiques et aux modes de vie : consommation excessive de sel et d’alcool, surpoids et sédentarité en sont les principales causes. Par ailleurs, le dépistage de l’HTA, bien souvent asymptomatique (le « tueur silencieux »), reste très insuffisant. En France, un hypertendu sur deux s’ignore, et le pourcentage de patients dont la pression artérielle est normalisée n’est que d’environ 50 % (étude ESTEBAN).1 Le dépistage et la prise en charge de l’HTA – l’une des mesures les plus efficaces en matière de prévention cardiovasculaire – restent donc insuffisantes, malgré des recours théra­peutiques fiables et efficaces.

HTA : facteur de risque cardiovasculaire à diagnostiquer et évaluer

Le seuil permettant de définir l’HTA a évolué au gré des résultats de différentes études thérapeutiques. Il correspond au niveau de pression artérielle à partir duquel le traitement antihypertenseur réduit significativement l’incidence des complications cardiovasculaires. Les recommandations européennes fixent aujourd’hui ce seuil à 140/90 mmHg pour la pression artérielle de consultation.2 À noter qu’il a été récemment abaissé à 130/80 mmHg dans les recommandations américaines3 après la publication de l’étude SPRINT.4

L’automesure, pour un diagnostic plus fiable

La mesure de la pression artérielle est, par définition, le temps primordial du diagnostic de l’HTA. Plus d’un siècle après la mise au point de l’appareil de Riva-Rocci (brassard relié à une colonne de mercure permettant la mesure de la pression artérielle systolique sur l’apparition du pouls radial lors du dégonflement), la mesure de la pression artérielle a connu une (r)évolution avec la disparition de la colonne de mercure et l’apparition de la mesure automatique (fondée le plus souvent sur la technique oscillométrique plutôt que sur la méthode auscultatoire). Cette méthode actuelle permet de mesurer la pression artérielle moyenne, et les pressions artérielles systolique et diastolique sont estimées à partir d’algorithmes propres à chaque constructeur.
La mesure de consultation (tableau 1), entachée de nombreux biais et en particulier de l’effet « blouse blanche », a maintenant quasiment perdu son rôle dans le diagnostic de l’HTA. Elle reste cependant indispensable dans le dépistage de cette dernière, ainsi que dans la recherche d’hypotension orthostatique. Ce sont les mesures en dehors de la présence du médecin qui sont aujourd’hui nécessaires à l’établissement du diagnostic : automesure ou mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA). L’automesure a l’avantage de faire participer le patient à sa prise en charge dès le diagnostic et est certainement la meilleure façon pour lui de suivre les effets du traitement. Cependant, elle nécessite une formation du patient et son adhésion stricte au protocole de mesure.
La MAPA est désormais la méthode de référence et doit être privilégiée lorsqu’elle est possible dès le diag­nostic car elle permet de mesurer la pression artérielle nocturne. En effet, la pression artérielle diurne est sans doute trop dépendante des variations d’activité du patient. Contrairement à d’autres pays (Royaume-Uni, Espagne, Italie, etc.), l’automesure reste encore trop peu répandue en France où elle n’est pas remboursée. La mesure automatique a donc des avantages mais elle a aussi des limites : la technique oscillométrique n’est pas toujours très précise en cas d’anomalies du rythme cardiaque et la mesure doit être faite avec un appareil validé et fiable. Or la majorité des appareils actuellement vendus n’a fait l’objet d’aucune validation clinique appropriée. Les appareils correctement validés sont habituellement plus chers, et cela peut être un frein important à l’équipement des patients puisqu’ils ne sont le plus souvent pas pris en charge par les systèmes de santé. Malgré ces limites, la pratique de l’automesure doit être promue auprès des patients, et le médecin doit guider le choix d’un appareil de bras plutôt que de poignet, prêter éventuellement un appareil au moment du diagnostic, former le patient à un protocole de mesure standardisé, choisir une autre méthode de mesure chez les patients en incapacité de suivre le protocole, et interpréter lui-même les résultats pour adapter le traitement en conséquence. Car « automesure » ne signifie évidemment pas « automédication » et il faut absolument éviter les prescriptions de médicaments à prendre si la pression artérielle dépasse tel ou tel seuil. Cette anticipation évite d’induire l’anxiété du patient et une possible automédication qui risquerait de provoquer des baisses brutales et excessives de pression artérielle. La MAPA doit être privilégiée au moment du diagnostic d’HTA et en cas de symptômes associés. Elle paraît encore plus nécessaire chez les patients très anxieux et chez les sujets âgés dont la pression artérielle peut être très variable. À noter que les seuils d’HTA varient en fonction de la méthode de mesure (tableau 2).

Évaluer le retentissement et éliminer une HTA secondaire

L’interrogatoire recherche des facteurs de risque d’HTA : antécédents familiaux et personnels, habitudes de vie (consommations de sel, d’alcool, de réglisse, activité physique) et prise de médicaments (contraception œstroprogestative, corticoïdes, anti-inflammatoires, vasoconstricteurs).
Après la recherche des symptômes, outre la mesure tensionnelle et la prise des autres constantes, l’examen clinique comprend une auscultation cardiaque, la vérification des pouls et de l’absence de souffles vasculaires.
Les examens complémentaires permettent de rechercher le retentissement de l’hypertension et les facteurs de risque cardiovasculaires associés. Ils peuvent également révéler une HTA secondaire (tableau 3). Plus rare que l’hypertension essentielle, celle-ci a des causes diverses : rénale, vasculaire, endocrinienne, médicamenteuse, toxique (tableau 4). Sa prévalence est faible (autour de 10 % des hypertensions artérielles) mais elle est en général plus péjorative et touche habituellement des sujets plus jeunes. Il est impossible de réaliser un bilan exhaustif d’HTA secondaire chez tous les patients hypertendus. Il s’agit donc de cibler cette recherche en fonction des éléments de contexte : âge jeune, symptômes évocateurs, hyper­tension résistante, atteinte des organes cibles, anomalies du bilan biologique (tableau 4). En particulier, une HTA chez une femme jeune (moins de 40 ans) est rare, plus souvent secondaire, et peut avoir des conséquences dramatiques en cas de grossesse (première cause de morbi-mortalité pour la mère et l’enfant).

Quels sont les risques de l’HTA ?

L’HTA induit des modifications sur les organes cibles (artères, cœur, cerveau et reins) souvent silencieuses pendant plusieurs années avant la survenue de complications (tableau 5). La recherche des atteintes précliniques suscite de plus en plus d’intérêt. Elles sont le témoin objectif de la sévérité de l’HTA, et leur découverte place le patient dans une population à risque cardiovasculaire élevé. Leur mise en évidence peut être un moyen de sensibiliser le patient asymptomatique à l’importance du traitement. Cependant, cette recherche d’atteintes précliniques a un coût et, à ce jour, aucune étude (dont la méthodologie serait bien complexe) ne démontre qu’elle améliore la prise en charge des patients hypertendus. L’atteinte la plus couramment recherchée est l’hypertrophie ventriculaire gauche (tableau 6), qui traduit la sévérité de l’HTA et majore le risque cardiovasculaire. Elle est réversible sous traitement, mais il est inutile de répéter l’échocardiographie pour montrer une amélioration car elle n’est pas assez sensible ni reproductible. En pratique, le dépistage de l’hypertrophie ventriculaire gauche est très souvent réalisé par les cardiologues.

Une prise en charge globale et individualisée

Nous disposons de traitements efficaces et le plus souvent bien tolérés, permettant une réduction importante de la morbi-mortalité cardiovasculaire. Or la pression artérielle n’est normalisée que pour environ 50 % des patients (étude ESTEBAN.)1 Motivation du médecin et implication du patient sont les deux clés essentielles d’une prise en charge optimisée.

Les mesures hygiénodiététiques gardent-elles une place ?

Les mesures hygiénodiététiques restent essentielles et peuvent parfois être suffisantes dans les hypertensions artérielles légères ou modérées, notamment lorsque la marge d’amélioration est importante et que le patient est prêt à modifier son comportement. Réduction de sel et alcool, augmentation des apports en potassium par le biais de fruits et légumes, perte de poids, activité physique régulière permettent parfois de normaliser la pression artérielle. Si les effets ne sont pas suffisants à trois mois, il faut débuter un traitement. Chez les patients à haut risque cardiovasculaire, le traitement est débuté d’emblée et en parallèle des mesures contre les autres facteurs de risque (tabac, cholestérol, diabète). L’HTA est en effet un facteur aggravant de l’hypercholestérolémie et du diabète.

Une bithérapie de première intention

Les trois classes thérapeutiques aujourd’hui recommandées en première intention sont les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), les inhibiteurs calciques (ICa) et les diurétiques thiazidiques. Les antagonistes de l’angiotensine II (ARA II) sont une alternative aux IEC lorsqu’ils sont mal tolérés (toux) et en cas d’antécédents d’asthme ou de bronchite chronique.
Il est aujourd’hui recommandé de débuter par une association fixe (IEC + diurétiques ou IEC + ICa) sous forme d’un seul comprimé pour obtenir plus rapidement une normalisation de la pression artérielle. Chez les sujets âgés ou fragiles, il reste préférable de débuter par une monothérapie.
Si la pression artérielle n’est pas normalisée après un mois, les recommandations préconisent une trithérapie.
Pour une meilleure tolérance, le diurétique thiazidique est prescrit le matin et l’IEC (ou ARA II) le soir. L’ICa peut être associé soit au diurétique le matin, soit à l’IEC le soir. Idéalement, l’efficacité doit être appréciée par automesure. Cela permet de diminuer l’inertie thérapeutique du médecin et d’améliorer l’observance du patient, qui sont les deux obstacles principaux à l’efficacité du traitement : le potentiel « effet blouse blanche », la crainte d’une mauvaise tolérance ou d’une mauvaise adhésion du patient et parfois le manque de temps en consultation peuvent être responsables d’une inertie thérapeutique ; connaître les objectifs de pression artérielle en automesure permet au patient de comprendre, voire de solliciter, une modification de traitement, avec un effet positif sur l’observance (tableau 7).

Et les autres médicaments antihypertenseurs ?

Les bêtabloquants ont longtemps été l’un des traitements de première intention de l’HTA, en particulier chez le sujet jeune. Ils sont aujourd’hui beaucoup moins utilisés : moindre efficacité, tolérance aléatoire, risques de prise de poids et de développement d’un diabète. Ce sont surtout les bêtabloquants non sélectifs qu’il faut éviter. Les bêtabloquants sélectifs restent possibles (en cas de migraine, coronaropathie, insuffisance cardiaque, troubles du rythme) et peuvent compléter le traitement en cas de mauvaise tolérance d’une autre classe. Ils gardent aussi une place dans le traitement de l’HTA chez les femmes enceintes (le labétalol, en particulier).
Les alphabloquants (prazosine, urapidil) peuvent être prescrits dans les hypertensions artérielles très résistantes, mais ils exposent à un risque d’hypotension orthostatique majoré. Il faut d’ailleurs être vigilant vis-à-vis des interactions médicamenteuses lorsque d’autres alphabloquants sont prescrits pour le traitement d’un adénome prostatique.
Les antagonistes de l’aldostérone (spironolactone, éplérénone) sont plutôt réservés aux hypertensions artérielles résistantes et aux hyperaldostéronismes.
Enfin, les antihypertenseurs centraux sont peu efficaces (tableau 7).

Jusqu’où faire baisser la pression artérielle ?

La pression artérielle idéale se situe sans doute autour de 110-120/80 mmHg. L’étude SPRINT4 confirme qu’il s’agit d’un objectif atteignable et souhaitable chez beaucoup de patients mais probablement pas chez tous : le patient diabétique et le sujet très âgé font exception. L’étude ACCORD5 conclut en effet en faveur d’une baisse plus modérée de la pression artérielle (pression artérielle systolique entre 130 et 140 mmHg) chez les patients diabétiques. Pour les sujets âgés, les seules études existantes incluent une population valide et sans hypotension orthostatique. Si ces deux conditions sont remplies, les objectifs ne sont sans doute pas très différents de ceux d’une population plus jeune, sous réserve d’une plus grande prudence : initiation par monothérapie et majoration progressive du traitement avec dépistage régulier d’une hypotension orthostatique (demander au patient de faire occasionnellement une automesure supplémentaire en position debout6 et non assise comme pour l’auto­mesure de surveillance habituelle).

Améliorer l’observance par un suivi individualisé

En début de traitement, une consultation mensuelle est nécessaire pour adapter le traitement et juger de sa tolérance. C’est aussi l’occasion de poursuivre l’éducation thérapeutique,7 facteur essentiel de l’adhésion au traitement. Lorsque l’objectif est atteint, les consultations peuvent être espacées tous les trois mois, voire plus, sauf chez les patients les plus fragiles pour qui la fréquence du suivi doit être plus rapprochée.
Chez les sujets âgés, la MAPA peut être indiquée si la pression artérielle est difficile à contrôler ou si le patient décrit des symptômes à type de vertiges, chutes ou fatigue. Les contrôles biologiques (ionogramme sanguin, créatininémie) devront être plus fréquents en cas d’utilisation des diurétiques chez ces patients âgés, surtout s’ils sont associés aux IEC ou ARA II et en particulier pendant l’été (risque de déshydratation). Les diurétiques doivent ainsi être diminués, voire arrêtés, en cas de fortes chaleurs, d’hyponatrémie ou d’augmentation de la créatininémie.
Un nombre important de patients abandonne le traitement dans les deux ans qui suivent son introduction. Chaque consultation doit donc être l’occasion de rappeler l’ensemble des objectifs hygiénodiététiques et thérapeutiques.

Encadre

Que dire à vos patients ?

Il n’est pas simple d’apprendre qu’il faudra probablement prendre des médicaments pour le restant de sa vie. La consultation d’annonce doit être suffisamment longue pour répondre à toutes les questions.

L’HTA augmente les risques cardiovasculaires (et en particulier d’accident vasculaire cérébral) et, hormis quelques rares causes d’HTA secondaires, ne se guérit pas (dans l’état actuel des connaissances).

Mais les traitements efficaces pour prévenir ces risques ont bénéficié d’études nombreuses et de durée longue, et sont en général bien supportés.

Les effets indésirables sont rares et bénins mais possibles, et ils doivent être expliqués (toux sous IEC, œdèmes sous ICa, etc.).

Les mesures hygiénodiététiques sont importantes. Elles peuvent permettre d’alléger le traitement et apportent des bénéfices au-delà de la baisse de pression artérielle.

L’implication des patients dans la prise en charge est indispensable et nécessite une certaine rigueur (observances thérapeutique et hygiénodiététique, surveillance par automesure).

Références

1. Vallée A, Gabet A, Grave C, et al. Patterns of hypertension management in France in 2015: The ESTEBAN survey. J Clin Hypertens 2020;22(4):663-72.
2. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension. Eur Heart J 2018;39(33):3021-104.
3. Whelton PK, Carey RM, Aronow WS, et al. 2017 ACC/AHA/AAPA/ABC/ACPM/AGS/APhA/ASH/ASPC/NMA/PCNA Guideline for the Prevention, Detection, Evaluation, and Management of High Blood Pressure in Adults: Executive Summary: A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Clinical Practice Guidelines. Hypertension 2018;71(6):1269-324.
4. Wright JT, Williamson JD, Whelton PK, et al. A Randomized Trial of Intensive versus Standard Blood-Pressure Control. N Engl J Med 2015;373(22):2103-16.
5. Cushman WC, Evans GW, Byington RP, et al. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010;362(17):1575-85.
6. Cremer A, Rousseau AL, Boulestreau R, et al. Screening for orthostatic hypotension using home blood pressure measurements. J Hypertens 2019;37(5):923-7.
7. Gosse P. Je vis avec une hypertension artérielle. Vanves: Marabout; 2020.

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essentiel

Le diagnostic de l’HTA repose sur des mesures de pression artérielle faites en l’absence du médecin ou du personnel soignant : mesure automatique dans une pièce à part, automesure ou mesure ambulatoire de pression artérielle.

La découverte d’une HTA doit faire rechercher ses causes potentielles et les risques cardiovasculaires associés.

Les mesures hygiénodiététiques restent indispensables, voire suffisantes dans certains contextes.

Traitement et fréquence du suivi sont à adapter en fonction du profil du patient dont l’implication est une des clés pour diminuer le risque de mauvaise observance.