L’hypertension artérielle (HTA) sévère se définit par une mesure de pression artérielle systolique (PAS) > 180 mmHg et/ou une pression artérielle diastolique (PAD) > 110 mmHg. Sa découverte en mesure « de consultation » est fréquente, et elle représente 4,6 % de l’ensemble des passages aux urgences médicales.1 L’HTA sévère recouvre plusieurs tableaux cliniques distincts, dont les prises en charge diffèrent : urgences hyper­tensives, hypertension artérielle sévère chronique et hypertension artérielle « blouse blanche ».

Urgences hypertensives

Ces situations sont rares mais à ne pas rater. Elles sont en effet associées à un mauvais pronostic à court terme en l’absence de prise en charge spécifique.

De quoi s’agit-il ?

Les urgences hypertensives sont définies par deux critères associés :
– une HTA sévère (dite « de grade 3 »), définie par une PA > 180/110 mmHg ; et
– l’atteinte aiguë d’un ou plusieurs organes cibles : accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique, encéphalopathie hypertensive, œdème aigu du poumon, ischémie myocardique, dissection aortique, prééclampsie, voire hypertension artérielle maligne.2
Les urgences hypertensives représentent 25 % de l’ensemble des passages aux urgences avec une HTA de grade 3,3 mais ce chiffre est probablement sous-estimé. Le diagnostic nécessite en effet un bilan des organes cibles, rarement réalisé (dans 3 % des cas selon l’étude la plus péjorative, 10 % des cas dans la meilleure).

Conduite à tenir

Le diagnostic d’urgence hypertensive est posé en cas d’atteinte d’allure aiguë d’un des organes cibles. Devant une HTA sévère, inhabituelle et persistante, pour ne pas manquer une telle urgence, il faut donc réaliser un examen neurologique et cardiologique attentif. Outre ce bilan clinique, des examens complémentaires doivent être réalisés en urgence : ionogramme sanguin, évaluation de la fonction rénale, protéinurie sur échantillon, haptoglobinémie, dosage de la lactate déshydrogénase sérique, électrocardiogramme, fond d’œil. En l’absence de filière ambulatoire rapide disponible pour accéder à ces examens, il faut adresser le patient dans un service d’urgence (fig. 1).3
Le pronostic et la prise en charge dépendent de l’organe touché et du type d’atteinte. Cela relève de recommandations spécifiques à chaque organe (molécule, voie d’abord, cible tensionnelle).

Cas particulier de l’HTA maligne

Cette atteinte rapidement progressive de l’ensemble des microvaisseaux de l’organisme est liée à une élévation tensionnelle qui dépasse les capacités d’autorégulation des différents organes (encadré).
Elle est définie classiquement par une HTA sévère (PA > 180/110 mmHg au minimum, mais le seuil exact est débattu) associée à une rétinopathie hyper­tensive sévère (avec le classique œdème papillaire mais également des exsudats secs, des nodules cotonneux et des hémorragies papillaires). Il a été récemment proposé d’élargir cette définition aux patients ayant une HTA sévère et trois des quatre anomalies associées suivantes : atteinte subaiguë rénale, cardiaque, cérébrale ou microangiopathie thrombotique.4
Le traitement repose sur une hydratation douce et une baisse progressive de la pression artérielle, en l’absence d’atteinte d’organe cible nécessitant un contrôle tensionnel immédiat. L’objectif est de diminuer la pression artérielle moyenne de 25 % dans les six premières heures. Classiquement, le traitement est débuté par voie intraveineuse, et une titration per os est instaurée en parallèle. Certains centres utilisent d’emblée une titration rapidement progressive en inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA II).

HTA sévère chronique (dite de grade 3)

Comment la diagnostiquer ?

Elle est définie, en consultation, par une PA > 180/110 mmHg, confirmée par une mesure ambulatoire (tableau d’automesure tensionnelle standardisé ou holter tensionnel).2
La mesure ambulatoire est la seule à pouvoir confirmer que l’HTA sévère est persistante au domicile, et qu’il ne s’agit pas d’un effet « blouse blanche ».

Prise en charge globale : possible en ambulatoire

L’hypertension artérielle sévère est associée à un mauvais pronostic cardiovasculaire, cérébrovasculaire et rénal. Sa prise en charge thérapeutique doit donc être dynamique pour protéger rapidement le patient. Il est démontré qu’en l’absence d’atteinte aiguë des organes cibles, les patients ont le même pronostic, que la prise en charge ait été ambulatoire « dynamique » ou hospitalière (0,9 % d’événements cardiovasculaires à 6 mois dans les deux situations).6 En parallèle, des mesures hygiéno-diététiques doivent être prises. Une HTA sévère confirmée place le patient d’emblée à haut risque cardiovasculaire, nécessitant une évaluation cardiologique et contrôle du LDL-cholestérol (cible basse < 0,7 g/L).

Bithérapie de première intention

Une classe de médicament à pleine dose abaisse en moyenne la pression artérielle de 10 mmHg. Il faut donc démarrer le traitement par une bithérapie. Actuellement, en France, il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché pour les bithérapies combinées en initiation de traitement. La bithérapie est donc débutée avec des médicaments dissociés.
En l’absence de comorbidité orientant le traitement, on débute par une association d’IEC ou ARA II et inhibiteur calcique (ICA), que l’on peut augmenter à pleine dose le mois suivant si la tolérance est bonne mais l’efficacité insuffisante.
Si besoin, il est possible d’ajouter un diurétique thiazidique (DIU) un mois après, selon les recommandations européennes et internationales récentes (fig. 2).2,7
Hors atteinte aiguë des organes cibles, il n’y a pas d’urgence immédiate à faire baisser la pression artérielle ; cela pourrait même occasionner une complication ischémique. Il faut donc proscrire les traitements à demi-vie très courte (nicardipine, par exemple).

HTA résistante

En cas de pression artérielle non contrôlée malgré une trithérapie optimale à pleine dose (IEC ou ARA II, ICA et DIU), confirmée en ambulatoire, on parle d’hypertension artérielle résistante.
Il faut alors ajouter une quatrième molécule. En l’absence d’insuffisance rénale sévère et d’hyperkaliémie, la spironolactone est utilisée en première intention, et le patient est adressé à un spécialiste, à la recherche d’une HTA secondaire.

Chercher une cause

Au-delà du cas de l’HTA résistante, certaines recommandations proposent de réaliser un bilan étiologique devant toute hypertension d’emblée sévère au diag­nostic.
Le bilan d’HTA secondaire permet de faire le point sur la prise de substance hypertensive, et notamment la consommation sodée du patient (si besoin à l’aide d’une natriurèse des 24 heures). Une amélioration du régime sodé peut en effet abaisser fortement la pression artérielle dans ce contexte.
Par ailleurs, en cas d’HTA sévère chez un patient déjà traité par antihypertenseurs, l’inobservance est la première cause à évoquer.1 Pour améliorer l’observance au traitement, il est important de limiter le nombre de prises quotidiennes et de comprimés. Il est important de retenir que l’on ne devrait jamais prescrire plus de 2 comprimés (contenant jusqu’à 4 molécules) à un patient hypertendu, même en cas d’HTA sévère et résistante, sans l’avis d’un centre expert en hypertension artérielle. Ces centres sont répertoriés sur le site de la Société française d’hypertension artérielle.8 Ils peuvent aider à la prise en charge des cas complexes, fréquemment rencontrés en cas d’HTA sévère : présence d’une insuffisance rénale sévère, association d’hypertension et d’hypotension, inobservance thérapeutique, etc.

HTA « blouse blanche » : un piège !

Il est possible de mesurer en consultation une PA > 180/110 mmHg chez un patient normotendu (ou faiblement hypertendu) en ambulatoire. On parle alors d’« effet blouse blanche ». Cette situation est fréquente. En effet, jusqu’à 25 % des mesures tensionnelles réalisées en cabinet dans les conditions standardisées sont surestimées. La prévalence augmente nettement en cas de mesure « à la volée ».
L’effet « blouse blanche » en lui-même n’a que peu de valeur pronostique péjorative surajoutée. Il risque en revanche d’induire un excès de traitement (et donc un risque accru d’effets indésirables).
Des recommandations européennes de la mesure de la pression artérielle ont été publiées en 2021. Elles proposent d’utiliser la pression artérielle de consultation uniquement comme outil de dépistage de l’hypertension artérielle et de l’hypo­tension orthostatique et comme outil de suivi des patients hypertendus contrôlés. Si la pression artérielle est anormale en consultation, une mesure ambulatoire est nécessaire.9
Dans le cas particulier de l’HTA sévère de consultation, sans signe d’atteinte des organes cibles, il est proposé d’introduire un traitement d’emblée avant une confirmation ambulatoire rapide (dans la semaine), pour ne pas perdre de temps sur la titration thérapeutique (fig. 1). Si l’HTA « blouse blanche » est confirmée, il sera toujours possible d’arrêter le traitement antihypertenseur initié.
Encadre

Hypertension artérielle maligne : la première cohorte est française !

La France est le seul pays à avoir mis en place une cohorte prospective multicentrique pour l’hypertension artérielle maligne.

Les premières données de cette cohorte confirment les connaissances épidémiologiques préalables : si l’HTA maligne reste rare, elle n’a pas disparu (probablement autour de 1 000 cas par an en France) et elle est nettement sous-diagnostiquée.

Elle touche des patients jeunes (47 ans en moyenne) et grève lourdement leur pronostic (18 % d’événements cardiovasculaires, rénaux ou de mortalité à quatre ans).5

Réferences
1. Peixoto AJ. Acute Severe Hypertension. N Engl J Med 2019;381(19):1843-52.
2. Williams B, Mancia G, Spiering W, et al. 2018 ESC/ESH Guidelines for the management of arterial hypertension The Task Force for the management of arterial hyper­tension of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Society of Hypertension (ESH). Eur Heart J 2018;39(33):3021-104.
3. Muiesan ML, Salvetti M, Amadoro V, et al. An update on hypertensive emergencies and urgencies. J Cardiovasc Med 2015;16(5):372-82.
4. Boulestreau R, Cremer A, Lorthioir A, et al. L’hyper­tension artérielle maligne, un futur prometteur. Presse Med 2019;48(12):1439-44.
5. Rubin S, Cremer A, Boulestreau R, et al. Malignant hypertension: diagnosis, treatment and prognosis with experience from the Bordeaux cohort. J Hypertens 2019;37(2):316-24.
6. Patel KK, Young L, Howell EH, et al. Characteristics and outcomes of patients presenting with hypertensive urgency in the office setting. JAMA Intern Med 2016;176(7):981-8.
7. Unger T, Borghi C, Charchar F, et al. 2020 International Society of Hypertension Global Hypertension Practice Guidelines. Hypertension 2020;75(6):1334-57.
8. Site de la Société française d’hypertension artérielle : www.sfhta.eu
9. Stergiou GS, Palatini P, Parati G, et al. 2021 European Society of Hypertension practice guidelines for office and out-of-office blood pressure measurement. J Hypertens 2021;39(7):1293-302.

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essentiel

Devant une HTA sévère, inhabituelle et persistante, une urgence hypertensive est à rechercher.

Toute HTA sévère, inhabituelle et persistante doit faire rapidement éliminer un effet « bouse blanche » par mesure de la PA en ambulatoire.

Une HTA sévère confirmée place d’emblée le patient à haut risque cardiovasculaire.

Hors atteinte aiguë des organes cibles, l’hospitalisation n’est pas nécessaire, et les traitements antihypertenseurs per os à demi-vie courte sont inutiles, voire dangereux.