Un jeune homme de 20 ans, Caucasien, se présente au service des urgences de l’hôpital académique Érasme pour une hypoesthésie du pénis, avec impossibilité à percevoir le flux d’urine lors de la miction et impotence fonctionnelle. Le patient rapporte une apparition brutale des symptômes la veille, lors d’une miction, sans événement déclenchant. À la suite de cela, la sensation d’hypoesthésie se serait propagée à la totalité de son corps, avant de se résoudre spontanément, hormis une hypoesthésie au niveau génital.
L’anamnèse systématique ne révèle rien de particulier, le patient n’a aucune plainte d’incontinence urinaire ou fécale. Il dit n’avoir pas eu de rapport sexuel non protégé et, de manière générale, aucun rapport depuis un mois. Il ne déclare pas de problèmes de santé ni de traitement en cours. Il précise consommer du cannabis à but récréatif, notamment le soir de l’apparition des plaintes.
L’examen physique général est normal. Aucun écoulement pénien n’est constaté, ni rougeur, ni prurit, ni éruption cutanée. L’examen neurologique général est sans particularité : pas d’hypoesthésie en selle, réflexe sphinctérien préservé. Aucune réaction n’est provoquée par un test à la sensibilité thermique à l’éther ni au test de sensibilité douloureuse au moyen d’une aiguille. Lors du test de la sensibilité protopathique, une hypoesthésie du territoire du nerf dorsal de la verge est objectivée, sans négligence ni extinction.
Le bilan sanguin et l’analyse urinaire sont normaux. Les sérologies de la syphilis et du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ainsi que les PCR (polymerase chain reaction) pour Chlamydiæ et Neisseria gonorrhoeæ sont négatives. Une tomodensitométrie lombosacrée, réalisée en urgence, exclut un conflit discoradiculaire et une compression médullaire (fig. 1).
Le patient est hospitalisé pour surveillance et une imagerie par résonance magnétique (IRM) est réalisée (fig. 2). Celle-ci met en évidence une légère déformation et un refoulement antérieur du cordon médullaire à hauteur de la vertèbre T6 avec discret hypersignal intramédullaire focal en regard, sans prise de contraste associée. Aucune autre anomalie n’est visualisée au niveau du cordon médullaire. Aucune masse intramédullaire ou intracanalaire n’est objectivée.
Il n’a finalement pas été trouvé de cause organique aux plaintes du patient. À 48 heures d’évolution, les symptômes se sont amendés, jusqu’à résolution spontanée complète.

L’hypoesthésie pénienne est une plainte rarement rencontrée dans les services d’urgence, mais ­perçue par le patient comme une ­urgence, autant sur le plan soma­-tique que sur le plan psychologique.
Ce symptôme est volontiers attribué à une cause psychologique[1], diag­nostic étiologique d’exclusion. Historiquement, plusieurs cas de neuro­pathie du nerf pudendal ont été décrits, avec une prédominance chez les patients pratiquant le cyclisme.1, 2 L’incidence de cette pathologie reste méconnue, et son équivalent féminin a également été décrit.3

Neuropathie pénienne : le nerf pudendal en cause

Le nerf pudendal émerge du plexus sacré, principalement de la racine S3, avec des fibres qui dérivent aussi des racines S2 et S4. C’est un nerf mixte, avec une composante motrice et une composante sensitive.4 Il traverse le grand foramen ischiatique accompagné de l’artère et des veines pudendales pour passer au travers de l’espace interligamentaire du ligament sacro-épineux, délimité au-dessus par le ligament sacro-épineux (tendu entre le sacrum et l’épine ischiatique) et en dessous par le ligament sacro­tubéral (tendu entre le sacrum et la tubérosité ischiatique) [fig. 3].5 Il entre ensuite dans le canal d’Alcock, ou canal pudendal, qui est formé par l’aponévrose du muscle obturateur interne, où il se divise habituellement en plusieurs branches terminales.6 Ses branches distales sensitives (nerf dorsal de la verge) sont impliquées dans la physiologie génito-­sexuelle et ses branches motrices dans le contrôle vésico-sphinctérien et anorectal.1
La neuropathie pénienne est une entité définie par l’atteinte de la branche sensitive du nerf pudendal, responsable de l’innervation de la verge.

Affiner le diagnostic, pas à pas

Lors de la prise en charge d’un patient se plaignant d’hypoesthésie génitale, l’objectif premier est d’éliminer les causes urgentes possibles (fig. 4).

Préciser les symptômes et explorer le mode de vie

L’interrogatoire doit d’abord préciser l’atteinte nerveuse ressentie : présence de troubles génito-sexuels avec diminution ou abolition de l’érection et/ou de troubles sensitifs péniens de type hypoesthésie, voire paresthésie. Il doit ensuite explorer l’étendue des troubles, leur rapidité d’installation et rechercher un possible facteur déclenchant au moment de son apparition ou dans les heures qui ont précédé. Puis il s’agit de rechercher les causes responsables de neuropathie au sens large : compression nerveuse, endom­magement partiel ou total du nerf pudendal, ischémie vasculaire. Il faut évoquer la possibilité d’un traumatisme récent, qu’il soit accidentel,7,8 lié à des pratiques sexuelles ou à un contexte sportif (sport de combat avec traumatisme direct de la région pelvienne ou de la colonne vertébrale). Enfin, des symptômes évoquant une maladie de Lapeyronie sont aussi à rechercher. Désordre acquis de la tunique albuginée ­caractérisé par la formation d’une ou plusieurs plaques fibreuses à la suite de microtraumatismes, elle se manifeste par des douleurs péniennes avec une déformation du pénis lors des érections.9
Dans les antécédents et le mode de vie du patient, on recherche la présence d’un diabète, d’un passé de néoplasie,1,9 d’une masse abdominale, d’une chirurgie10-13 ou de radiothérapie au niveau pelvien,4 d’un éthylisme chronique6 ou de consommation de drogues par voie intraveineuse.14 La pratique régulière du cyclisme peut également engendrer une compression de l’artère périnéale responsable d’une diminution de flux sanguin et donc d’oxygène au niveau génital, ainsi qu’une compression mécanique du nerf lors des mouvements.15

Recherche de lésions locales et examen neurologique complet

L’examen clinique peut révéler une lésion traumatique au niveau génital ou abdominal. L’inspection minutieuse du périnée recherche des indurations nodulaires, signe de stress mécanique, communément rencontrées chez les cyclistes.
L’examen neurologique doit être global, puis se focaliser sur la caractérisation des réflexes ostéotendineux, sur la tonicité sphinctérienne, et une perturbation au niveau périnéal (hypo­esthésie métamérique, abolition ou diminution des réflexes bulbocaverneux et bulbo-anal, hypo­tonie du sphincter anal).1 L’objectif est d’exclure une atteinte proximale radiculaire ou plexique, intéressant les racines sacrées S2, S3 et S4 (syndrome de la queue de cheval).

Bilan complémentaire : des sérologies à l’électrophysiologie

Les examens complémentaires sont orientés en fonction de l’anamnèse et de l’examen clinique. Des sérologies pour les infections sexuellement transmissibles et un examen cytobactériologique des urines sont réalisés.
En urgence, une échographie abdominale, des testicules et de la prostate peut être pertinente en fonction de l’examen clinique.
Une imagerie tomodensitométrique du pelvis et de la colonne lombaire permet d’exclure un conflit radiculaire, une hernie discale ou une compression médullaire.
Une imagerie par résonance magnétique (IRM) est réalisée dans un délai raisonnable, pour exclure des anomalies osseuses, affections neurologiques, hématomes post-traumatiques ou autres signes de lésion du nerf pudendal.4
Les explorations électrophysiologiques périnéales recherchent une diminution de la vitesse de conduction sensitive du nerf dorsal de la verge ou une abolition du potentiel sensitif.1
Si tous les examens sont normaux, une origine fonctionnelle est envi­sagée. Diagnostic d’exclusion, elle nécessite la mise en place d’un suivi psychologique. 

Références

1. Amarenco G, Le Cocquen A, Bosc S. La neuropathie pénienne. Étude de 186 cas. Annales de réadaptation et de médecine physique 1999;42(1):29-32.
2. Goodson JD. Pudendal neuritis from biking. N Engl J Med 1981;304(6):365. PMID: 7442788.
3. Shafik A. Pudendal canal syndrome as a cause of vulvodynia and its treatment by pudendal nerve decompression. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 1998;80(2):215-20. PMID: 9846672.
4. Oberpenning F, Roth S, Leusmann DB, van Ahlen H, Hertle L. The Alcock syndrome: temporary penile insensitivity due to compression of the pudendal nerve within the Alcock canal. J Urol1994;151(2):423-5. PMID: 8283544.
5. Ziouziou I, Bennani H, Zizi M, Karmouni T, El Khader K, Koutani A, et al. Le syndrome du canal d’Alcock ou névralgie pudendale : un diagnostic à ne pas méconnaître. Can Urol Assoc J 2013;7(7-8):E486-E489. PMCID: PMC3713147.
6. Luther RD, Castellanos ME. Successful treatment of penile numbness and erectile dysfunction resulting from pudendal nerve entrapment. Urology 2019;134:228-31. PMID: 31560912.
7. Thongtrangan I, Le H, Park J, Kim DH. Cauda equina syndrome in patients with low lumbar fractures. Neurosurg Focus 2004;16(6):e6. PMID: 15202876.
8. Giudicelli P, Goubeau J, Chammas M, Ledoux D, Allieu Y. Transverse fracture of the upper sacrum with major displacement. CT reconstruction: case report. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot 2000;86(4):402-6. PMID: 10880941.
9. Amarenco G, Casanova JM. Lesion of the dorsal nerve of the penis in Peyronie’s disease. Prog Urol 1991;1(5):906-10. PMID: 1668968.
10. Schulak DJ, Bear TF, Summers JL. Transient impotence from positioning on the fracture table. J Trauma 1980;20(5):420-1. PMID: 7365858.
11. Hofmann A, Jones RE, Schoenvogel R. Pudendal-nerve neurapraxia as a result of traction on the fracture table. A report of four cases. JBJS 1982;64(1):136-8.
12. Lindenbaum SD, Fleming LL, Smith DW. Pudendal-nerve palsies associated with closed intramedullary femoral fixation. A report of two cases and a study of the mechanism of injury. J Bone Joint Surg Am 1982;64(6):934-8. PMID: 7085721.
13. France MP, Aurori BF. Pudendal nerve palsy following fracture table traction. Clin Orthop Relat Res 1992;(276):272-6. PMID: 1537166.
14. Ducrey N, Calanca L, Hayoz D. Un patient « polyvasculaire ». Revue Médicale Suisse 2006;4.
15. Sommer F, König D, Graft C, Schwarze U, Bertram C, Klotz T et al. Impotence and genital numbness in cyclists. Int J Sports Med 2001;22(6):410-3. PMID: 11531032.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés