Diagnostiquer une hypoglycémie.
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge.
Introduction
L’hypoglycémie doit être évoquée devant des signes adrénergiques et/ou neuroglucopéniques contemporains d’une mesure de la glycémie capillaire ou veineuse basse, et sa prise en charge doit être effectuée en urgence.
Les étiologies des hypoglycémies sont multiples, les causes médicamenteuses – notamment liées aux traitements hypoglycémiants du diabète – étant les plus fréquentes. En l’absence de cause évidente, une investigation diagnostique méthodique doit être menée pour confirmer l’hypoglycémie, identifier sa cause et initier un traitement adapté.
Définition et signes cliniques de l’hypoglycémie
L’hypoglycémie est suspectée devant deux types de signes cliniques (
- les signes adrénergiques liés à l’activation neuronale sympathique, non spécifiques de l’hypoglycémie, et qui peuvent être absents lorsque les épisodes d’hypoglycémies se répètent ou en cas de neuropathie végétative ;
- les signes neuroglucopéniques traduisant la privation cérébrale en glucose ; ces symptômes sont polymorphes et réversibles par la correction de l’hypoglycémie. Tout trouble de la conscience ou tout syndrome neurologique aigu doit faire rechercher une hypoglycémie, jusqu’à preuve du contraire.
Mécanismes de régulation de la glycémie (rang B)
Le glucose est une source énergétique indispensable pour la cellule nerveuse, et une hypoglycémie profonde peut entraîner à court terme un trouble des fonctions cérébrales.
Au cours du jeûne, les mécanismes de contre-régulation permettent de maintenir la glycémie dans l’intervalle physiologique :
- au seuil d’une glycémie inférieure à 80 mg/dL (4,4 mmol/L), on observe une diminution de la sécrétion d’insuline ;
- au seuil d’une glycémie inférieure à 70 mg/dL (3,9 mmol/L), on observe une augmentation de la sécrétion des hormones de contre-régulation à court terme (le glucagon et les catécholamines) qui vont stimuler la glycogénolyse et la néoglucogenèse hépatiques et inhiber l’utilisation périphérique du glucose et l’insulinosécrétion ;
- en cas d’hypoglycémie prolongée pendant plusieurs heures, on observe une augmentation de la sécrétion des hormones de contre-régulation à moyen et long terme : le cortisol et l’hormone de croissance, qui exercent leur action hyperglycémiante via la stimulation de la néoglucogenèse hépatique et l’inhibition de l’utilisation périphérique du glucose.
Diagnostic positif et étiologique chez un patient diabétique
Le diagnostic est facilement évoqué et repose sur une mesure de la glycémie capillaire ou interstitielle. On parle d’hypoglycémie lorsque la glycémie s’abaisse en-dessous de 60 mg/dL (3,3 mmol/L).
Les troubles cognitifs peuvent apparaître lorsque la glycémie chute en-dessous de 35 mg/dL (2 mmol/L). Néanmoins, lors de la répétition des épisodes d'hypoglycémie, les seuils de sécrétion des hormones de contre-régulation s’abaissent, les symptômes neurovégétatifs s’atténuent ou sont retardés, de sorte que les symptômes de neuroglucopénie sont au premier plan.
La survenue d’hypoglycémies sévères ou fréquentes doit faire rechercher des facteurs favorisants :
- en cas de traitement par insuline : erreur de posologie, repas supprimé ou pauvre en glucides, inadéquation entre la quantité de glucides ingérée et la dose d’analogue rapide de l’insuline administrée au moment du repas, délai trop long entre l’injection d’insuline et le repas, activité physique non anticipée, surdosage ou erreur par excès d’analogue lent d’insuline, injection d’insuline dans une lipodystrophie, gastroparésie, prise d’alcool ;
- en cas de traitement par sulfamide hypoglycémiant ou répaglinide : surdosage ou erreur par excès d’hypoglycémiant oral, interférence médicamenteuse avec un hypoglycémiant oral, défaut d’épuration rénale d’un hypoglycémiant oral chez un sujet d’âge avancé, insuffisance rénale, jeûne ou prise de glucides insuffisante, activité physique, interaction d’une prise d’alcool avec celle d’un hypoglycémiant oral.
Diagnostic positif et étiologique en l’absence de diabète
Une hypoglycémie doit être évoquée lorsque les trois signes de la triade de Whipple sont observés au moment d’un malaise :
- présence de symptômes cliniques neuroglucopéniques évocateurs d’hypoglycémie ;
- glycémie veineuse inférieure à 50 mg/dL (2,75 mmol/L) contemporaine des symptômes ;
- correction des symptômes après normalisation de la glycémie obtenue par un resucrage (rang A).
Le diagnostic étiologique repose en premier lieu sur un interrogatoire et un examen clinique précis. Il convient d’abord d’éliminer certains diagnostics évidents par leur contexte spécifique (
En l’absence de cause évidente, une épreuve de jeûne de 72 heures doit être envisagée au cours d’une hospitalisation dans un service spécialisé. Des dosages de glycémie capillaire et veineuse, d’insulinémie et de peptide C sont effectués toutes les deux heures et en cas de signes cliniques d’hypoglycémie. L’épreuve est arrêtée en cas de malaise accompagné de signes neuroglucopéniques après un dernier prélèvement de sang veineux, ou à l’issue des 72 heures s’il n’est pas survenu d’hypoglycémie.
L’épreuve de jeûne permet de distinguer les hypoglycémies fonctionnelles des hypoglycémies organiques (
Hypoglycémies organiques
On distingue trois catégories d’hypoglycémies organiques : avec hyperinsulinisme endogène, avec hyperinsulinisme exogène ou sans hyperinsulinisme.
Hypoglycémie organique par hyperinsulinisme endogène : l’insulinome
Il s’agit d’une tumeur endocrine du pancréas sécrétant de l’insuline. Sa prévalence est faible, mais c’est la plus fréquente des tumeurs endocrines fonctionnelles du pancréas.Le diagnostic est évoqué devant des hypoglycémies à jeun avec symptômes neuroglucopéniques et une possible prise de poids. Il sera affirmé à l’occasion d’une hypoglycémie (< 45 mg/dL) contemporaine de concentrations d’insuline et de peptide C plasmatiques mesurables et donc inadaptées (respectivement à > 3 mUI/L et > 0,6 ng/L), en l’absence d’une prise connue ou cachée d’agents sulfonylurés hypoglycémiants. L’épreuve de jeûne est souvent nécessaire pour confirmer ce diagnostic. La pro-insulinémie dosée lors de l’épreuve de jeûne au moment de l’hypoglycémie est également non freinée, et le taux des bêta-hydroxybutyrates dosés en fin d’épreuve est bas en raison de l’action anticétogène de l’insuline.
L’insulinome peut être sporadique ou s’inscrire dans 5 % des cas dans le contexte syndromique d’une néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM 1), qu’il faudra systématiquement évoquer (hyperparathyroïdie, adénome hypophysaire, adénome surrénalien…).
Il s’agit dans 90 % des cas d’une tumeur bénigne de petite taille (90 % des insulinomes mesurent moins de 2 cm de diamètre), rendant le diagnostic topographique préopératoire parfois difficile.
En cas d’insulinome biologiquement avéré, un bilan de localisation comprenant scanner ou imagerie par résonance magnétique (IRM) du pancréas doit être effectué, complété par une écho-endoscopie du pancréas ou plus rarement un cathétérisme des artères à destinée pancréatique, à la recherche d’un gradient de sécrétion d’insuline.
Le traitement de choix de l’insulinome est chirurgical (énucléation de la tumeur ou pancréatectomie partielle), mais un traitement médicamenteux peut être envisagé, dans l’attente de la chirurgie pancréatique ou lorsque celle-ci est incomplète ou contre-indiquée, par diazoxide (Proglicem), sulfamide non diurétique à action hyperglycémiante. Les analogues de la somatostatine peuvent également être utilisés, efficaces chez la moitié des patients.
Hypoglycémie organique iatrogène avec hyperinsulinisme endogène ou exogène : l’hypoglycémie factice
L’hypoglycémie est induite par la prise cachée ou accidentelle de médicaments hypoglycémiants, tels l’insuline, les sulfonylurées ou les glinides.La prise cachée d’insuline au moment d’une exploration d’hypoglycémie est facilement détectée par la mesure au cours d’un épisode hypoglycémique d’une insulinémie élevée en regard d’un peptide C indétectable, qui signent la présence d’insuline exogène dans la circulation.
La prise cachée de sulfonylurées ou de glinides est un piège diagnostique, car elle induit au même titre que l’insulinome une élévation de l’insulinémie et du taux de peptide C au moment d’une hypoglycémie. La détection dans le plasma ou dans les urines de sulfonylurées/glinides permet de redresser le diagnostic.
Hypoglycémie organique sans hyperinsulinisme
Elle peut être provoquée par une tumeur extrapancréatique sécrétant l’IGF-2, qui est un facteur de croissance avec une action hypoglycémiante insulin-like. Il s’agit de rares tumeurs mésenchymateuses intrathoraciques ou abdominales qui sont volumineuses. L'insulinémie et le taux de peptide C sont effondrés, le diagnostic est affirmé par le dosage d’IGF-2 plasmatique et l’identification d’un immunomarquage positif pour l’IGF-2 de la tumeur après son exérèse.Signalons également les rares hypoglycémies auto-immunes liées à la présence d’anticorps anti-insuline ou antirécepteurs de l’insuline, qui se traduisent par des hypoglycémies à jeun et/ou post-prandiales.
Hypoglycémies fonctionnelles
En cas d’épreuve de jeûne, la glycémie ne s’abaisse pas ou peu, et les taux d’insuline et de peptide C sont effondrés, adaptés au jeûne.
La prévention de ces symptômes repose sur des règles hygiénodiététiques avec consommation d’aliments riches en fibres et éviction des aliments à indice glycémique élevé. Un traitement par inhibiteur des alphaglucosidases (acarbose, Glucor) pris avant chacun des trois principaux repas peut améliorer les symptômes lorsque les mesures hygiénodiététiques ne suffisent pas.
Traitement symptomatique de l’hypoglycémie (rang A)
Si le sujet est conscient
Si le sujet est inconscient
La prise en charge d’une hypoglycémie chez un patient diabétique inconscient traité par insuline nécessite une injection intramusculaire ou sous-cutanée de 1 mg de glucagon (GlucaGen Kit) effectuée par l’entourage, suivie de l’ingestion de glucides à index glycémique bas lorsque le sujet a retrouvé un état de conscience normal.
Une hypoglycémie sévère sous sulfonylurées nécessite une hospitalisation et une perfusion de sérum glucosé pendant au moins vingt-quatre heures, car les hypoglycémies peuvent réapparaître quelques heures, voire plusieurs jours, après l’événement hypoglycémique initial.
POINTS FORTS À RETENIR
Tout trouble de conscience ou tout trouble neurologique aigu doit faire rechercher une hypoglycémie.
L’hypoglycémie est une urgence vitale, et son traitement ne doit pas être retardé.
Chez une personne diabétique, l’hypoglycémie, définie par une glycémie capillaire < 60 mg/dL, est iatrogène (agents sulfonylurés, glinides, insuline), et sa prévention repose sur l’éducation thérapeutique du patient et de son entourage.
Chez le patient non diabétique, les signes de la triade de Whipple et le dosage de la glycémie veineuse < 50 mg/dL sont indispensables pour confirmer le diagnostic d’hypoglycémie.
Avant d’envisager des causes rares d’hypoglycémie, on doit exclure les causes iatrogènes, une prise excessive d’alcool, l’insuffisance surrénale lente.
En l’absence de cause évidente, la démarche diagnostique et étiologique repose sur une épreuve de jeûne de 72 heures, à la recherche en premier lieu d’un insulinome pancréatique.
L’insulinome est la plus fréquente des causes d'hypoglycémies tumorales de l’adulte. Son diagnostic impose la réalisation d’une TDM/IRM pancréatique et d’une écho-endoscopie.
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