Objectifs
Diagnostiquer une hypoglycémie.
Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge.

Introduction

Le diagnostic d’hypoglycémie est facilement évoqué et confirmé grâce à la réalisation d’une glycémie capillaire chez un patient diabétique connu, mais il est moins aisé en dehors du diabète, du fait de la rareté de cette situation et de la diversité des symptômes, qui retardent parfois le diagnostic.
L’hypoglycémie doit être évoquée devant des signes adrénergiques et/ou neuroglucopéniques contemporains d’une mesure de la glycémie capillaire ou veineuse basse, et sa prise en charge doit être effectuée en urgence.
Les étiologies des hypoglycémies sont multiples, les causes médicamenteuses – notamment liées aux traitements hypoglycémiants du diabète – étant les plus fréquentes. En l’absence de cause évidente, une investigation diagnostique méthodique doit être menée pour confirmer l’hypoglycémie, identifier sa cause et initier un traitement adapté.

Définition et signes cliniques de l’hypoglycémie

L’hypoglycémie est définie par une baisse de la concentration plasmatique en glucose, les seuils retenus étant différents en fonction du contexte : < 60 mg/dL (3,3 mmol/L) chez une personne diabétique connue et < 50 mg/dL (2,75 mmol/L) chez une personne non diabétique (rang A).
L’hypoglycémie est suspectée devant deux types de signes cliniques (tableau 1) [rang B] :
  • les signes adrénergiques liés à l’activation neuronale sympathique, non spécifiques de l’hypoglycémie, et qui peuvent être absents lorsque les épisodes d’hypoglycémies se répètent ou en cas de neuropathie végétative ;
  • les signes neuroglucopéniques traduisant la privation cérébrale en glucose ; ces symptômes sont polymorphes et réversibles par la correction de l’hypoglycémie. Tout trouble de la conscience ou tout syndrome neurologique aigu doit faire rechercher une hypoglycémie, jusqu’à preuve du contraire.

Mécanismes de régulation de la glycémie (rang B)

La régulation de la glycémie est assurée par le système endocrinien. La glycémie est maintenue dans un intervalle physiologique étroit, entre 60 et 90 mg/dL (3,3 et 5 mmol/L) à jeun et entre 120 et 130 mg/dL (6,7 et 7,2 mmol/L) après les repas, sous l’action de l’insuline et du glucagon.
Le glucose est une source énergétique indispensable pour la cellule nerveuse, et une hypoglycémie profonde peut entraîner à court terme un trouble des fonctions cérébrales.
Au cours du jeûne, les mécanismes de contre-régulation permettent de maintenir la glycémie dans l’intervalle physiologique :
  • au seuil d’une glycémie inférieure à 80 mg/dL (4,4 mmol/L), on observe une diminution de la sécrétion d’insuline ;
  • au seuil d’une glycémie inférieure à 70 mg/dL (3,9 mmol/L), on observe une augmentation de la sécrétion des hormones de contre-régulation à court terme (le glucagon et les catécholamines) qui vont stimuler la glycogénolyse et la néoglucogenèse hépatiques et inhiber l’utilisation périphérique du glucose et l’insulinosécrétion ;
  • en cas d’hypoglycémie prolongée pendant plusieurs heures, on observe une augmentation de la sécrétion des hormones de contre-régulation à moyen et long terme : le cortisol et l’hormone de croissance, qui exercent leur action hyperglycémiante via la stimulation de la néoglucogenèse hépatique et l’inhibition de l’utilisation périphérique du glucose.
Le foie joue un rôle essentiel dans le maintien de la glycémie pendant les 48 premières heures du jeûne. Au-delà de 48 heures, les stocks hépatiques de glycogène sont épuisés, et la néoglucogenèse hépatique et rénale fournit à son tour le glucose.

Diagnostic positif et étiologique chez un patient diabétique

En cas de diabète, l'hypoglycémie est iatrogène et favorisée par la prise d’insuline ou de sulfamides hypoglycémiants (tels que le glibenclamide, le gliclazide, le glimépiride, le glipizide) et apparentés (le répaglinide) [rang A].
Le diagnostic est facilement évoqué et repose sur une mesure de la glycémie capillaire ou interstitielle. On parle d’hypoglycémie lorsque la glycémie s’abaisse en-dessous de 60 mg/dL (3,3 mmol/L).
Les troubles cognitifs peuvent apparaître lorsque la glycémie chute en-dessous de 35 mg/dL (2 mmol/L). Néanmoins, lors de la répétition des épisodes d'hypoglycémie, les seuils de sécrétion des hormones de contre-­régulation s’abaissent, les symptômes neurovégétatifs s’atténuent ou sont retardés, de sorte que les symptômes de neuroglucopénie sont au premier plan.
La survenue d’hypoglycémies sévères ou fréquentes doit faire rechercher des facteurs favorisants :
  • en cas de traitement par insuline : erreur de posologie, repas supprimé ou pauvre en glucides, inadéquation entre la quantité de glucides ingérée et la dose d’analogue rapide de l’insuline administrée au moment du repas, délai trop long entre l’injection d’insuline et le repas, activité physique non anticipée, surdosage ou erreur par excès d’analogue lent d’insuline, injection d’insuline dans une lipodystrophie, gastroparésie, prise d’alcool ;
  • en cas de traitement par sulfamide hypoglycémiant ou répaglinide : surdosage ou erreur par excès d’hypoglycémiant oral, interférence médicamenteuse avec un hypo­glycémiant oral, défaut d’épuration rénale d’un hypoglycémiant oral chez un sujet d’âge avancé, insuffisance rénale, jeûne ou prise de glucides insuffisante, activité physique, interaction d’une prise d’alcool avec celle d’un hypoglycémiant oral.
Chez une personne diabétique, la prévention des hypoglycémies repose sur l'éducation du patient et de son entourage à la surveillance des glycémies capillaires ou de la mesure continue du glucose, l’ajustement de l’insulinothérapie, la reconnaissance des signes d’hypoglycémie et leur gestion le cas échéant.

Diagnostic positif et étiologique en l’absence de diabète

En l’absence de diabète, une mesure basse de la glycémie capillaire impose sa confirmation par une glycémie veineuse. Le seuil retenu pour évoquer une hypoglycémie est de 50 mg/dL (2,75 mmol/L), à partir duquel des signes de neuroglucopénie peuvent apparaître.
Une hypoglycémie doit être évoquée lorsque les trois signes de la triade de Whipple sont observés au moment d’un malaise :
  • présence de symptômes cliniques neuroglucopéniques évocateurs d’hypoglycémie ;
  • glycémie veineuse inférieure à 50 mg/dL (2,75 mmol/L) contemporaine des symptômes ;
  • correction des symptômes après normalisation de la glycémie obtenue par un resucrage (rang A).
Le diagnostic positif d’hypoglycémie est facile si la glycémie veineuse a pu être mesurée au moment d’un malaise, ce qui est rarement le cas. Lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir un dosage percritique de la glycémie, une épreuve de jeûne devra être réalisée, dans le but de recréer les conditions propices à la survenue d’une hypo­glycémie.
Le diagnostic étiologique repose en premier lieu sur un interrogatoire et un examen clinique précis. Il convient d’abord d’éliminer certains diagnostics évidents par leur contexte spécifique (tableau 2), puis de rechercher une cause iatrogène (tableau 3) avant de poursuivre les explorations (rang A).
En l’absence de cause évidente, une épreuve de jeûne de 72 heures doit être envisagée au cours d’une hospitalisation dans un service spécialisé. Des dosages de glycémie capillaire et veineuse, d’insulinémie et de peptide C sont effectués toutes les deux heures et en cas de signes cliniques d’hypoglycémie. L’épreuve est arrêtée en cas de malaise accompagné de signes neuroglucopéniques après un dernier prélèvement de sang veineux, ou à l’issue des 72 heures s’il n’est pas survenu d’hypo­glycémie.
L’épreuve de jeûne permet de distinguer les hypo­glycémies fonctionnelles des hypoglycémies organiques (tableau 4) et d’orienter l’étiologie en cas d’hypoglycémie organique (figure).

Hypoglycémies organiques

Le diagnostic doit être évoqué en présence de signes neuroglucopéniques survenant à jeun et/ou lors d’un effort physique et calmés par la prise de glucides. L’épreuve de jeûne, lorsqu’elle est réalisée, est généralement interrompue précocement (avant 24 heures) du fait de la survenue de signes neuroglucopéniques contemporains d’une hypo­glycémie. Une glycémie basse isolée ne suffit pas à porter le diagnostic : la glycémie normale d’une femme après 72 heures de jeûne peut atteindre 30 mg/dL (1,7 mmol/L).
On distingue trois catégories d’hypoglycémies organiques : avec hyperinsulinisme endogène, avec hyper­insulinisme exogène ou sans hyperinsulinisme.

Hypoglycémie organique par hyperinsulinisme endogène : l’insulinome

Il s’agit d’une tumeur endocrine du pancréas sécrétant de l’insuline. Sa prévalence est faible, mais c’est la plus fréquente des tumeurs endocrines fonctionnelles du pancréas.
Le diagnostic est évoqué devant des hypoglycémies à jeun avec symptômes neuroglucopéniques et une possible prise de poids. Il sera affirmé à l’occasion d’une hypo­glycémie (< 45 mg/dL) contemporaine de concentrations d’insuline et de peptide C plasmatiques mesurables et donc inadaptées (respectivement à > 3 mUI/L et > 0,6 ng/L), en l’absence d’une prise connue ou cachée d’agents sulfonylurés hypoglycémiants. L’épreuve de jeûne est souvent nécessaire pour confirmer ce diagnostic. La pro-­insulinémie dosée lors de l’épreuve de jeûne au moment de l’hypoglycémie est également non freinée, et le taux des bêta-hydroxybutyrates dosés en fin d’épreuve est bas en raison de l’action anticétogène de l’insuline.
L’insulinome peut être sporadique ou s’inscrire dans 5 % des cas dans le contexte syndromique d’une néoplasie endocrinienne multiple de type 1 (NEM 1), qu’il faudra systématiquement évoquer (hyperparathyroïdie, adénome hypophysaire, adénome surrénalien…).
Il s’agit dans 90 % des cas d’une tumeur bénigne de petite taille (90 % des insulinomes mesurent moins de 2 cm de diamètre), rendant le diagnostic topographique préopératoire parfois difficile.
En cas d’insulinome biologiquement avéré, un bilan de localisation comprenant scanner ou imagerie par résonance magnétique (IRM) du pancréas doit être effectué, complété par une écho-endoscopie du pancréas ou plus rarement un cathétérisme des artères à destinée pancréatique, à la recherche d’un gradient de sécrétion d’insuline.
Le traitement de choix de l’insulinome est chirurgical (énucléation de la tumeur ou pancréatectomie partielle), mais un traitement médicamenteux peut être envisagé, dans l’attente de la chirurgie pancréatique ou lorsque celle-ci est incomplète ou contre-indiquée, par diazoxide (Proglicem), sulfamide non diurétique à action hyperglycémiante. Les analogues de la somatostatine peuvent également être utilisés, efficaces chez la moitié des patients.

Hypoglycémie organique iatrogène avec hyperinsulinisme endogène ou exogène : l’hypoglycémie factice

L’hypoglycémie est induite par la prise cachée ou accidentelle de médicaments hypoglycémiants, tels l’insuline, les sulfonylurées ou les glinides.
La prise cachée d’insuline au moment d’une exploration d’hypoglycémie est facilement détectée par la mesure au cours d’un épisode hypoglycémique d’une insulinémie élevée en regard d’un peptide C indétectable, qui signent la présence d’insuline exogène dans la circulation.
La prise cachée de sulfonylurées ou de glinides est un piège diagnostique, car elle induit au même titre que l’insulinome une élévation de l’insulinémie et du taux de peptide C au moment d’une hypoglycémie. La détection dans le plasma ou dans les urines de sulfonylurées/glinides permet de redresser le diagnostic.

Hypoglycémie organique sans hyperinsulinisme

Elle peut être provoquée par une tumeur extrapancréatique sécrétant l’IGF-2, qui est un facteur de croissance avec une action hypoglycémiante insulin-like. Il s’agit de rares tumeurs mésenchymateuses intrathoraciques ou abdominales qui sont volumineuses. L'insulinémie et le taux de peptide C sont effondrés, le diagnostic est affirmé par le dosage d’IGF-2 plasmatique et l’identification d’un immunomarquage positif pour l’IGF-2 de la tumeur après son exérèse.
Signalons également les rares hypoglycémies auto-­immunes liées à la présence d’anticorps anti-insuline ou antirécepteurs de l’insuline, qui se traduisent par des hypoglycémies à jeun et/ou post-prandiales.

Hypoglycémies fonctionnelles

Elles sont caractérisées par des symptômes de type adrénergique survenant dans les quatre heures suivant un repas, alors que l’hypoglycémie est rarement mise en évidence. Il n’y a pas de signe de neuroglucopénie, et les malaises ne surviennent pas durant la nuit ou à jeun. Il s’agit d’un diagnostic incertain, qui ne devrait pas être évoqué en l’absence d’hypoglycémie veineuse documentée.
En cas d’épreuve de jeûne, la glycémie ne s’abaisse pas ou peu, et les taux d’insuline et de peptide C sont effondrés, adaptés au jeûne.
La prévention de ces symptômes repose sur des règles hygiénodiététiques avec consommation d’aliments riches en fibres et éviction des aliments à indice glycémique élevé. Un traitement par inhibiteur des alphaglucosidases (acarbose, Glucor) pris avant chacun des trois principaux repas peut améliorer les symptômes lorsque les mesures hygiénodiététiques ne suffisent pas.

Traitement symptomatique de l’hypoglycémie (rang A)

L’hypoglycémie est une urgence thérapeutique, le traitement ne doit jamais être retardé par l’attente d’une preuve biologique. Il repose sur l’apport de glucose dont les modalités changent en fonction de l’état de conscience du patient.

Si le sujet est conscient

Le traitement repose sur l’ingestion de 15 g de glucides d’absorption rapide (3 morceaux de sucre ou 12,5 cL de jus de fruits) suivie d’un apport de sucres lents (pain, biscuits secs) afin d’éviter une récidive de l’hypoglycémie.

Si le sujet est inconscient

Le traitement repose sur l’injection intraveineuse directe de 1 à 3 ampoules de sérum glucosé hypertonique à 30 %, suivie de l’apport continu de sérum glucosé à 5 ou 10 % par perfusion sur 24 heures. Le débit de la perfusion sera adapté en fonction de la glycémie capillaire, contrôlée toutes les heures, puis de façon plus espacée.
La prise en charge d’une hypoglycémie chez un patient diabétique inconscient traité par insuline nécessite une injection intramusculaire ou sous-­cutanée de 1 mg de glucagon (GlucaGen Kit) effectuée par l’entourage, suivie de l’ingestion de glucides à index glycémique bas lorsque le sujet a retrouvé un état de conscience normal.
Une hypoglycémie sévère sous sulfonylurées nécessite une hospitalisation et une perfusion de sérum glucosé pendant au moins vingt-quatre heures, car les hypoglycémies peuvent réapparaître quelques heures, voire plusieurs jours, après l’événement hypoglycémique initial.
Points forts
Hypoglycémies chez l’adulte et l’enfant

POINTS FORTS À RETENIR

Tout trouble de conscience ou tout trouble neurologique aigu doit faire rechercher une hypoglycémie.

L’hypoglycémie est une urgence vitale, et son traitement ne doit pas être retardé.

Chez une personne diabétique, l’hypoglycémie, définie par une glycémie capillaire < 60 mg/dL, est iatrogène (agents sulfonylurés, glinides, insuline), et sa prévention repose sur l’éducation thérapeutique du patient et de son entourage.

Chez le patient non diabétique, les signes de la triade de Whipple et le dosage de la glycémie veineuse < 50 mg/dL sont indispensables pour confirmer le diagnostic d’hypoglycémie.

Avant d’envisager des causes rares d’hypoglycémie, on doit exclure les causes iatrogènes, une prise excessive d’alcool, l’insuffisance surrénale lente.

En l’absence de cause évidente, la démarche diagnostique et étiologique repose sur une épreuve de jeûne de 72 heures, à la recherche en premier lieu d’un insulinome pancréatique.

L’insulinome est la plus fréquente des causes d'hypoglycémies tumorales de l’adulte. Son diagnostic impose la réalisation d’une TDM/IRM pancréatique et d’une écho-endoscopie.

Bibliographie
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